ART

DV8/John, un choc visuel entre théâtre et danse

Entre théâtre, danse et documentaire, c’est une nouvelle performance ovni que nous présente l’Australien Lloyd Newson et sa compagnie, DV8 (à prononcer à l’anglaise « deviate », ou « dévier » en français), autour d’un personnage hors-norme, John, incarné par le danseur Hannes Langolf.

Théâtre de non-fiction

John est une vraie personne. Ce que raconte la pièce, c’est son histoire : son enfance dans une ambiance scabreuse, sa plongée dans la drogue et le crime, les relations chaotiques avec ses proches, la prison, le havre trouvé dans un sauna gay. Le travail de Lloyd Newson prend racine dans le réel : il se sert d’interviews, d’entretiens et de recherches sur le terrain pour créer autour de sujets qui font souvent polémique (ses précédents travaux, To be Straight With You et Can We Talk About This ? interrogeaient respectivement le rapport entre religion et homosexualité, et l’islam radical). On retrouve là son intérêt premier pour la sociologie et la psychologie qu’il a étudiées à l’université et qu’il semble explorer ici à travers le prisme artistique de la représentation. Pour ce projet initié en 2014 et présenté en décembre dernier à La Villette, Newson a envoyé trois chercheurs dans des saunas gays en Angleterre, où ils ont interrogé près de 50 hommes sur leur rapport à l’amour et au sexe. Newson est alors particulièrement frappé par la rencontre avec John, autour duquel il décide de cristalliser sa pièce, que des heures et des heures d’entretiens, dans lesquels John, 52 ans, se livre sur sa vie, vont venir nourrir.
Avec John, Lloyd Newson joue sur l’éphémère et le pérenne : la représentation est un battement de vie, un fragment dynamique et fulgurant, et les entretiens restent archivés dans les enregistrements qu’on entend parfois dans la pièce, tandis que la vie du véritable John continue de s’écouler et de s’inventer.

John/ DV8, ©Laurent Philippe

John/ DV8, ©Laurent Philippe

 

« Physical Theatre » : une mise en scène frappante

Le « Physical Theatre » (« théâtre physique ») proposé par la compagnie DV8 est une expérience singulière de la scène, qui vise à concilier les mots et le mouvement, le théâtre et la danse.
Les mots sont ceux des personnes interviewées, prononcés tels qu’entendus par les acteurs/danseurs sur les divers enregistrements (dont on entend parfois des extraits alors que la voix off de l’interviewer vient dialoguer avec le personnage, le bousculer un peu, aussi). Tout s’enchaîne de manière fluide au fil de la vie de John, au rythme d’une chorégraphie continuelle qui démontre un impressionnant travail du corps, des équilibres et déséquilibres, des forces physiques entre individus, jusque dans l’hyper expressivité du visage, le tout engagé avec les mots pour faire sens, sans jamais céder à l’illustration facile.
Le dispositif visuel de la mise en scène encourage lui-même ce dynamisme : c’est un plateau tournant qui nous entraine à travers des décors divers en évolution constante, qui communiquent les uns avec les autres dans un effet presque cinématographique. C’est une mise en scène qui prend aux tripes, dans des images tour à tour crues et poétiques, des jeux de lumières vives. La musique joue également un rôle central de fil conducteur, au même titre que la parole, mêlant des titres de Led Zeppelin ou des Velvet Underground à des morceaux plus contemporains, de James Blake à The Prodigy.

John/ DV8, ©Laurent Philippe

John/ DV8, ©Laurent Philippe

John, cet être humain bouleversant

L’expérience n’est pas exempte de violence et instille parfois le malaise chez le spectateur : un choc nécessaire et assumé par Lloyd Newson, dans une démarche forte et sans concession où l’émotion est toujours palpable. On est frappé par ces personnages vrais et touchants qui s’ébauchent devant nos yeux et délivrent leur histoire : des récits certes sombres, empreints d’une vérité cinglante mais également pleins d’humour et d’honnêteté, et qui selon les moments serrent la gorge ou laissent fuser les rires.
A travers son travail, Lloyd Newson souhaite avant tout montrer des êtres en marge, qui survivent à tous les coups durs et les blessures, et qui finalement sont simplement à la recherche d’une « vie normale » (« or what you, middle classes call normal life », comme le souligne John), et de quelqu’un avec qui la partager. C’est sur cette idée que s’achève la pièce alors que John se couche dans la lumière. John, c’est une lutte éperdue pour l’espoir et l’amour, et une expérience théâtrale unique qui résonne encore en nous bien après la fin de la représentation.

Etudiante en cinéma à la Sorbonne Nouvelle, passionnée d'art et de culture, et aimant en parler.

    You may also like

    More in ART