CINÉMA

Spotlight : Et la lumière fût

En 2001, dans les bureaux du quotidien Boston Globe, alors que les écrans plats n’ont pas encore pris la place des écrans cathodiques, la rédaction organise un petit pot pour le départ d’un vieux collègue. Au programme, parts de gâteaux et petit discours de Walter Robinson, interprété par Michael Keaton. Bien ennuyés par ce début de film certainement moins bon que le gâteau, Tom McCarthy vient nous taper sur l’épaule dix minutes plus tard pour nous dire que son film commence enfin : Spotlight, l’équipe de journalistes d’investigations du quotidien, commence à travailler sur une affaire de pédophilie dans le diocèse local et se rend vite compte que l’affaire est d’une ampleur toute autre : 90 prêtres pourraient être concernés. Spotlight, s’il doit tout à l’histoire qu’il raconte et à son casting, nous emmène en beauté.

« Basé sur des faits réels »

« Inspiré d’une histoire vraie », « D’après une histoire vraie », nous connaissons tous ces formules collées à tout bout de champ sur les affiches ou bien au début des films. En dehors d’une utilisation marketing parfois douteuse, la nature de ces formules diffère, suivant les films. Parfois là pour donner une forme de crédibilité à des fictions extraordinaires comme quand un personnage de film se coupe lui-même le bras pour survivre (127h, Danny Boyle, 2010), ces formules peuvent être d’un ordre plus politique, venant appuyer le discours d’un film montrant un changement d’une partie de la société ou même une volonté de changement. C’est le cas pour We Want Sex Equality (2011) de Nigel Cole, où la cinéaste décide de montrer les grèves menées par les femmes, dans les usines Ford en 68. Ces formules ancrent tout de suite les films dans une réalité plus ou moins proche, plus ou moins modifiée. Spotlight est de ces films appuyés par la formule, ceux pour lesquels on se demande toutes les dix minutes « cela s’est-il vraiment déroulé ainsi ? » tellement l’histoire nous donne à voir une réalité terrifiante. En effet, Tom McCarthy ne montre pas un travail d’investigation sur un cas isolé de pédophilie, mais bien sur les dessous d’un système où quand les institutions « travaillent ensemble », elles font en fait perdurer la corruption. Il s’agissait, dans la réalité, de faire éclater une affaire au grand jour, où l’ensemble des prêtres accusés de pédophilie étaient protégés par l’Eglise (alors toute puissante) et par certains avocats (subissant des pressions de la part de l’Eglise).

Après la révélation de l'affaire par le Boston Globes, le cardinal avait été contraint de démissionner. © AFP

Après la révélation de l’affaire par le Boston Globes, le cardinal avait été contraint de démissionner. © AFP

Le film va encore plus loin et se présente comme un réquisitoire contre la pédophilie dans l’Eglise à l’échelle de la ville de Boston mais aussi des Etats-Unis et du monde entier : au générique, le cinéaste décide de faire la liste – interminable – des villes du monde dans lesquelles des abus sur des jeunes garçons et des jeunes filles ont été perpétrés par des prêtres.

Les vrais journalistes, apôtres du film

La promotion de Spotlight, menée en partie dans l’idée que la réalité était plus importante que l’œuvre de Tom McCarthy, semblait en grande cohérence avec ces fameuses listes de villes au générique. Les journalistes à l’origine du dévoilement de cette affaire viennent sur les plateaux télés et en interview, en Europe et ailleurs. Ils sont mis à l’honneur et mis en valeur, à un moment où le journalisme n’est pas vraiment un sujet prisé des cinéastes. Michael Rezendes (interprété par Mark Ruffalo dans le film) et Walter V. Robinson (Michael Keaton), tous les deux prix Pulitzer 2003 (N.D.L.R : prix américain remis à certains journalistes pour leur travail, un des plus prestigieux de la profession) confirment à chaque fois, de façon très sincère, la précision du travail de reconstitution qu’a opéré l’équipe du film. Et c’est exactement Spotlight  : une telle précision que nous en oublions totalement le montage, les rouages. L’important devient l’enquête de cette grande équipe, à laquelle nous participons un peu en tant que spectateur, par la pensée, par l’émotion.

Walter Robinson et Mike Rezendes, du Boston Globe © Casey Curry/SIPA

Walter Robinson et Mike Rezendes, du Boston Globe © Casey Curry/SIPA

Un film-série ?

Une fois en connivence totale avec le film, certains codes utilisés dans les séries d’investigation nous sautent à la figure. En effet, de l’image grise et métallique où les années 2000 se ressentent qu’à moitié à la disposition des personnages dans un bureau nous donnant l’impression d’être devant une affiche de NCIS, nous nous demandons parfois quelle forme nous est proposée. Mais l’ensemble du casting sait se tenir le menton et faire semblant d’être sérieux, avec panache, avec classe. Et en plus, les personnages principaux sont humanisés, par de petits détours dans leurs vies personnelles : ça sonne juste, comme la distance qu’il prend avec l’histoire qu’il raconte. Le cinéaste ne verse jamais dans le spectaculaire ou la starisation à tout va. Quand l’affaire éclate au grand jour, l’équipe de Spotlight est heureuse mais incroyablement calme. Il montre des héros fiers, humbles et silencieux. Pas de bruit pour rien, personne pour brosser l’autre dans le sens du poil : le travail est encouragé puis félicité. Et toujours dans un souci de cohérence, l’absence de spectaculaire dans le traitement des personnages rejoint la quasi-absence de propositions esthétiques de Tom McCarthy : Spotlight reste très classique, proposant une efficacité narrative, où le cadre choisi montre l’action qui se déroule à l’intérieur de celui-ci et non au-delà. Là où son format de film est gagnant, c’est sur le montage : une série, en plus d’amener beaucoup plus de détours fictionnels, aurait été une source d’essoufflement. Là, l’essoufflement est provoqué sur le spectateur et à juste titre : quand il s’agit d’investigation, pas question de se poser.

© Open Road Films

© Open Road Films

Spotlight est de ces films qui prennent en charge des événements d’une importance considérable et où le cinéaste se pose réellement des questions de représentation. L’impression que Tom McCarthy a pleinement conscience des enjeux de son film et de sa potentielle réception ne peut que susciter notre enthousiasme. Avec Spotlight, Tom McCarthy signe plus qu’une œuvre très réussie : il propose de mettre en lumière le travail hallucinant de quelques journalistes et re-dévoile au monde une affaire qui ne doit pas être oubliée.

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