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Festival – Le « corps » en question au festival des Utopiales

En novembre s’est déroulé à Nantes le plus grand festival européen de science-fiction et de l’imaginaire : les Utopiales. Pendant quelques jours la ville s’est projetée dans le(s) futur(s) afin de réfléchir aux mondes de demain à travers un thème particulier : le corps.

Le festival des Utopiales est l’endroit rêvé pour tous fans de science-fiction, et plus largement pour tout ceux qui aiment les productions liées aux mondes de l’imaginaire. On y déambule de conférences en conférences, de films en films, d’expos en expos, ou encore d’étales de livres en dédicaces. S’étalant sur six jours, ce festival nantais réunit auteurs, réalisateurs, artistes, penseurs, scientifiques, médecins, et beaucoup d’autres, pour discuter et débattre du monde d’aujourd’hui et (surtout) de demain.

Le corps dans tous ses états

Alors qu’on pénètre dans le hall d’entrée de la cité des congrès, on aperçoit l’immense affiche du festival faite par l’artiste Beb-Deum, représentant une femme androïde aux bras mécaniques, à la chevelure transparente et au tronc flottant au-dessus d’une ville futuriste. Le corps – thème de l’édition 2018 du festival – saute aux visages des festivaliers. Mais il n’est pas question seulement du corps organique, fait de chair et de sang (et peut-être demain, d’implants, de prothèses biomécaniques, ou d’organes synthétiques) mais aussi du corps social, celui qui forme les sociétés et les identités.

© Lionel Allorge — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

En effet, s’il a beaucoup été question de transhumanisme aux Utopiales 2018, ou encore de villes du futur, il a aussi – et surtout – été question d’identités, et des corps acceptés dans les sociétés en opposition à ceux qui en étaient rejetés. Du côté de la science-fiction, le corps a longtemps été stéréotypé : fort (voir surhumain et possédant des pouvoirs extraordinaires), mince, valide, blanc, souvent masculin, et symbole d’une (certaine) humanité toute-puissante. Il était donc temps de faire un petit point sur les corps dans les œuvres de l’imaginaires, et de revenir sur les grands oubliés de la SF : les corps réprimés, ostracisés ou encore cachés.

« Où sont les femmes ? » (Et les autres ?)

Qu’elles soient femmes, transgenres, personnes racisées, ou encore possédant un handicap : les minorités ont pris le pouvoir des salles de la Cité des Congrès, elles ont « pris corps » pour donner de la voix et ouvrir une autre voie. Cette année, le festival a mis sur le devant de la scène des personnalités comme Sabrina Calvo, écrivaine transgenre, qui convoque son droit à ne pas se définir, et ne pas savoir se définir en tant que genre dans les codes de la société actuelle. Ou encore l’écrivaine Jeanne A. Debats et le photographe Antoine Mottier qui ont rappelé la quasi-absence des personnages malades et/ou handicapés dans la littérature et les films de SF.

Dans la science-fiction, s’il n’est pas un stéréotype, le corps devient un invisible, un impensé : les corps dans la science-fiction sont un support qui sert aux personnages, un moyen de locomotion, un habitacle pour des esprits pensants. Mais comme le rappelle Elisabeth Vonarburg – écrivaine de SF québécoise – en citant Jonathan Swift qui parlait de son amante : « même Stella chie ». En effet, mêmes les corps les plus parfaits, les plus fantasmé, sont rappelés à la dure réalité de la vie, aux besoins « triviaux » de nos existences. « Nous sommes des corps  » continue l’autrice québécoise : l’esprit, les idées, ne peuvent être pensés en dehors du corps car ils font partie de ce corps. Ce sont ces corps qui définissent qui nous sommes, qui nous modèlent, qui nous façonnent, et ils n’ont pas à rassembler à « l’homme blanc cis genre et hétéro normé » clament plusieurs intervenants au cours de conférences.

Hommage à Ursula

Il a donc fallu penser l’Autre, définir ce vertige devant lequel on a peur de tomber lorsqu’on se retrouve face à la différence, à l’inconnu. Peu d’écrivains, et d’artistes ont réussi à retranscrire cette expérience de l’altérité, mais une autrice était sur toutes les lèvres lorsqu’il s’agissait d’en parler : Ursula K. Le Guin. Avec son roman La main gauche de la nuit où elle met en scène des êtres humains androgynes, à la fois mâle et femelle selon leurs envies et leur cycle, cette écrivaine américaine a réussi à nous faire toucher du bout des doigts ce que représentait être en contact avec l’Autre, celui qu’on ne peut saisir, qu’on ne peut connaître.

« C’est une des premières à mettre en scène une vieille femme comme personnage principal  » rappelle Elisabeth Vonarburg au cours de la conférence hommage dédiée à l’autrice, décédée en janvier dernier. Elle a aussi fait place au corps mutilé, avec son personnage de Tehanu, dans le cycle de Terremer, dont le corps est à moitié brûlé, et au corps non-blanc – les personnages de Terremer sont décrits comme ayant la peau « brune ». Avant-gardiste avant l’heure, Ursula K. Le Guin et ses ouvrages ont rappelé aux festivaliers et aux invités des Utopiales cette année que la science-fiction n’était pas qu’une histoire de soucoupes volantes, de boulons, et d’extraterrestres menaçants.

Docteur en curiosité, conteuse d'histoire, adepte des vidéos de vulgarisation sur youtube, et fan incontestée d'Alain Damasio, je veux changer le monde (entre autre) et faire dégonfler mes chevilles !

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