ART

Street Art made by (wo)men

Terrains vagues, bâtiments désaffectés, lieux mythiques voués à la destruction, autant d’espaces de créations laissés aux mains expertes d’artistes de rue, passant de temps en temps dans une galerie ou un musée. Les exemples se multiplient : les bains douches, mais aussi le pan de mur croisé lors d’un trajet en train. Le graff ou le street art se trouvent partout, plus ou moins réussis, plus ou moins réfléchis. Le phénomène apparu au 20ème siècle s’est aujourd’hui démocratisé et a gagné en visibilité. Mais depuis sa genèse, l’art urbain reste un univers masculin. Dans son sens le plus large, on considère aujourd’hui que seuls 20 % des esthètes du milieu sont des femmes. Un chiffre relativement bas face à son expansion. La culture underground, que ce soit le Djing (cf Girls Gone Vinyl) ou l’art reste ainsi sous hégémonie masculine. Pourtant certaines percent, dénoncent, sont cotées et appréciées par les amateurs d’art. Mais cela ne les empêche pas de demeurer encore trop souvent dans l’ombre. Que sait-on concrètement de leurs mouvances dans ce monde engagé et subversif ?

Reconnaissance : quelques exceptions qui confirment la règle ?

Que ce soit aux États-Unis, en Europe ou en Amérique Latine, des noms d’artistes féminines se pressent à nos lèvres. Oui, nous en discernons certaines, leurs traits nous sont familiers. La manière dont elles habillent et voient le monde ne nous est pas étrangère, et pourtant les plus célèbres sont à compter sur les doigts de la main !
Évoqué, l’art de rue fera resurgir de nos mémoires certains noms … Faites le test ; à qui penseriez-vous en premier ? Pour ma part ce serait Keith Haring, Jean-Michel Basquiat, Banksy et Shepard Fairey. Quatre personnages emblématiques, tous des hommes. Quid du “deuxième sexe” ? Les tracés de Miss.Tic, de Bambi ou de Swoon se faufilent dans les paysages quotidiens, et n’ont rien à leur envier ! Leurs signatures nous sont seulement moins familières, et elles sont surtout moins médiatisées. Pour remédier à cette méconnaissance, retour sur 3 artistes françaises reconnues.

La cinquantaine fringante, Miss.Tic la parigote est active sur les murs depuis les années 1980. C’est une contemporaine de la première réelle vague de street art en France. Jouant du pochoir, ses figures noires et blanches auxquelles se mêlent des phrases et parfois du rouge, sont reconnaissables entre toutes. Elle détourne la perfection des femmes de publicités pour les pousser à leur paroxysme de femmes-objets. Le tranchant des mots montre alors que le but de Miss.Tic est de nous faire prendre conscience de ces aberrations. En effet, c’est une femme libre, affranchie et prenant son espace dans ce monde de mecs. Et elle réussit ça même plutôt bien. Chabrol la convoque en 2007 pour réaliser l’affiche de la Fille coupée en deux. La même année, c’est Le Victoria and Albert Museum, à Londres, qui lui fait une place dans sa collection. En 2008, on lui donne libre cours sur le M.U.R, rue Oberkampf à Paris. Et entre-temps elle multiplie les solo show dans des galeries prestigieuses à Paris, Oslo ou Singapour. Comme preuve ultime, sa cote est relativement élevée, et ses pochoirs se vendent, contrairement à certains.

