ART

Rencontre avec la Photographie

La culture et l’art sont deux champs d’opérations où l’on découvre de nouvelles choses inlassablement. À la rédaction, chacun a son domaine de prédilection : musique, cinéma, actu, art urbain, musées, expos, mode, jeux vidéos et sûrement photo. La photographie est tout un art et n’est curieusement pas si accessible dans un monde où l’on nous gave d’images et où l’on peut en oublier la portée créative et artistique. Sa pratique est de plus en plus démocratique depuis l’arrivée du numérique. On s’émerveille de tout, mais on devient moins sensible à ce qu’il y a derrière une image. Un like et on oublie, sauf pour certaines photo qui marquent à vie par ce qu’elles dépeignent du monde, d’une époque, d’un événement. Qui pourrait oublier les photos du débarquement de Robert Capa, le regard de la jeune fille Afghane de Steve McCurry ou le sublime violon d’Ingres de Man Ray ?

Pourtant, il est réellement pertinent de se confronter à ce que l’on ne connaît pas, que ce soit autrui, un pays différent, une culture étrangère, et donc un domaine inconnu ! À Arles, la rencontre avec ce bel et sombre inconnu qu’est le monde de la photographie se fait tout en douceur. On se retrouve face à des artistes plus ou moins faciles d’accès, plus ou moins proches de chaque sensibilité. Commençons par la première expérience, une exposition phare de cette édition : David Bailey. Photographe de mode reconnu (British Vogue, Daily Telegraph …), l’Anglais a photographié pendant 50 ans artistes et célébrités. Dans la salle de l’Église Sainte Anne, cette proximité se ressent, mais ce que l’on découvre sans forcément l’avoir réalisé auparavant, c’est que chaque homme, connu ou non, reste un acteur du quotidien. Aux côtés de David Bowie, de Mick Jagger (et de tous les Stones en général), de Catherine Deneuve (qui fut sa femme), se trouvent des images de sa vie de famille telle qu’elle fut et telle qu’elle est actuellement. On y découvre aussi des portraits de gangsters et d’autres représentants de l’Angleterre et de sa misère. Au fond se trouvent des nus perturbants voire dérangeants, dont celui d’un homme entièrement recouvert de piercings, y compris sur chaque parcelle de ses zones les plus sensibles. Ensuite quelques natures mortes prennent le relais et ont pu provoquer chez chacun différents sentiments. Néanmoins, trois photos nous ont marqués plus que les autres. Parmi elles, un noir et blanc d’Andy Wharol pris en plongée, qui donne un effet de déséquilibre déstabilisant. Et puis deux portraits, ceux de de Damon Albarn (Blur) et de Noel Gallagher (Oasis) qui sont côte à côte de façon ironique, étant donné que dans les années 90 il s’agissait de deux groupes rivaux qui se sont envoyé de nombreuses piques !

David Bailey, Église Saint-Anne, Arles 2014

David Bailey, Église Saint-Anne, Arles, 2014

Un autre jour, une autre découverte, à l’espace Van Gogh cette fois-ci. The Walther Collection ne peut se résumer en quelques mots ou même quelques phrases. Un florilège d’artistes s’y déploie, tous plus talentueux les uns que les autres, et à côté de ça, l’agencement des œuvres excelle dans la mise en valeur des sujets. Quoi de mieux qu’une série traitant du mouvement Occupy Wall Street réalisée par Accra Shepp, faisant face à une série de Richard Avedon sur la classe dirigeante américaine intitulé The Family ? L’une est récente (2011/2012), l’autre plus ancienne et ancrée dans la guerre froide (1976), mais l’importance du message n’en est pas plus faible : le peuple fait enfin face aux politiques avec la possibilité de leur crier ses revendications. La salle d’à côté questionne l’identité, et en particulier l’identité africaine. Quelles en sont les racines, que reste-t-il des conflits qui ont déchiré ces terres, de la colonisation, de l’émigration ? Qui sommes-nous ? Voilà ce que fait entendre le travail de Samuel Fosso comme celui d’autres photographes autour de lui. À partir d’une série d’autoportraits, il interprète à nouveau des scènes marquantes de l’histoire panafricaine, afin de se les réapproprier tout en sobriété. On dénombre Martin Luther King, Angela Davis ou Muhammad Ali. Un autre regard se pose alors sur ces clichés connus de personnages historiques, et qui donnent des envies de questionnement.

