CINÉMA

Snow Therapy – Les nerfs au bord des lèvres

Une famille suédoise mange sur la terrasse d’un restaurant. Un restaurant sur pilotis, planté dans quelques mètres d’une neige fraîche. Les plats sont bons. Le père est habillé d’un manteau bleu, la mère a les cheveux tirés, les enfants-roi boudent. Afin de sauver la politesse fade de leurs discussions, les reliefs des pics et des crêtes agrémentent l’arrière-plan. Soudain, les vallées et couloirs enneigés tremblent sous le choc d’une détonation. La neige dégringole, se nourrissant d’elle-même. C’est l’avalanche. Impressionnante, elle s’approche dangereusement de la terrasse. Panique. Comme un grand nuage de cendres, les flocons étouffent les cris des enfants. Le nuage est épais. Une sorte de crasse blanche dont il faut sortir pour survivre. La neige s’est arrêtée à temps, ne se transformant pas en faucheuse emportant les âmes dont le sang était déjà glacé. Dans Snow Therapy de Ruben Östlund , le nuage décide de rester dans les esprits.

Se prendre une avalanche ou un rouleau sur une plage de Biarritz, l’effet doit être à peu près le même. Après deux ou trois tonneaux en mode machine à laver, le cœur au bord des lèvres, on essaye de marcher droit. Et on tombe. L’avalanche, dans Snow Therapy, vient faire remonter le fond des tripes, le fond des nerfs de Tomas et sa femme. Alors que la nature et le grand air sont à leur porte, Ruben Östlund a choisi de brouiller les repères, n’expliquant rien, ne montrant rien de vraisemblable, rien qui puisse donner du crédit à la situation. Tout simplement parce que le nœud de l’histoire, c’est la tension du couple – le reste, on s’en tamponne l’oreille avec une babouche. Et cette invraisemblance est au service de la tension, presque palpable.

Chaque jour, la famille est sur les pistes, pouvant s’envoler dans de grandes courbes sur la poudre. La caméra plane avec eux, avec une douceur rare. Ils sont seuls. A la fin de chaque journée, la famille retourne à l’hôtel pour glisser sur les parquets vernis. La caméra caresse les corps habillés de bleu. Ils sont seuls. L’éternelle solitude dans une station d’hiver en hors-saison, cela ne semble pas impossible. Mais lorsque les saunas et les restaurants ressemblent à des boîtes de sardines, cela devient étrange. Étrangement efficace. Le vide silencieux des lieux pèse sur nous comme un couvercle.

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Alamode Film – Droits réservés

Chaque soir, c’est vibromassage dentaire en famille devant le miroir. Et à la façon du vrombissement des moteurs dans les embouteillages d’un lundi matin, les brosses à dents électriques sont routinières. Cette boucle infernale qu’ils fuyaient, représentée explicitement entre autre par l’Eté de Vivaldi – leitmotiv musical du film assez paradoxal en hiver -, revient incessamment, au galop. Toujours dans le principe de la boucle, le couple réinterprète le déroulement de l’épisode de l’avalanche, en confrontation avec le jugement d’un autre couple. Ces situations semblent d’ailleurs être une simple excuse pour remettre le sujet sur le tapis, d’où il faut parfois sortir d’un coup de facilité scénaristique, comme balancer un drone en pleine tête d’un invité. D’après Ebba, Tomas est un père indigne et égoïste, n’ayant pris soin que de son iPhone et de ses gants, pas de ses enfants alors que la mort était au balcon. Et communiquant entre eux autant que des huîtres, un malaise s’installe. Lui, d’abord dans un certain déni par rapport à cet épisode de leur vie, tente de se protéger ensuite en se plaçant en « victime de son propre instinct » dans une scène atroce et larmoyante à souhait. Les enfants, mis de côté, sortent peu à peu du cadre. Malheureusement, par des ellipses trop nombreuses et l’absence cruel de rythme, ce manque de communication semble être à l’image des raccords et du montage : bancal.

Le réalisateur se sauve en jouant avec les lieux, à la fois espaces et reflets de l’intériorité des personnages. Le couple est complètement coupé de l’extérieur. Lorsque Tomas part skier une journée seul et que deux jeunes filles se payent sa tête sur des transats, on ne voit jamais leurs visages : elles sont extérieures à son monde. Et l’appartement loué par la famille semble représenter l’absence de communication, l’enfermement ; le couloir, lui, est une échappatoire, un lieu pour suturer les plaies. La lecture devient double et nous oublions l’invraisemblance.

A première vue, Snow Therapy semblait être un de ces films mal montés traitant d’un sujet en se plaçant en dehors de toute réalité, loin du spectateur, loin de nous. Mais Ruben Östlund, l’acteur Johannes Bah Kuhnke et l’actrice Lisa Loven Kongsli réussissent à créer un film-malaise à en devenir insomniaque.

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