CINÉMA

Rencontre avec Dorris Dörrie

C’est dans un coin calme de l’Hôtel Paradis que nous avons rencontré Doris Dörrie, productrice allemande et réalisatrice du film Fukushima mon amour. Paix et simplicité sont probablement les mots qui décrivent le mieux cette femme aux passions multiples. Elle même se décrit comme une « flâneuse ».

Née en 1955, elle a étudié le théâtre et le cinéma en Californie, à New York et à Munich, où elle vit aujourd’hui. Le théâtre et le cinéma ne semblant pas suffire, elle est aussi l’auteure de plusieurs livres et a mis en scène quatre opéras.

Nous avons commencé par discuter de son dernier film, la rencontre de Marie, une jeune femme allemande, clown de profession et de Satomi, une femme âgée japonaise, et geisha,  avec en fond de toile les décombres de la ville fantôme qu’est devenue Fukushima.

La catastrophe naturelle a été un véritable déclencheur pour la réalisatrice mais l’histoire que Doris Dörrie a voulu raconter est née, doucement, au fil de ses voyages, au Japon et sur les lieux de la catastrophe. Le processus de création a été long, et enrichi par ses rencontres régulières avec l’actrice principale, Rosalie Thomass.

Un film sans message mais avec des thèmes

Quel est le message qu’elle voulait faire passer à travers ce film ? Doris Dörrie avoue ne pas « être fan des messages, un film devrait être bien plus qu’un message ». Il y a toutefois des choses qui lui tenaient à cœur d’aborder, et au fil de la discussion la réalisatrice parle alors du thème de la perte : « On perd tous des gens qu’on aime, et on finit même par tout perdre, à la fin. Réaliser que toute la vie on perdra des choses permet de revenir au moment présent, et de le vivre et d’en profiter ». Elle avait aussi envie de parler de compassion, de la puissance de la communication, même lorsqu’on ne parle pas la même langue, et d’une rencontre entre deux âmes perdues : « Être capable de partager la peine de l’autre, c’est un moyen de communication très puissant. Même si on ne peut pas l’expliquer avec des mots, on peut la sentir. C’est une histoire sur la compassion et la recherche de l’autre. Et c’est quelque chose dont nous avons besoin plus que jamais. »

Une oeuvre à la fois hommage et iconoclaste

Filmer en noir et blanc était en premier lieu un hommage à Hiroshima mon amour, un film avec lequel elle a grandi et auquel elle est attachée émotionnellement : « Il est sorti quand j’étais adolescente et c’était la première fois que je voyais le Japon dans un film. » Sa deuxième raison de filmer en noir et blanc est son amour pour ce pays, où elle est allée mainte fois, passant aussi par l’admiration des maîtres du cinéma japonais. Elle ne cite que Mizoguchi, Ozu et Kurosawa mais comme elle le dit « la liste pourrait être très longue ». Pour finir il y avait aussi la volonté de faire « un film plus impressionnant d’un point de vue esthétique que réaliste », une volonté en parfaite adéquation avec l’univers raffiné et gracieux des geishas, celui de Satomi.

Dans Fukushima mon amour, la réalisatrice était décidée à explorer la relation maître-élève, sujet plutôt courant lorsqu’il s’agit de deux hommes, mais très rarement traité pour deux femmes. L’actrice Rosalie Thomass, également présente, souligne le fait qu’« il nous manque encore des figures femmes, qui ne sont pas des princesses. Dans les films actuels, la jeune femme essaie de trouver un homme, de se marier et de garder son corps post grossesse dans les normes en vigueur ». Et Doris Dörrie, d’ajouter : « Nous avons besoin de raconter d’autres histoires ».

Raconter des histoires différentes, elle s’y applique bien, et à raison. À ses 20 ans, la jeune Doris Dorrie était à mille lieues d’imaginer qu’en 2017 on discuterait encore des choses aussi simples que l’égalité salariale : « C’est quelque chose qui me soulève le cœur de constater que les choses n’ont pas changé ».

Même si aujourd’hui seulement 15 % des réalisateurs sont des femmes, Doris Dorrie est optimiste : « Plus nous aurons de réalisatrices femme, plus ce que nous voyons sur les écrans changera. J’espère que la vision des gens changera aussi et que de nouvelles perspectives s’ouvriront. Il existe déjà à la télévision des séries écrites, produites et jouées par des femmes, comme Girls ou Transparent.  Les choses changent très doucement mais il y a de l’espoir »

 

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