ART

Marina Abramović, définition d’un art nouveau

”THE ARTIST IS THE UNIVERSE” 

      Née en 1946 en Yougoslavie, Marina Abramović s’annonce dès les années 1970 comme un talent destiné à faire trembler le monde de l’art moderne. Intégrant à 24 ans l’académie des Beaux-arts à Belgrade, sa ville d’origine, elle est la première à utiliser le corps comme support d’art, testant et repoussant aussi bien ses limites physiques que mentales. Son cycle de création est né lors de sa première performance en 1973 alors qu’elle use de médicaments et d’objets tranchants pour se mettre à l’épreuve et exprimer de manière radicale son opposition à la culture répressive de la Yougoslavie d’après- guerre menée par Tito, et à l’éducation stricte qu’elle a reçue. La relation en tout point charnelle entre exaltation artistique et risques ne cessera de s’accroître dans l’évolution de sa carrière avec l’apparition de pratiques telle que la scarification, ou bien l’usage du feu, qui lui a d’ailleurs fait frôler la mort lors d’une de ses représentations, lorsqu’entourée d’un rideau de flamme dont elle était le centre, elle atteignit un état de suffocation inquiétant et ne fut sauvée que grâce à la réaction d’un des spectateurs qui se porta à son secours. Loin d’être suicidaire, puisqu’elle affirme elle-même dans un manifeste de son cru exposant les règles auxquelles devrait répondre un artiste, qu’il ”should not commiting suicide”, ne doit pas se suicider, mais ‘‘should suffer”, doit souffrir, car, selon Marina, ”From the suffering comes the best work‘ de la souffrance provient le meilleur travail. Cette femme tend vers un état de pure présence de sa part en tant que créatrice, objet d’art, mais aussi de la part du public, comme elle en témoigne : “Je suis intéressée par l’art qui dérange et qui pousse la représentation du danger. Et puis, l’observation du public doit être dans l’ici et maintenant. Garder l’attention sur le danger ; c’est se mettre au centre de l’instant présent.

Scarification réalisée en direct à Moma

Marina Abramovic, Moma

Cette thématique du temps sera l’un des piliers de la présentation de sa pratique artistique au public lors de la rencontre organisée en son honneur par the Smithsonian’s Hirshhorn Museum and Sculpture Garden. En effet, Marina y expose sa vision de l’art,  cette attention portée sur le présent et non plus égarée dans les souvenirs ou les projets. Tout s’exprime alors dans le rapport d’énergie établi entre les êtres, cette source communicationnelle qui se passe bien souvent de mots, mais qui grâce au regard ou aux gestes, voire à des symboles, trouve une intensité qui donne une consistance parfois dérangeante, mais souvent fascinante, à l’action, même minime. Tout le brio de l’artiste réside dans cette familiarisation avec l’impalpable, la frontière entre contrôle et perte de contrôle où le danger sert à révéler l’acteur et le témoin, qui, par son attention, teste  les limites de ce qu’il peut supporter mentalement dans la souffrance d’autrui.

S’exerçant depuis de nombreuses années dans cette voie avec son ex compagnon, Ulay (Frank Uwe Laysiepen), Marina Abramović poursuit ainsi sa réflexion sur le rapport de pouvoir et de dépendance entretenu par le public et l’artiste, invitant les contemplateurs de ses œuvres à prendre part entière à celles-ci, comme lors de sa dernière exposition intitulée The artist is present, où une table trône en plein milieu d’une pièce, et de chaque côté se regardent intensément l’artiste et le spectateur/acteur, assis tous deux sur des chaises tandis que le reste de la pièce est entièrement nu, excluant toute distraction et pareillement, tout échange langagier. Pascal n’avait-il lui-même pas déclaré dans ses Pensées* : ‘‘J’ai découvert que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre”, à simplement méditer sur sa nature ? Et bien Marina offre à cet homme son propre reflet afin qu’il puisse plonger aussi profondément que possible dans son intérieur.

Marina Abraomvic avec un spectateur/acteur à MOMA

Porte ouverte sur l’intériorité et de même, la pluralité, l’art de Marina Abramović n’a pas pour but premier d’être spectaculaire ni de choquer, mais prouve au contraire que les actes les plus simples, s’ils reçoivent l’attention méritée, peuvent être autant de clés de compréhension de l’être, et s’avérer encore plus efficaces que de verbeuses tirades aussi interminables que faussées. Douleur, passion, vie, mort, corps et esprit ne forment alors plus qu’un seul et même objet sensible, enfin prêt à goûter au pur instant. Voilà à quoi cela revient de plonger dans l’univers saisissant de la serbe Marina Abramović. Un documentaire réalisé par Matthew Akers et Jeff Dupre aura par ailleurs cristallisé son art en cette année 2012. Intitulé The artist is present, il retrace l’oeuvre de cette artiste, sans doute la plus active dans le mouvement du body art. Le teaser de ce film est disponible ici : Marina Abramović – The Artist is Present.

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*Blaise Pascal, Pensées, (éd. Brunschvicg n° 139)
Maître ès lettres. Passionnée par la littérature et les arts | m.roux@mazemag.fr

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