La fille coupée en deux, Claude Chabrol, 2007 // Miss.Tic

La fille coupée en deux, Claude Chabrol, 2007 // Miss.Tic

Les deux suivantes ont plus de deux points communs : ce sont deux toulousaines qui ont marqué mon enfance, des personnages exclusivement féminins aux faux airs de pin-up modernes. Toutes deux ont commencé dans les années 1990 dans leur ville natale avant de partir s’exposer au-delà des frontières. C’est une belle preuve que l’art urbain peut s’imposer comme féminin dans la tête de certains, s’il est pratiqué à haute dose sur des façades familières.  Fafi (FR)
Miss Van, Vanessa Alice Bensimon de son vrai nom, la plus âgée, est surtout connue à Barcelone. Pourtant, elle commence à 18 ans à 253 kms à vol d’oiseau de la cité catalane. À l’époque où Tilt et sa bande sévissent, où les writers ont le pouvoir, Miss Van se démarque. Sa signature n’est pas son nom, mais son style et ses personnages. La bombe n’est pas son alliée, elle préfère les pinceaux. Ses poupées recouvrent peu à peu la ville rose. Si bien qu’on la repère, et que, plus de 20 ans après, elle s’expose ici et ailleurs. Son travail a évolué, les traits se sont affinés, et ses femmes-enfants ont leur place dans les galeries du monde entier. En mai ses œuvres étaient à retrouver à la Stolen Space Gallery de Londres, après un passage à Rome, Los Angeles ou New-York les années précédentes.
Souvent confondues, Fafi et Miss Van se sont engagées dans une véritable joute murale et verbale. Même terrain de jeu pris aux garçons, fresques féminines, et ressemblances semant le doute chez les amateurs : les artistes s’énervent. Selon la dépêche du midi datée du 27 avril 2002, Miss Van aurait même déclaré : “Si les gens ne savent pas faire la différence entre mes graffs et ceux de Fafi, c’est leur problème, c’est qu’ils ne s’y intéressent pas vraiment”. Fafi, la plus jeune, y ajoutera son mot : “On ne peint pas ensemble, chacune fait son chemin. Je ne copie pas. Moi j’ai mon univers propre, on a la même inspiration”. Preuve que ces deux nanas ont aussi leur guerre médiatisée dans la Cité.
Concentrons-nous maintenant sur Fafi et ses Fafinettes. La force de cette dernière est qu’elle s’est insérée très tôt dans la brèche de la mode. Ses collaborations sont fameuses, que ce soit avec des marques underground ou plus hype, parmi lesquelles on dénombre M.A.C, Adidas, le fameux concept store Colette, Chanel, ou plus récemment Undiz. Elle est donc doublement exposée, sur les tissus et packaging comme dans les galeries. Partie des 1ères expositions rue du Coq d’Inde à Toulouse (près de la place de la Trinité pour ceux qui connaissent), c’est en outre Atlantique qu’on la trouve souvent aujourd’hui.  Ce n’est pas non plus une inconnue du monde de la musique. Elle a participé à la réalisation de plusieurs clips, et collaboré avec Katy Perry en 2012 … Fafi, une artiste présente sur tous les fronts !

Fafi via Flickr

Fafi via Flickr

 

On aurait aussi pu parler de : Swoon (E-U), Alice Pasquini (FR), Kashink (FR), Bambi Graffiti (R-U), Lady Pink (pionnière née en Équateur, ayant sévi aux E-U) …

Des artistes engagées, symboles d’un changement global ?

Depuis 2011, et la révolution qui a fait tomber Hosni Mubarak en 2011, l’Égypte et ses rues ont vu apparaître un phénomène nouveau. Le graff s’est immiscé partout et a explosé. Des femmes s’en sont emparées pour mener leur combat ; le changement des mentalités et des mœurs.
Créé en 2012, un collectif féminin nommé NooNeswa utilise le Graff pour rappeler les dérives du pouvoir. En 2011, 17 femmes sont arrêtées et subissent un test de virginité forcé. C’est une atrocité, une entrée forcée dans leur intimité. L’une d’elle, Samira Ibrahim, brise le silence. Elle réussit à les faire interdire après avoir déposée plainte. Un an après, NooNeswa commémore cette infraction aux droits de l’Homme, et rappelle cette femme qui a osé hausser la voix. Leur démarche reste cohérente jusqu’au bout. Le collectif fait sur les murs la part belle aux femmes fortes de l’histoire égyptienne, pour que l’on n’oublie pas. Et surtout, il rappelle que rien n’est écrit d’avance et que les femmes ont la possibilité de trouver leur place dans l’espace public.
Cela signifie bien qu’une jeune génération d’artistes rejette la société patriarcale et sexiste dans laquelle ils vivent. Hend Kheera est l’une d’elle. Aya Tarek, une autre. Elles sont les deux visages principaux du street art féminin égyptien. On leur attribue tour à tour le rôle de première instigatrice du mouvement. Elles ont plus sûrement commencé dans une même urgence, partageant les mêmes ambitions. Dans un pays où s’exprimer est encore compliqué, donner corps à ses convictions n’est pas anodin. Ici, il s’agit, comme pour NooNeswa, de lever le voile sur le harcèlement sexuel trop présent. Un vrai choix qui n’attire pas l’unanimité au sein des familles et des proches de celles qui cherchent à faire évoluer les choses. Mais aujourd’hui les victoires sont là. Hend Kheera a fait parler d’elle dans Rolling Stone en juin 2012, alors qu’Aya Tarek s’exporte, notamment à Cologne en 2013 pour le CityLeaks festival. C’est une forme de reconnaissance venue de l’étranger qui témoigne que le message est en train de passer. S’il sort des frontières, c’est qu’il est entendu et relayé à l’intérieur de celles-ci.
Suzeeinthecity recense de nombreuses œuvres de rues égyptiennes avec de plus amples informations.

Aya Tarek, via suzeeinthecity.wordpress.com

Aya Tarek, via suzeeinthecity.wordpress.com

Une nouvelle Égypte se dessine, et cela ne se fera ni sans l’art, ni sans les femmes, eux aussi vecteurs du changement. À l’échelle globale, les mondes sectionnés d’une culture alternative se décloisonnent au fur et à mesure des évolutions. De la rue à la politique, en passant par la musique, le chemin vers un univers plus paritaire et ouvert est encore long, mais il existe bel et bien.

En amour avec la diversité artistique, immergée dans les images et les sonorités, en quête d'une fameuse culture hybride, à la croisée des idées. Sur la route et sur les rails, entre la France et les festivals.

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