ART

Qui peut prétendre faire de l’art sans prendre position ?

On entend beaucoup dire que nous vivons un temps de crise. Certes, les médias accentuent l’effet, mais il est vrai que notre société pose question. Ces derniers mois, des citoyens ont décidé de prendre la parole pour faire avancer les choses. Dans plusieurs écoles d’art françaises, des étudiants se sont réunis afin de débattre ensemble et instaurer un dialogue. Non pas en s’excluant du mouvement Nuit Debout, mais au contraire, en ouvrant de nouveaux espaces de discussion, cette fois-ci plus tournés vers l’art et les problèmes auxquels celui-ci est confronté.

Les mouvements contestataires contre la loi travail ont éveillé une autre forme de conscience politique. Nuit Debout tend à démocratiser la parole politique pour tenter de donner la parole à chaque citoyen. En parallèle à ces rassemblements, des nombreux étudiants en art se sont réunis. Assez logiquement, se sont rapidement tournés vers des questions portant sur l’art plus que sur des questions sociales – bien que ces deux thèmes soient très proches. Un résumé de l’interrogation principale pourrait être : « pouvons-nous continuer à étudier de cette façon ? ». Car ce sont par les études d’aujourd’hui que se fait l’art contemporain de demain. Il y a en ce moment dans de nombreuses écoles une inquiétude quant à l’avenir de l’enseignement artistique. Les Beaux-arts de Perpignan viennent de fermer et d’autres d’écoles se sentent menacées. L’ESAA, à Avignon craint pour son futur après de vives tensions entre les étudiants et la direction. Seulement trois écoles publiques (sur 46) ne connaissent pas de baisse de subventions. Ces subventions réduites, parfois tout simplement supprimées (comme à Angoulême ou Poitiers), mettent les écoles dans des situations difficiles, forçant à revoir les budgets à la baisse (suppression de postes, suppression d’ateliers, augmentation des frais de scolarité…). Bref, comme beaucoup d’autres domaines, la culture connaît une période de diète. En parallèle au mouvement Nuit Debout, de nombreux étudiants se sont réunis pour discuter de l’évolution de l’enseignement artistique.

Initiatives étudiantes

Un workshop (atelier ouvert) a été proposé à l’initiative des étudiants d’Avignon, du 31 mai au 3 juin 2016, dans leur école, afin de créer une rencontre inter-étudiants. La déconstruction du château commun de Nuit Debout a motivé une occupation des Beaux-Arts de Paris. Du 12 au 14 mai, les locaux de l’école ont été investis par les étudiants et ceux qui le souhaitaient. Toujours dans cet esprit de créer du lien, l’ambiance y était bienveillante. Bien qu’aucun débordement n’a été constaté, cette action a conduit à des tensions entre le directeur et les étudiants, parfois même entre le personnel de l’école. Un collectif a été créé, Nous sommes étudiant(e)s en art (http://noussommesetudiantsenart.tumblr.com/), visant à rassembler différentes écoles pour penser à plusieurs l’enseignement artistique. La préoccupation de ces nouveaux rassemblements est de créer du lien, créer du commun.

« Il nous semble dans ce contexte, important de montrer que nous ne sommes pas prisonniers de nos structures et de leur fonctionnement, mais que nous sommes bien acteurs de ces espaces et de notre environnement »
Communiqué du 20 juin 2016, collectif Nous sommes étudiant(e)s en art

De l’art politique

La liste des artistes contestataires est longue. Cependant, il est possible aujourd’hui de constater une perte de l’élan politique. L’art est-il en train de subir une apolitisation ? Non. Mais face à une industrialisation culturelle croissante, il est difficile de se démarquer politiquement. L’art dit “engagé”, qui n’est qu’une forme de contestation parmi beaucoup d’autres, n’est pas la plus subtile. Le terme même d’art engagé prête à confusion : « art défendant une cause [1] ». “Qui peut prétendre faire de l’art sans prendre position[2] ?” Les productions contemporaines doivent interroger plus qu’elles ne doivent donner de réponses, et ainsi amener à la réflexion. Peut-on réellement parler d’apolitisation ? L’art est pris dans un conflit entre ceux qui le désignent comme « un mode de distinction » élitiste et ceux qui y projettent un moyen de « transformation du monde ».[3] Dans les écoles, il est cependant vrai que peu d’étudiants participent à la vie politique interne, et peu semblent concernés par les débats qui s’y menaient avant les vacances. Mais cette constatation n’est-elle pas valable pour la société en général ?  Il semble qu’actuellement, il est nécessaire de revoir notre façon de faire la politique. Peut-être que Nuit Debout est une solution : faire ensemble, ne plus suivre le schéma de l’élite dominante.

