ART

Shakespeare est immortel

Le metteur en scène Clément Poirée a choisi de présenter au Théâtre de la Tempête (Cartoucherie de Vincennes), la fameuse comédie de William Shakespeare, La Nuit des Rois. La première représentation eut lieu à peu près à la même période, le 2 février 1601, la douzième nuit après Noël. Rien n’arrive par hasard au théâtre et l’âme de feu Shakespeare semble elle-même envahir le spectacle.

Dans son château, le duc Orsino, se meurt d’amour pour la belle comtesse Olivia, qui, endeuillée par la mort de son frère, a pris la décision de se refuser aux hommes. Chacun vit ainsi retranché dans une profonde et austère mélancolie, jusqu’au moment où s’immisce entre eux Viola, jeune femme rescapée d’un naufrage et qui, travestie en garçon, entre au service du duc avec pour but de vanter ses mérites auprès de la comtesse. La jeune rescapée va insuffler de la vie, du jeu, elle va ainsi réveiller la sensualité des personnages. La pièce se transforme alors en un énorme quiproquo où A aime B qui aime C qui aime A, jeu évidemment amené par le travestissement de Viola. A l’époque élisabéthaine, cet élément de mise en scène était d’une ambiguïté sexuelle beaucoup plus forte, car les femmes ne pouvant être comédienne, ce personnage était donc joué par un homme déguisé en femme qui se déguise en homme. Un autre personnage, oscillant entre les deux maisons, va apporter de la joie, grâce à ses bons mots et à ses chansons, le clown Feste. Ce bouffon, considéré donc comme fou est peut-être en fait le seul personnage lucide de la pièce, les autres vivant dans leurs rêves et fantasmes sont peu à peu emportés par la folie : « Si on mettait une pièce pareille sur scène, je la traiterais d’invraisemblable fiction » clame ce dernier, brillamment interprété par Bruno Blairet. D’ailleurs, le rythme est donné en partie par la scénographie, un dortoir mobile et des voilages qui ne sont pas sans rappeler un univers entre l’hôpital psychiatrique et le rêve.

Ode au burlesque

Tout est possible au théâtre, même et surtout dans une comédie de Shakespeare, porter des collants jaunes quand on est un faux dévot, sauter par la fenêtre et remonter sans égratignures, se dédoubler, jouer avec les ombres. Clément Poirée dirige ses comédiens de manière à faire basculer leur jeu dans une farce burlesque où témoin et complice des gags, le spectateur a envie de rejoindre les personnages dans leur hilarité constante. Les personnages secondaires, qui font partie de la Cour d’ Orsino ou d’Olivia, deviennent les premiers rôles, ce sont eux qui mènent la danse, qui donnent le rythme du spectacle, qui créent les situations. Ils réussissent à faire oublier que la pièce a mis du temps à prendre. L’enchaînement de gags n’est pas sans rappeler le cinéma burlesque, un savant mélange entre Charlie Chaplin et Buster Keaton. Et évidemment on ne peut pas parler de burlesque sans parler d’un duo comique proche de Laurel et Hardy, ici composé de Sir Toby, plutôt imposant (parent de la comtesse) et son acolyte Sir Andrew, plutôt chétif (ami de ce dernier et prétendant de la comtesse). Alors le spectateur est emporté dans ce tourbillon d’humour potache.

Théâtre, mon amour

C’est une déclaration d’amour à l’art théâtral à laquelle les spectateurs assistent, où se mêlent différents genres entre comédie tirant vers le vaudeville ou théâtre de boulevard et univers onirique. Les personnages de la pièce sont des exemples types de l’histoire du théâtre : l’amoureux, le faux dévot, l’alcoolique, la servante maligne, le bouffon. Dans cette vaste mise en scène savamment orchestrée par Clément Poirée, le spectateur n’est jamais lésé et participe activement à la farce entonnant en chorale la dernière chanson du fou avant que le rideau ne tombe. La musique étant justement un personnage à part de la mise en scène. Malgré une adaptation du texte original pour lui donner une meilleure traduction scénique, il faut se rendre à l’évidence, cette comédie n’a pas pris une ride et peut séduire tous les publics. Le point essentiel de ce spectacle est le fait que le metteur en scène et ses comédiens réussissent surtout à nous prouver comme Shakespeare l’avait fait au XVIe siècle, que le théâtre n’est pas un art élitaire et qu’il est parfaitement accessible à tous.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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