ART

Dada et Allan Kaprow aux origines du happening et de la performance

Le Musée d’Art moderne et Contemporain de Strasbourg présente en ce moment une exposition retraçant le parcours de Tristan Tzara, fondateur et théoricien du mouvement dadaïste. L’occasion de revenir sur deux aspects de l’art contemporain qui débutent, entre autres, avec les dadaïstes au début du siècle dernier : le happening et la performance.

Si l’on en croit la version majoritairement admise de l’histoire, bien qu’auréolée de mystères et de controverses, le mouvement Dada débuterait officiellement en 1916 à Zurich lorsque l’on glissa un coupe-papier dans un dictionnaire Larousse. Le nom du groupe venait d’être désigné par le hasard. Cet événement aurait vraisemblablement eu lieu au Cabaret Voltaire, un lieu où se rencontrent les jeunes artistes et écrivains allemands, fréquenté entre autre par Tzara, Hans Arp, Hans Richter ou Hugo Ball, ce dernier étant également fondateur du lieu. Les soirées Dada, où Ball et les membres du groupe montent sur scène pour déclamer des poèmes, chantant en français ou en allemand, ponctuant leurs interventions par des cris, des sanglots, déguisés dans des costumes en carton, s’inspirent du théâtre mais invitent le public à participer au fur et à mesure de la soirée, jusqu’à ce que le spectateur venus s’asseoir derrière son verre se retrouve acteur du spectacle qui se déroulait. Ces soirées dadaïstes eurent lieu durant six mois, jusqu’à ce que le voisinage du Cabaret fasse fermer le lieu pour tapage nocturne et tapage moral. Quoi qu’il en soit, durant ces quelques mois, le Cabaret Voltaire fut le lieu d’une création artistique où l’art du spectacle commençait à prendre une orientation entre théâtre et performance. Un aspect de l’art contemporain qui prendra son essor quelques cinquante ans plus tard…

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Hugo Ball en déguisement pour une soirée Dada

En effet, durant les décennies 1950-1960, se développent des tentatives de faire de l’art autrement. C’est le moment où émergent en force des formes d’art comme la performance ou le happening. Des œuvres éphémères qui impliquent autre chose que la matière de la peinture ou du volume, et qui ne sont plus destinées à être pérennes, mais bel et bien finies et temporaires. Performance et happening sont très similaires. Allan Kaprow, qui utilisera le premier le terme de happening, distingue l’un et l’autre car la performance nécessite un public, contrairement au happening, qui existe indépendamment du public mais grâce aux intervenants qui participent à la création de l’œuvre.

Allan Kaprow, donc, est l’artiste qui définira en premier ce qu’est le happening. En avril 1958, Kaprow présente, sur un campus du New Jersey à l’occasion d’un cycle de conférences sur le thème « communications » où sont invités John Cage, Robert Rauschenberg ou encore David Tudor, son premier happening public, intitulé Communication. Dans ce happening, que Kaprow ne désigne pas encore de cette manière, il se tient assis sur une chaise rouge sur scène, silencieux, habillé d’un costume blanc de tennisman. D’un balcon, des haut-parleurs diffusent un discours qui se désynchronisent rapidement laissant place à un enregistrement inaudible. Sur la scène se trouvent des miroirs, des boîtes colorées, une lampe rouge, des bannières colorées sont déployées, une balle rouge est lancée lentement. Après quelques secondes, Kaprow marche jusqu’aux miroirs, tournant le dos au public. Il allume une par une de nombreuses allumettes qu’il éteint en soufflant dessus. Il finit enfin par retourner à sa place.

Kaprow poursuivra ses happenings, bientôt suivi par d’autres. Les artistes de l’actionnisme viennois au début des années 1960 utilise le corps non plus comme modèle ou comme outil, mais bien comme partie intégrante de l’œuvre. Ils poussent la performance au limite du supportable, allant jusqu’à se faire arrêter à plusieurs reprises à cause de leurs œuvres. Des œuvres néanmoins pleine de sens, faisant écho au climat d’après-guerre et de guerre froide de l’époque.

Au même moment , un autre groupe d’artiste revendique en partie la même volonté iconoclaste au sujet des formes d’art. Fluxus s’engage dans un projet ambitieux qui est abattre les frontières entre l’art et la vie : l’art est la vie et la vie est l’art. En faisant recours au happening et en faisant participer le public, Fluxus démonte l’idée d’un art qui se contemple et promeut un art qui se vit, dont on doit faire l’expérience.

Fluids-tatemodern-2008Fluids, Allan Kaprow, Tate Modern, 2008

Aujourd’hui de nouvelles questions sur ces pratiques artistiques éphémères telles que la performance ou le happening se posent. Beaucoup d’institutions recréent les conditions de performances et de happenings ayant eu lieu dans le passé, parfois même dont les artistes sont décédés. Le happening Fluids de Allan Kaprow par exemple a été refait plusieurs fois déjà. Quel intérêt de faire revivre des actions censées durer le temps de leur création pour ne laisser que des traces nécessairement incomplètes de ce qu’elle fut au travers de photos ou de vidéos ? N’est-ce pas aller à l’encontre même de l’essence de cette forme d’art ? Ou est-ce un bon moyen pour comprendre ce qu’elles furent ?

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