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Snøhetta : se réinventer, continuellement

Si le nom de Snøhetta ne vous évoque pas grand-chose, Times Square, l’opéra d’Oslo ou encore le Grand palais vous parleront peut-être plus. Leur lien avec Snøhetta ? Eh bien c’est ce cabinet d’architecture et de design qui a, avec brio, apposé sa patte dans ces monuments. Un réaménagement à Times Square, une restauration au Grand Palais et une conception complète pour l’opéra d’Oslo. Récemment, le groupe Le Monde a annoncé qu’il confirait à ce même cabinet la construction de son futur siège. Plus tôt, c’est la Banque de Norvège qui l’a choisi pour coréaliser ses billets de banque.Ce mois-ci, Maze a pu poser quelques questions à Kjetil T. Thorsen cofondateur de Snøhetta et Martin Gran, directeur du Branding de l’agence.

Êtes-vous toujours Snøhetta, la petite agence d’architectes norvégienne, ou Snøhetta, celle que l’on a sélectionné pour recréer Times Square ?

Petite est peut-être le mauvais terme, il y a quelque temps, nous étions petits. Mais oui, nous fonctionnons toujours comme un studio où tout le monde est impliqué le plus possible. Nous avons aussi conservé le même processus pour arriver à nos objectifs. Nous utilisons l’approche transdisciplinaire que l’on définie chez nous par le processus de transposition [NDLR : Prendre des éléments d’une discipline pour les intégrer dans une autre], et qui reste notre principale méthode de travail. L’implication de différentes professions et de différentes personnes est toujours un élément moteur de notre processus de création.

Quelle a été votre réaction lors de votre sélection sur le projet de la librairie d’Alexandrie ? A ce moment c’était quelque peu David contre Goliath, quelle était le « one more thing » qui a fait la différence ?

Tout d’abord, il faut rappeler que c’était notre première compétition internationale. Nous donnons toujours le meilleur de nous-même, mais gagner une telle compétition était au-delà de toutes nous espérances. Nous savions que le projet était solide, logique et avait un concept fort, mais ce type de compétition dépend de nombreux facteurs. J’ai décalé un voyage le week-end de la décision simplement par ce que pour nous le projet était suffisamment bon pour gagner un prix. Mais quand j’ai reçu l’appel d’Alexandrie, ça a été difficile de comprendre ce qui était dit à cause de la mauvaise connexion. J’ai compris que nous étions troisièmes. C’est seulement après un second appel que j’ai compris que nous étions premiers. Notre vision du futur a changé en quelques secondes. Des nouvelles pareilles, ça n’arrive pas tous les jours. Ça déboule et c’est dur de prendre du recul sur de telles informations en quelques instants. On réalise avec le temps.

Le « one more thing » a surement été la combinaison de plusieurs choses comme le concept, l’aspect fonctionnel, l’expression artistique et le contenu. Bien évidemment, notre approche contextuelle a aussi aidé.

Comment décririez-vous Snøhetta en un mot ?

Il nous faudrait plutôt trois mots : People, Processes and Projects. (Des hommes, des processus et des projets) Dans cet ordre.

© Snøhetta 2015

© Snøhetta 2015

C’est Martin Gran qui a accepté de répondre à nos questions sur le projet que l’agence a présenté à la banque de Norvège lors du concours visant à sélectionner les futurs billets du pays.

Êtes-vous totalement satisfaits d’avoir gagné le concours ou auriez-vous préféré gagner le concours pour les deux faces des billets ?

Nous cherchons toujours à créer de manière Holiste, que cela soit en architecture ou en design graphique. Toutes les faces doivent donc être considérées comme une partie de l’ensemble. Dans ce cas, nous avons le privilège de co-créer avec The Metric System Studio et la banque de Norvège. Nous espérons non seulement créer un billet au design innovant, mais aussi ouvrir les possibilités d’alliances de design pour interconnecter notre industrie.

Avez-vous eu des retours sur votre projet ? Ces billets sont surprenants comparés aux autres billets que l’on peut trouver dans le monde.

Nous avons créé un concept avant de choisir le design : “The beauty of Boundaries” (la beauté des liens). Notre design est une interprétation de comment nous pouvons conceptualiser les objectifs définis par la banque de Norvège. Nous comprenons que ce n’est pas une forme générique de billets, mais nous la considérons comme le meilleur concept de communication. Ainsi, nous nous sommes en quelque sorte auto designés hors de la catégorie des billets de banque traditionnels. Nous pensons que le concept a surpassé le besoin de créer quelque chose de traditionnel.

Ce genre de projets est plutôt différent de ce que les agences de Branding font habituellement, pourquoi entrer dans cette compétition ?

Chez Snøhetta, nous avons un large éventail de projets. Nous créons des bibliothèques à travers le monde, faisons du packaging en Europe, des bâtiments culturels, des espaces de vente, nous créons aussi des identités visuelles et des paysages à New York. En Norvège, nous faisons des billets de banque ! Ce qui connecte tous ces projets entre eux, c’est notre croyance dans la création transdisciplinaire et l’espoir d’améliorer les interactions sociales grâce à notre travail. Réaliser ce projet de billets, un objet qui passe par un nombre incalculable de mains, est peut-être le projet le plus social que Snøhetta ait jamais réalisé ?

Avez-vous eu besoin d’une formation “comment-faire-des-billets” ou avez-vous eu immédiatement des idées sans aide extérieure ?

