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Symbiosis Lesbos Festival : et si l’art nous apprenait à vivre ensemble ?

Le Symbiosis Lesbos Festival, c’est le pari en lequel ont cru cinq jeunes, que l’espoir d’un monde meilleur a réuni : organiser un festival au beau milieu d’une île secouée par une crise inédite. Déclinable à l’infini, cette première édition offre un nouveau modèle d’action pour faire face à l’arrivée de milliers de réfugiés sur un territoire : l’art.

Depuis les années 1980, l’île grecque de Lesbos, en mer Égée, est connue pour son attrait touristique : celle que l’on appelle aussi l’île d’émeraude accueille chaque été des milliers de touristes internationaux attirés par des paysages contrastés, une flore et un patrimoine culturel d’une richesse rare. Mais depuis plus d’un an déjà, Lesbos est aussi tristement célèbre pour la crise qu’elle affronte : plus de 20 000 réfugiés syriens, afghans, irakiens ont rejoint le territoire depuis mai 2015, et il en arrive encore quotidiennement. Celle que l’on surnomme désormais « Lampedusa grecque » n’a pas les moyens de faire face, seule, à ces arrivées massives. Marquée, transformée, secouée par les manifestations et les révoltes, l’île doit s’adapter à ces populations nouvelles fuyant la guerre et l’horreur de leur pays. Un mélange d’un nouveau genre s’est donc créé dans le dème de Lesbos, un mélange de touristes -de moins en moins nombreux, d’habitants, de réfugiés et de bénévoles, autant de communautés diverses qui doivent apprendre à vivre ensemble.

Quand les grands esprits se rencontrent

En janvier 2016, un jeune palestinien, Hussein, arrive sur l’île de Lesbos pour intervenir en tant que médiateur culturel auprès de l’association Médecin Sans Frontières. Très vite, il s’engage dans la communauté locale et rencontre Rita, une jeune Thessalonicienne installée à Lesbos et travaillant à la création de spectacles avec des jeunes locaux. De cette rencontre naîtra le premier projet de cette aventure : Rita veut créer une troupe de théâtre, Hussein a déjà une idée de festival autour de la crise des réfugiés ; ils inventent ensemble le concept de Théâtre de l’Espoir, qui mêle des éléments de chacun de leur projet. Ce Théâtre se transformera en Centre Culturel, dont la mission sera de promouvoir les collaborations interculturelles et d’attirer des artistes internationaux vers les richesses de l’île. C’est déjà le Symbiosis Festival qui est en germe.

Symbiosis Festival Molyvos

Chaîne humaine de participants lors du festival

Pour que le projet définitif éclose, il faut traverser l’Europe, direction : Londres. C’est là-bas qu’une jeune Thessalonicienne expatriée, Lida, travaille elle aussi sur un projet de festival à Lesbos, sans se douter de ce qui se trame déjà sur place. Elle doit sa rencontre avec Hussein et Rita à un groupe de bénévoles londoniens qu’elle fréquente et qui a entendu parler du Théâtre de l’Espoir. Engagés dans un processus commun, partageant les mêmes valeurs, les trois créateurs décident de fusionner les deux projets et de créer : Symbiosis. Tout un symbole.

Mais le destin ne s’arrête pas là : une autre jeune Thessalonicienne vivant à Londres, Eri, entend parler de Symbiosis. Dès le lendemain, cette musicienne passionnée a déjà enregistré des bandes son destinées au festival. Enfin, c’est Mersa, une artiste grecque, qui ferme la marche des rencontres-miracles : grâce à sa parfaite connaissance de l’île et de la scène locale, elle devient un membre très précieux au sein de l’équipe principale dans la mise en œuvre du projet sur le terrain.

L'équipe de créateurs en quelques photos

L’équipe de créateurs en quelques photos

Un festival à la croisée des chemins 

Ces créateurs audacieux, aux activités culturelles, artistiques et humanitaires complémentaires, décrivent le but de leur festival de façon très simple : « promouvoir le dialogue et la collaboration interculturelle. » Lesbos est devenue une île plus multiculturelle que jamais, mais cette nouvelle donne n’est pas si naturelle à faire vivre au sein d’un territoire où les préjugés, les peurs et les incompréhensions créent des conflits et des tensions permanentes. Avec ce festival, ces jeunes gens souhaitent pallier les difficultés de la cohabitation, en créant une connexion et de la compréhension entre la communauté locale de l’île, les visiteurs, les réfugiés et les bénévoles. Symbiosis veut créer une plateforme à ciel ouvert, un espace de non-jugement où chacun peut avoir la chance de s’exprimer en toute sécurité, en particulier sur le thème de la crise des réfugiés, et à travers l’art. Le pari de l’équipe est de croire en le fait que l’expression et la découverte de chaque culture, de chaque création traditionnelle, permettent d’en finir avec les préjugés sur les uns et les autres. Il s’agit tout autant de promouvoir l’héritage culturel de Lesbos, notamment auprès du public international, que de faire découvrir les cultures des communautés récemment arrivées sur l’île. En sensibilisant le public à ce nouveau mélange, et toujours dans une approche responsable, Symbiosis souhaite également créer des modèles touristiques durables et plus adaptés à l’île, notamment en raison de la crise que celle-ci connaît.