Le crâne déjà bourré d’images, nos yeux ne s’arrêtent pas en si bon chemin, avides de nouveauté et menés par la curiosité. Une des Nuits de la Photographie, celle du 10 juillet, apporte alors un peu de clarté sur cette discipline exigeante qu’est la prise de photographies. D’abord nous assistons à la remise du prix Pictet, qui porte cette année sur le thème de la consommation. De nombreuses diapositives défilent au milieu du théâtre antique. L’ambiance est tantôt drôle, tantôt touchante (c’est la dernière édition du directeur actuel) et tantôt émouvante, comme l’hommage à Michael Schmidt, le lauréat décédé un mois et demi auparavant. De cette soirée et des explications de Vik Muniz, nous retenons des sensations. Celles d’un environnement animé par la passion, par la confiance, et qui est tout à fait singulier. Puis viennent les frissons face à tout ces témoignages, oraux comme visuels, sur ces différentes visions que l’on peut obtenir de la vie, mais aussi des frissons liés au froid automnal qu’il fait alors durant cette première quinzaine de juillet et dus au mistral dont on se serait bien passé.

Vik Muniz, Église des Trinitaires, Arles, 2014

Vik Muniz, Église des Trinitaires, Arles, 2014

Ensuite, c’est l’exposition de Vik Muniz qu’il faut évoquer,  Album, à l’Église des Trinitaires. Une patience incroyable a du être déployée et c’est bien là la première impression que fait le brésilien. De loin, des personnages et des paysages se dessinent. En s’approchant, on constate que ce sont des centaines de bouts de brochures, de cartes postales et de photos qui ont été nécessaires pour obtenir ce résultat. Le tout donne à voir un véritable bijou artistique fourmillant de milliers de détails dont on ne se lasse pas.
Le même jour, nous pénétrons l’immensité de l’Atelier de Chaudronnerie. À l’entrée un photomaton vintage, style Amélie Poulain, délivre quatre photos (pour quatre poses) en noir et blanc ; une bonne façon d’avoir un souvenir et d’aborder l’univers de Lucien Clergue. Nus féminins, plages désertes et contrastes d’une esthétique majestueuse côtoient des scènes de vie étonnantes d’enfants au milieu de ruines comme de Picasso assistant à une corrida. Arlésien de naissance, Lucien Clergue semble montrer tous les talents qu’a fécondé sa ville, toute la beauté de sa région, et un pendant de cet art. N’oublions pas que pour ses 80 ans, Arles et ses rencontres ne pouvaient passer à côté d’un hommage déjà rendu en 2007 avec 360 photographies. Clergue n’est rien d’autre que l’un des fondateurs du festival avec Michel Tournier. Deux grands artistes pour un superbe festival. Et un photographe pour témoigner de la vitalité du monde, de ses changements et de l’assimilation d’une liberté nouvelle depuis les années 50, que ce soit dans les modes de vies comme dans la démocratisation des disciplines artistiques.

Pour clôturer tout cela nous assistons à la Nuit de l’année, que l’on parcourt au pied levé. Au milieu des 14 toiles du boulevard des Lice, on improvise une promenade sous les étoiles. Exténués, les poches remplies d’instantanés, le moment est venu de s’arrêter. Mais cher Arles, notre histoire n’est pas finie. Alors attends-nous, car si nous ne promettons rien pour l’an prochain, nous reviendrons un jour ou l’autre.

En amour avec la diversité artistique, immergée dans les images et les sonorités, en quête d'une fameuse culture hybride, à la croisée des idées. Sur la route et sur les rails, entre la France et les festivals.

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