La banque de Norvège nous a apporté un précieux support lors de ce projet. Tous les participants ont été invités à un séminaire ou l’on nous a expliqué le design des billets de banque et la manière d’intégrer les nombreux éléments de sécurité nécessaires à ceux-ci.

© Snøhetta 2015

© Snøhetta 2015

Plutôt peu médiatisé, le projet du futur siège du groupe Le Monde, n’a pas fait les unes en français. Cependant, celui-ci est un des plus grand projets que le groupe de presse ai réalisé ces dernières années. Retour avec Kjetil T. Thorsen pour évoquer le futur du journal du soir.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce projet, quel aspect de celui-ci vous a donné envie d’imaginer ce bâtiment ?

Le Monde est un des plus grands groupes de presse au monde. Notre intérêt principal était de voir si nous pouvions traduire la vision et la culture du groupe dans un environnement architectural. Un reflet des personnes, qui y travaillent, et y ont travaillé. Un reflet aussi, de l’impact de ce travail sur la société.

A-t-il été facile d’intégrer ce bâtiment dans l’architecture Parisienne ? Et plus généralement, pensez-vous que le « vieux » Paris est apte à la construction de bâtiments modernes ?

Il n’est jamais facile de faire de l’architecture, en particulier dans des environnements avec un passé et un contexte local fort. Cependant, nous avons passé du temps dans Paris. Avec notre client [Le groupe Le Monde], mais aussi avec d’autres membres de l’équipe pour créer une atmosphère qui selon nous représente Le Monde et le lieu choisi pour le futur bâtiment.

Les éléments typiques de l’architecture Parisienne sont les arches et les voûtes. Elles connectent différentes situations et s’étendent au-dessus des espaces et des rivières. Quand les sphères, comme dans notre cas, créent ces différentes connexions, elles sont alors à la fois contextuelles, c’est-à-dire partie intégrante du bâtiment, mais aussi globales car elles restent un symbole universel des connexions.

Ainsi, dans à peu près tous les lieux, il y a une place pour de nouveaux bâtiments. Mais cela dépend de la qualité et des efforts que l’on met à leur conception.

A propos de Paris, que pensez-vous de l’architecture haussmannienne ?

Le plan urbain haussmannien et son architecture étaient pertinents et un renouveau dont Paris avait besoin lors de sa mise en place. Le plan est centré autour des conditions de vie des habitants avant tout. Je pense qu’il nous dirige aussi vers une approche moderne de l’air et de la lumière.

© Snøhetta 2015

© Snøhetta 2015

Enfin, retour sur un autre projet d’ampleur pour l’agence : l’aménagement de tout un quartier, le quartier gouvernemental d’Oslo.

Pourquoi des formes si « brutes » ? Dans les images du projet qui ont été publiées, les futurs bâtiments tranchent avec le reste de la ville.

La commission des bâtiments gouvernementaux d’Oslo avait pour but de tester certaines positions architecturales de ces lieux en particulier, le quartier gouvernemental]. Nous avons, de nous-même choisit de présenter un concept totalement intégré et durable au niveau environnemental. Il suit le principe “Forms follow environment” (les formes suivent l’environnement) et est négatif en CO2. Pour cela, les formes ont été créées avec une volonté d’optimisation de la production et de la consommation énergétique, tout en laissant autant de surface que possible au grand public.

Avez-vous essayé de conserver l’esprit des bâtiments précédents, ou est-ce que le concept est un renouveau total ?

Seulement deux bâtiments nous ont intéressé : L’ancien poste de police et ce que l’on appelle le H-Blokka. Tous deux ont gardé leur importance dans notre proposition et la station de police est devenue la porte d’entrée des futurs bâtiments.

Le choix a-t-il été unanime ou aviez-vous d’autres concepts ?

Tous les concepts étaient des recommandations pour le développement futur d’un projet de nouveau siège du gouvernement. Dans l’année qui va suivre, un nouveau plan général va être développé pour ces lieux.

Avez-vous des plans particuliers pour le futur ? Vous étendre, vous concentrer sur un domaine particulier ? Continuer tel quel peut-être ?

Nous souhaiterions évoluer et mettre l’accent sur nos processus, et notre perception de l’architecture et du design comme d’excellents outils pour créer des sociétés meilleures. Dans cette optique, nous souhaiterions nous étendre au-delà de l’architecture, de l’urbanisme, du design d’intérieur et du design graphique vers de design industriel. Notre spécialisation est horizontale.

“Architecture can do whatever it wants to do and whatever we want to, if we have the right angle to look at it.” –  Kjetil Thorsen

(L’architecture peut faire tout ce qu’elle veut, et tout ce que l’on veut. Il suffit d’avoir le bon point de vue)

Au-delà de la simple conception de marques ou de bâtiments, Snøhetta réussi donc à prouver à chaque nouveau projet que l’architecture, loin d’être immobile, est, au contraire changeante et sait s’adapter aux circonstance. La firme a su conserver son organisation collaborative tout en devenant un mastodonte de l’architecture internationale. Ce travail et cette continuité ont été récompensés de nombreuses fois par les plus prestigieux prix architecturaux.

En ce qui concerne la France, un rendez-vous est fixé : 2017 qui, si les délais sont tenus, marquera l’inauguration du nouveau siège du groupe Le Monde.

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