SOCIÉTÉ

“Ne partez pas !”

Le 16 novembre, le président russe Vladimir Poutine a annoncé dans une allocation officielle le retrait de son pays de la Cour Pénale Internationale. Si à première vue, cette décision est extrêmement importante pour la justice pénale internationale, ce retrait n’est que symbolique car la Russie n’avait pas ratifié le Statut de Rome qui établissait la CPI, et donc n’avait pas autant d’obligations que d’autres pays. Mais dans les derniers mois, certains pays africains ont pris la même décision, qui n’est cette fois pas symbolique puisqu’ils ont ratifié le Statut.

La Cour Pénale Internationale (CPI) est juridiction pénale universelle chargée de juger les personnes et états accusés de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de masse ou agression. Créée par le Statut de Rome en 2002, actuellement 124 pays en font partie. Certains pays comme la Russie ou les Etats-Unis ont signé le Statut mais ne l’ont pas ratifié. La CPI intervient après une enquête préliminaire, lorsque les justices nationales ne sont pas en mesure ou n’ont pas la volonté de juger les crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui se sont déroulés dans leur pays. La compétence de la Cour n’est pas rétroactive, ainsi les crimes commis avant 2002 ne peuvent être jugés.

Le 16 Novembre 2016, la Russie a décidé de retirer sa signature du Statut de Rome, rendant alors son retrait de la CPI immédiat. Cela fait déjà plusieurs années que Poutine parle de retirer sa signature du Statut, et ce pour plusieurs raisons. Son opposition à la CPI s’est faite en 2013, lorsque le Conseil de Sécurité des Nations Unies a demandé l’ouverture d’une enquête de la Cour sur les crimes de guerre commis en Syrie. Puis, en 2016, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a ouvert début janvier une enquête sur les crimes commis lors du conflit russo-georgien de 2008. La Russie est également visée par un examen préliminaire sur la situation en Ukraine.

Ce qui pose problème à Poutine est le fait que la Cour, dans le cadre de l’enquête sur la guerre en Géorgie, a choisi de se concentrer sur les crimes commis par les milices sud-ossètes et les forces russes, et non pas sur les violations des troupes géorgiennes. Pourtant, dans le principe, la Russie accepte la CPI puisqu’elle avait déjà accepté les enquêtes sur le Darfour et la Libye. Mais Poutine reproche à la Cour son manque d’indépendance et son parti pris contre la Russie. Pour la situation en Ukraine par exemple, la communauté internationale avait soutenu les forces pro-européennes : « Le fait que la CPI ait répondu favorablement à une demande faite par des personnes arrivées au pouvoir suite à un coup d’Etat, confirme que ladite structure est simplement complice de coup d’Etat qui a eu lieu en Ukraine », selon Alexandr Mezyakov, professeur à l’Académie de Droit International de Kazan. La Cour a également déçu les espoirs russes, pour le Ministre des Affaires Etrangères russes : « La Cour n’a pas été à la hauteur des espoirs qui ont été placés en elle et elle n’est jamais devenue une institution véritablement indépendante et faisant autorité en justice internationale ».

Toutefois, malgré le tout le bruit qu’a fait cette décision de retrait, celle-ci n’est que symbolique. La Russie n’ayant pas ratifié le Statut de Rome mais seulement signé, donc ses obligations ne sont pas les mêmes qu’un état qui fait entièrement partie de la CPI. Ce retrait ne signifie rien. D’autres états faisant entièrement partie de la CPI ont entamé la procédure nécessaire pour se retirer de la Cour. Parmi eux, le Burundi, l’Afrique du Sud, ou encore la Gambie.

Ces pays se rebellent contre le système de justice pénale internationale, qui selon eux est à double vitesse. Ils accusent la Cour d’être néo-colonialiste, en condamnant les dirigeants africains pour leurs crimes commis, ainsi que les petits pays qui ne pèsent pas grand-chose dans la communauté internationale, alors que les grands pays ne sont pas touchés par les poursuites pénales de la CPI. Leurs actions sont restées impunies en Irak, en Palestine, en Syrie… alors que les pays africains sont systématiquement poursuivis. Les pays africains demandent également la protection de l’indemnité présidentielle des dirigeants, point qui leur est cher, notamment en Afrique du Sud. Mais l’immunité présidentielle n’est pas reconnue par la CPI.

Le Burundi, l’Afrique du Sud et la Gambie ont entamé le processus de retrait de la CPI, qui, selon l’article 127 du Statut de Rome, les engage à partir du moment où la Cour reçoit la notification formelle de retrait, à rester membre de la CPI encore un an, avec toutes les obligations qui s’ensuivent. C’est-à-dire que pendant cette année, ces pays font toujours partie de la Cour et doivent toujours répondre de leurs actes si la Cour parvient à une décision. Ils peuvent toujours faire l’objet d’une enquête pénale, et si une décision est prise avant leur retrait officiel, celle-ci est irrévocable et inconditionnelle.

Finalement, c’est la structure même de la CPI qui permet aux pays de la quitter sans aucune conséquence et avant d’être poursuivi. Malheureusement, la justice pénale internationale ne peut empêcher que cette décision soit prise. Le retrait de la CPI se fait sur une base volontariste, et forcer les états à rester dans le système serait considéré comme une violation de leur souveraineté. Pour éviter que les états quittent la Cour, faut-il envisager une réforme du système ? Comment dépasser le parti pris de « l’Ouest » et éviter le néo-colonialisme dans la manière de traiter les affaires internationales ? Il semble que l’échec de la CPI se trouve dans sa structure même, et il serait alors compliqué de dépasser ces défauts flagrants pour aller vers une justice pénale internationale juste, égale, et à laquelle tous les états devraient répondre.

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