CINÉMA

Les chevaliers ne sont pas blancs

Sous le commandement de Jacques Arnault (Vincent Lindon), président de l’ONG Move for Kids, des humanitaires vont se rendre dans un pays d’Afrique ravagé par la guerre pour recueillir des enfants orphelins et les exfiltrer en France où des familles adoptives les attendent. Ils ont un mois pour rassembler 300 enfants de moins de cinq ans. Pour mener à bien cette mission et obtenir de l’aide des chefs de village, les bénévoles vont prétexter construire un orphelinat sur place.

Les Chevaliers Blancs est une libre adaptation de « l’Affaire de l’Arche de Zoé » en 2007 : le président de l’Arche de Zoé Eric Breteau et sa compagne Emilie Lelouch avaient tenté d’exfiltrer des orphelins du Tchad vers la France. Arrêtés avant de quitter le Tchad, ils s’apprêtaient à embarquer une centaine d’enfants, pour la plupart tchadiens, mais qui n’étaient pas tous orphelins. À la réalisation de ce long-métrage : Joachim Lafosse, cinéaste belge (À perdre la Raison) choisit de mettre en scène une affaire largement traitée par les médias, sans pour autant la romancer. Pari risqué…

Le film s’ouvre sur des sapeur-pompiers français accompagnés d’infirmiers bénévoles et d’une journaliste-reporter qui débarquent en Afrique. Le spectateur est très vite plongé dans l’action, les intentions des humanitaires sont claires et l’entreprise nous apparaît bienveillante voire quasiment héroïque. Des 4×4 sillonnent le désert façon Mad Max sur une musique haletante de mauvais goût. Allons sauver ces pauvres orphelins ! Notons déjà que Joachim Lafosse dirige magistralement ses acteurs : Vincent Lindon, remarquable, ne fait pas d’ombre à ceux qui l’entourent : Louise Bourgoin, Reda Kateb et Valérie Donzelli trouvent leur place et sont très justes. Si pour le spectateur, la mission des humanitaires apparaît judicieuse au cours de la première heure du film, Lafosse va prendre de plus en plus de distance et nuancer la description de ses personnages. Les chevaliers ne sont pas blancs, ils sont gris. Et c’est là tout le propos du film.

© Versus Productions / Les Films du Worso

© Versus Productions / Les Films du Worso

Le personnage interprété par Reda Kateb venait déjà mettre en évidence les failles de l’entreprise menée par Jacques Arnault, notamment d’un point de vue « logistique » dans la première partie du film. Mais c’est le personnage de Valérie Donzelli qu’il faut regarder de plus près. Cette journaliste, venue pour filmer un reportage, est extérieure à l’action menée par ces humanitaires. À l’image du cinéaste, qui a du recul et prend de la distance sur ce qu’il filme, elle apparaît comme un double pour Joaquim Lafosse qui ne prend pas directement parti au sein du débat. C’est elle qui va mettre à mal le discours de Jacques et pointer des problèmes d’éthique. Elle va véritablement orienter le spectateur et reconsidérer les discours : « ne croyez pas tout ce qui est dit », nous dit-elle. Elle montre les limites des bénévoles, dépassés par les événements et obsédés par leurs bonnes intentions.

Dès lors le film prend un tournant plus intéressant. Joachim Lafosse, en jouant la carte de la neutralité évite les écueils du manichéisme. Les humanitaires doivent recourir à des plans de secours et surtout à l’argent. S’ils sont confrontés à des chefs de village qui mentent sur l’identité des enfants, eux mentent également sur leur entreprise. Lafosse ne défend plus ses personnages. Libre au spectateur de juger s’ils ont raison ou tort d’exfiltrer ces enfants. Ils se rendront compte que personne n’est ni tout blanc ni tout noir dans cette affaire.

Si l’on peut s’interroger sur la neutralité de Joachim Lafosse et son absence de point de vue,  le film pose toutefois des questions intéressantes : jusqu’où est-on prêt à aller pour servir un projet dont l’idée de départ est tout à fait légitime ? A quel moment ce projet dérive-t-il et devient à ce point personnel qu’il nous aveugle et nous conduit à des actes répréhensibles ? Mais surtout où commence le néocolonialisme ? Un enfant africain est-il plus heureux en dehors de son pays ? Ces questions, Joachim Lafosse n’a pas la prétention d’y répondre dans son film. Et c’est peut-être mieux ainsi.

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