Être ensemble

Quand les acteurs de Nuit Debout débattent sur une nouvelle forme de politique, les étudiants de Beaux-arts réfléchissent à la façon d’être étudiant. De nombreuses questions sont soulevées. Il est difficile d’y répondre en un article tant les réponses ne sont pas fixes. Ces questions doivent toujours être à l’esprit des étudiants et des enseignants. C’est pour cette raison qu’il est important d’en discuter, de travailler à apporter un maximum de réponses. Nous devons nous poser ces questions pour continuer à créer du sens. Actuellement, les écoles connaissent des modifications de fonctionnement considérables. Des menaces planent sur les plus petites d’entre-elles, qui laissent entre-apercevoir une monopolisation des plus grandes. Dans dix ans, combien d’écoles existeront ? Il n’est pas souhaitable d’imaginer que seuls quelques pôles majeurs d’études d’art vivront, laissant alors peu de place à la diversité. Pourtant ce futur n’est pas impossible si la logique gouvernementale continue. Que deviendrait l’enseignement artistique alors ? Quelques établissements regroupant un nombre considérable d’étudiants ne peuvent pas permettre de créer du contact avec les enseignants et les intervenants. Que deviendraient les ateliers ? Et quels espaces proposer à un trop grand nombre d’artistes en devenir ? Sans compter sur l’uniformisation de la production. Les écoles d’art font déjà face à des problèmes quant à leur fonctionnement. Les frais de scolarité élevés (jusqu’à 850€ dans des écoles publiques) ne tendent pas vers la diversité sociale. Le fonctionnement qui se rapproche de celui d’une entreprise fait reculer la prise de contact entre l’administration, le corps enseignant et les étudiants. Comment être pédagogue dans un établissement où le rendement compte ?

« Sur quels terrains pouvons-nous nous retrouver ? À quoi pouvons-nous travailler ? À quoi voulons nous participer ? Quels récits voulons-nous écrire ? Qu’attendons-nous de l’art ? Comment articulons-nous nos pratiques avec nos vies ? Un artiste peut-­il faire grève ? Quels peuvent être les tiers­ lieux de l’art ? L’artiste est-­il un travailleur comme les autres ? A qui avons nous envie de nous adresser ? Être diffusé : par qui, pour qui et avec qui ? Où et quand ? Comment, dans quel cas, et dans quelles proportions ? Quelles sont nos luttes, où les inscrire ? »
Quand faut y aller, édition des étudiants de la HEAR, Strasbourg

La question des écoles d’art est loin d’être élucidée. Penser l’école de demain est un vaste programme. L’implication des étudiants dans cette question est importante. C’est en agissant sur l’enseignement que nous pourrons répondre aux questions sociales. Les artistes, acteurs et critiques de la société, ne peuvent ignorer les problèmes contemporains. Le séminaire de l’Andéa (Association nationale des directeurs d’écoles d’art) ce 15 septembre qui portera sur « L’école d’art demain »[4], devrait apporter un certain nombre de réponses.

En même temps que Nuit Debout fait sa rentrée, les étudiants du collectif Temps possibles, avec le collectif Temporaires et les Grands Voisins organisent un workshop [5] du 24 octobre au 4 novembre, afin de questionner le futur des écoles. Ouvert à tous les intéressés, il permettra de se rencontrer et d’échanger. Le temps des vacances devrait avoir permis de poser les choses, afin d’évoluer vers une réflexion moins spontanée. Pour faire évoluer les choses, rencontrons-nous, tournons-nous vers des espaces comme Khiasma [6] ou les Laboratoires d’Aubervilliers [7], qui proposent un mode de fonctionnement alternatif par rapport aux galeries traditionnelles. Participons pour continuer à faire avancer le débat.

[1] Définition de l’Internaute.fr

[2] « Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position ? » phrase revenant dans de nombreux textes de rap français

[3] Voir le Télérama n° 3463 (25/05/16)

[4] http://andea.fr

[5] Pour plus d’informations : http://lesgrandsvoisins.org/

[6] http://khiasma.net

[7] http://leslaboratoires.org

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