CINÉMA

Le bruit infernal du Silence

C’est sur le tournage de Rêves du cinéaste japonais Akira Kurosawa que Martin Scorsese, qui incarnait alors Vincent Van Gogh, a lu Silence de l’auteur chrétien Shūsaku Endō. Fasciné par ce qu’il venait de lire, il décida d’en acquérir les droits. Nous sommes à la fin des années 1980 et Martin Scorsese ne sait pas encore comment l’adapter. L’idée se transforme par la suite en véritable défi : problèmes légaux, changements d’acteurs, nouveaux projets… Il aura fallu près de trente ans pour que Silence se concrétise et que le cinéaste se sente enfin prêt à le porter à l’écran.

Adapté par Jay Cocks (scénariste de Gangs of New York), Silence met en scène le périple de deux missionnaires jésuites au XVIIe siècle. Les prêtres portugais Rodrigues (Andrew Garfield) et Garupe (Adam Driver) entreprennent un voyage au Japon pour retrouver le père Ferreira, grand évangélisateur de l’archipel qui aurait apostasié sous la torture. Le film se déroule à la fin des années 1630. Les missions jésuites implantées depuis près d’un siècle au Japon sont un échec : le christianisme est désormais illégal, les fidèles sont persécutés et les missionnaires chassés. Les seigneurs locaux entendent couper toutes les racines de cette religion chrétienne importée.

Image tirée du film

Silence, 2017, Metropolitan FilmExport

Loin du style scorsesien, Silence repose sur une économie d’effets. Si le film est de facture classique dans sa forme narrative de journal intime et dans la composition des plans, il est influencé par une imagerie japonaise des films de Kurosawa et Mizoguchi, notamment lors d’un plan où les personnages sont sur une barque dans la brume d’un lac. Tourné en pellicule et mis en lumière par le mexicain Rodrigo Pietro, Silence a pour source d’inspiration principale la nature. Les paysages taiwanais ne sont pas uniquement de beaux panoramas mais des éléments diégétiques qui sont utilisés par les bourreaux comme des moyens de torturer les fidèles : torture aux sources chaudes des « enfers » d’Unzen, crucifiement en mer, pendaisons à l’envers… ou bien comme un piège à ciel ouvert lorsque les chrétiens sont traqués et encerclés. La bande son minimaliste n’impose aucune émotion au spectateur, pas de musique triste inspirant le pathos mais une bande originale d’ambiance du couple Kathryn et Kim Allen Kluge qui agit comme un instrument de la nature.

Le silence de Dieu

Face aux visions de tortures auxquelles est confronté le prêtre Rodrigues, celui-ci s’interroge assez vite sur la souffrance des fidèles. Pourquoi Dieu ne répond-il pas aux souffrances de ceux qui dédient leur vie pour Lui ? Rodrigues assiste toujours de loin aux exécutions des fidèles sans agir, dans l’attente d’un miracle. De la même manière que Jésus sur sa croix, le prête questionne Dieu comme porte-parole des sacrifiés : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Le silence est bien celui de Dieu qui ne réagit pas à la mort de nombreux chrétiens et aux prières de Rodrigues. Le film joue habilement de cette opposition entre silence de Dieu et vacarme des chrétiens torturés et tués, quand ce n’est pas la nature qui devient assourdissante comme c’est le cas avant que le titre du film n’apparaisse.

Image tirée du film

Silence, 2017, Metropolitan FilmExport

Renoncer pour (se) sauver

Le prêtre Rodrigues apparaît alors comme le seul pouvant sauver les fidèles à la seule condition de renoncer à sa foi, en posant son pied sur une médaille fumi-e, « juste une formalité » selon les seigneurs locaux. Nombreuses seront les tentations pour les chrétiens de renoncer à leur foi devant la facilité physique que représente le sacrifice. Le personnage de Kichijiro, le guide des deux prêtres, renoncera à de nombreuses reprises à sa foi pour sauver sa vie, même lorsque la vie de sa famille en dépend. Présenté comme un personnage tortueux au début du film, il ne cessera de faiblir puis demander le pardon. Il apparaît alors comme le personnage de Judas, qui sans cesse trahit Rodrigues pour sauver sa peau.

Crise de foi

Doit-on pardonner les traitrises de Kichijiro ? Quelle rédemption pour les lâches ? Le film repose aussi bien sur l’idée de la trahison que sur celle de la compassion, notamment des fidèles les plus faibles qui demandent le pardon.

Silence abonde d’icônes chrétiennes et du leitmotiv de l’image du Christ, celle de Greco, comme autant de symboles de dévotion. Mais la grande histoire des missionnaires jésuites au temps de la colonisation au Japon du XVIIe siècle semble être un prétexte pour évoquer des questionnements plus essentiels sur la foi et la nature de la relation qui unit l’homme à Dieu. Il s’agit d’une petite histoire dans la grande Histoire. La quête qui consistait à retrouver le père Ferreira se transforme en crise spirituelle. Un prêtre chrétien s’interroge sur sa foi et ses croyances vont être mises à mal par une autre culture, tout aussi légitime, qui rejette le Christianisme. Le film n’est pas moralisateur et ne prend parti pour aucune vérité. Il évite également les écueils du manichéisme car même les « méchants » ont leur raison face à cette religion chrétienne qui apparaît comme une figure du colonialisme. Enfin, il serait difficile de juger qui a raison, notamment lors d’une scène où le père Ferreira explique à Rodrigues que les chrétiens japonais ont une vision déformée de la religion chrétienne et qu’ils ne croient pas en un Dieu. Selon lui, les fidèles ne sont pas morts pour Dieu mais pour Rodrigues. Face aux souffrances des fidèles, au silence de Dieu et à son propre doute sur sa foi, le refus de Rodrigues de poser son pied sur image pieuse apparaît comme de l’orgueil : s’il renonce, ils seront graciés. Une question demeure, peut-on piétiner le Christ sans trahir sa foi ?

Image tirée du film

Silence, 2017, Metropolitan FilmExport

Le débat sur la foi est ouvert, Martin Scorsese ne prend pas parti pour la religion chrétienne. Il montre qu’on ne doit pas imposer la foi à une autre culture en remettant en cause la pertinence des missions jésuites. Au personnage principal il apporte le doute, qui n’est ni le contraire de la foi ni la négation de Dieu mais un chemin qui peut y mener. « La réponse est peut être dans le silence, il faut savoir écouter. »

You may also like

More in CINÉMA