En quelques mois seulement, l’équipe de Symbiosis rallie donc à sa cause des artistes des quatre coins du monde : du 26 juillet au 26 août 2016 se sont succédés peintres, musiciens, danseurs, chanteurs, et tant d’autres, dans les trois lieux choisis pour l’occasion. Le programme se déroule en effet à Mytilène, la capitale, et à Eresos et Plomari, deux villages côtiers. Musique, gastronomie, performances théâtrales et artistiques, ateliers créatifs quotidiens, conférences, diffusion de films, cours de yoga, DJ set, street art, photographie : des centaines d’événements se tiennent pendant un mois à la fois au cœur des camps de réfugiés et en dehors de ceux-ci, ouverts à tous.

Soirée Héritage Africain dans un camp de réfugiés

Soirée Héritage Africain dans un camp de réfugiés

Au-délà de toutes les différences, et au-delà, avant tout, de la barrière de la langue qui reste problématique entre les communautés, l’art permet à tout le monde de s’exprimer, de se comprendre et de communiquer de manière plus forte encore, peut-être, qu’avec les mots : ce sont les corps, les gestes, les yeux, les émotions qui (se) parlent. C’est la force de ce festival, qui a réussi à créer de l’harmonie là où tout laisser penser que c’était peine perdue, qui a uni ces hommes, ces femmes et ces enfants d’horizons parfois si différents, parfois si tristement semblables, pour défendre des valeurs de partage, de solidarité, de tolérance, d’ouverture et d’altruisme. L’effet de symbiose, initiée dès le choix du nom du Festival, présent dès le processus de création de celui-ci, a été particulièrement ressenti au cours des ateliers artistiques participatifs, où l’on peut entendre les participants crier « We love Greece », où l’on peut voir des grecs, des étrangers, des touristes, des réfugiés unis dans une spirale symbiotique au rythme d’un chant traditionnel…

Les différents événements organisés au cours de ce mois de festival ont également permis de questionner les réactions de la communauté internationale face à l’afflux de réfugiés. On retrouve ainsi dans la série d’expositions organisées à Lesbos le travail d’une jeune artiste grecque installée à New York, qui a organisé en février 2016 une performance, #OrangeVest, à Central Park. Avec cette intervention publique, au cours de laquelle un groupe de marcheurs vêtus de noir et portant des gilets de sauvetage oranges défilent autour de New York, Georgia Lale voulait dénoncer l’antagonisme auquel se confrontent les réfugiés à l’autre bout du monde. S’inscrivant dans un mouvement international, #SafePassage, auquel plus de 100 villes ont déjà adhérées, la performance de Georgia Lale témoigne également à Lesbos d’une mobilisation plus globale.

Symbiosis Expo

Un autre artiste exposé à Lesbos, Hakan Gürsoytrak, travaille lui aussi sur la représentation de la condition des réfugiés : sa série de toiles intitulée Immigration est peuplée de scènes encombrées et obscures, dépeignant le trivial, le marginal, le désespoir. Ces œuvres souvent cruelles mènent le spectateur a un sentiment d’inconfort, et c’est précisément ce que Hakan souhaite susciter. Il veut confronter les actions publiques actuelles, insuffisantes, aux événements quotidiens et aux réalités de la rue, des camps. Ces travaux liés à la représentation permettent à la fois au public international de prendre conscience de ce qui se joue aujourd’hui en Europe, et aux réfugiés qui vivent ces situations de trouver un exutoire, un espace de résilience. Georgia Lale en témoigne : « Face aux oeuvres, les réfugiés se penchent parfois sur le sol pour embrasser la terre qui les a sauvés. »

Hakan Symbiosis

Une toile de la série Immigration par Hakan Gürsoytrak

Au cours des ateliers artistiques organisés par le festival, les réfugiés eux-mêmes ont eu l’opportunité de s’exprimer à travers des créations personnelles, notamment lors du Workshop Refugees Portraits : Questioning Prejudices with Collage animé par Lon Art, un des principaux partenaires de Symbiosis. Inspiré par John Stezaker, cet atelier s’était fixé l’objectif de remettre en question les préjugés que les sociétés occidentales ont contre les réfugiés, en utilisant des portraits, des cartes postales, des images des pays d’origine des migrants. En plaçant une image de leur pays sur leurs visages, les réfugiés se présentent comme des personnes ayant beaucoup à offrir aux sociétés qu’ils rejoignent ; c’est une façon de montrer toute la richesse de leur bagage culturel, que les pays d’accueil auraient tord de ne pas considérer.

Workshop Symbiosis

Cette première édition du Symbiosis Festival a donc largement fait ses preuves : totalement gratuit, ne proposant aucune rémunération aux artistes participants -en somme, exclusivement basé sur le volontariat et un engagement commun pour changer les choses, cet événement à la croisée des chemins à entraîner des centaines de personnes, venues de partout, dans son sillon. Ce qui n’était qu’un rêve en ce début d’année 2016 seulement est devenu une réalité, qui n’est, selon les créateurs, que le début d’un long projet beaucoup plus vaste. Toujours dans la promotion du multiculturalisme, du dialogue interculturel et dans le renforcement des échanges et des capacités de la communauté, le Symbiosis Festival pourrait se voir exporter dans d’autres pays lors de prochaines saisons estivales, à l’heure où les nationalismes se réveillent dangereusement, quand la culture de l’accueil s’endort parfois sur ses beaux souvenirs.

Pour s’informer et soutenir le Symbiosis Festival :

-Leur plateforme de financement participatif : https://www.generosity.com/community-fundraising/symbiosis-lesvos-arts-festival–3

-Facebook : https://www.facebook.com/symbiosislesvos/

-Twitter : https://www.facebook.com/symbiosislesvos/

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