SOCIÉTÉ

La communauté ouïghour sacrifiée par la Chine dans sa lutte contre le terrorisme

Face à la multiplication des preuves et témoignages du durcissement de la politique chinoise envers la communauté musulmane du Xinjiang, les ONG tirent la sonnette d’alarme pour alerter la communauté internationale sur le sort réservé aux ouïghours.

La population ouïghour est la communauté musulmane la plus importante de Chine. De langue turque, ils sont près de 10 millions à vivre dans la région autonome du Xinjiang, au nord ouest de la Chine, qu’ils surnomment le Turkestan oriental. Citoyens chinois, ils ne partagent que peu la culture de leur pays et possèdent leur propre style de vie.

Si les Ouïghours sont une des cinquante-six nationalités reconnues officiellement par la république populaire du pays, le gouvernement chinois craint une sécession alors que la région est stratégique de par les ressources dont elle dispose. Le Xinjiang est en effet sous tension depuis des décennies, particulièrement depuis 2009 où des émeutes interethniques ont éclaté entre Ouïghours et Hans, le peuple chinois “historique”, suite à une série de mesures discriminatoires et au lynchage public de deux ouvriers ouïghours. Les affrontements ont conduit à la mort d’environ 200 personnes. Le gouvernement chinois entreprend alors depuis plusieurs années une campagne visant une assimilation culturelle forcée de la population musulmane, qui vit une véritable persécution.

Le Xinjiang, une prison à ciel ouvert

Depuis 2013 la Chine a été secoué plusieurs fois par des attentats meurtriers, attribués systématiquement aux Ouïghours de par les discriminations qu’ils subissent. Partant d’un amalgame, le gouvernement abuse de l’excuse du terrorisme pour bafouer les droits de toute une communauté. En 2014, il lance alors une campagne intitulée “Frapper fort contre l’extrémisme violent”. C’est alors toute la communauté musulmane du Xinjiang qui subit un contrôle excessif de leur vie quotidienne. Les contrôles se font extrêmement fréquents, leurs déplacements sont limités tout comme leurs communications ; tous les faits et gestes des Ouïghours sont scrutés au moyen des technologies dont disposent les autorités. La moindre démonstration religieuse est considérée comme extrémiste ; port du voile, prières de rue, ne pas consommer d’alcool, porter une barbe épaisse…

Le gouvernement chinois use également de propagande pour inciter les fonctionnaires chinois à s’installer dans la région du Xinjiang, au travers de campagnes comme “Visite le peuple” ou “Devenir famille”. Elles mettent en scène des familles ouïghours et des fonctionnaires du parti communiste partager des repas, forçant les musulmans à s’afficher en buvant de l’alcool ou fumant. Une forme de colonisation pour renforcer l’influence de la culture chinoise dans la région et réduire à néant celle de la communauté musulmane.

Des camps de “rééducation” forcée

Au moindre soupçon de participation à une organisation terroriste (dont peut faire l’objet une simple utilisation de WhatsApp) et en guise de punition, le gouvernement a mis en place des camps d’internement, qu’il qualifie de “camps d’éducation politique”. Y sont enfermés aussi bien les hommes que les femmes, les personnes âgées ou les enfants, sans aucune forme de procès. Les détenus ne peuvent ni faire appel à un avocat ni contester leur détention, puisque officiellement ces camps sont des “programmes de formation professionnelle” pour “éradiquer la pauvreté” dans la région. Un million de personnes y seraient enfermées et subiraient une propagande intensive visant à éradiquer en eux toute forme de culture “déviante” ou de contestation, forcés d’apprendre le chinois mandarin, de clamer les hymnes politiques et d’étudier les discours du parti communiste. Les plus résistants subiraient des sévices corporels et de la torture mentale ; des témoignages recueillis par Amnesty rapportent des privations de sommeil, de nourriture, des mises en isolement, du maintien dans des positions douloureuses ou encore des coups. Si les détenus ne parviennent pas à convaincre leurs geôliers de leur “transformation”, ils sont forcés de rester. Des méthodes telles qu’on signale un certain nombre de décès à l’intérieur des camps, notamment des suicides. Des milliers de famille sont ainsi séparées, sans nouvelle de leurs proches.

 

Une communauté isolée et menacée jusqu’en Europe

La population ouïghour du Xinjiang ne subit pas seulement cet harcèlement en Chine, mais partout dans le monde. Le gouvernement soupçonne ses ressortissants installés à l’étranger d’avoir mené l’organisation des attentats depuis l’extérieur du pays. Il cherche alors à isoler et contrôler les Ouïghours expatriés, notamment en France. Selon leurs témoignages, plusieurs jeunes étudiants ouïghours auraient reçu l’ordre de prouver leur présence en France et de démontrer qu’ils y sont pour des raisons “valables”, par des selfies avec le journal du jour, devant la tour Eiffel ou encore des photographies de leur carte étudiante. Les services secrets chinois chercheraient aussi à recruter des espions parmi ses ressortissants à l’étranger pour instaurer méfiance et mutisme au sein de la communauté. Craignant pour leurs familles restées au pays, peu d’Ouïghours osent alors témoigner. Et ceux qui se risquent à rentrer au Xinjiang ne sont pas sûrs de pouvoir en repartir.

La résistance s’organise contre Pékin

La communauté internationale semble peu à peu prendre la mesure de la situation des ouïghours au Xinjiang grâce aux témoignages qui se multiplient.

L’organisation Human Right Watch, qui lutte activement pour défendre les droits de l’homme, a publié un rapport le 9 septembre pointant du doigt les violations des droits humains perpétrées contre la communauté ouïghour en Chine intitulé “Éradiquer les virus idéologiques : Vague de répression en Chine contre les musulmans du Xinjiang“. Dans une récente publication, Amnesty accuse également Pékin de mener “une campagne gouvernementale d’internements de masse, de surveillance intrusive, d’endoctrinement politique et d’assimilation culturelle forcée“, demande aux autorités chinoises d’assumer la vérité sur les camps et à la communauté internationale de réagir.

Une zone de non-droit

Au vu des différentes preuves et témoignages qui s’accumulent, difficiles à recueillir tant la pression subie est importante, et encouragés par des manifestations internationales dans ce sens, certains gouvernements réagissent et prennent des mesures en plus de la parole. Le gouvernement suédois notamment a décidé mi-septembre d’interrompre temporairement les expulsions de Ouïghours vers leur pays d’origine. L’Office suédois des migrations a ainsi expliqué que “les données de plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme montrent que la situation pour les ouïghours a empiré ces derniers temps” (AFP). Depuis plusieurs semaines, Washington condamne également Pékin ; le secrétaire d’Etat Mike Pompeo a ainsi publiquement dénoncé le fait que “des centaines de milliers, peut-être des millions de Ouïghours sont détenus contre leur gré dans des soi-disant camps de rééducation où ils subissent un endoctrinement politique strict et d’autres abus horribles“.

Alors que le comité des Nations Unies sur l’élimination de la discrimination raciale a qualifié mi-août le Xinjiang de “zone de non-droit“, les défenseurs des droits de l’homme attendent désormais des mesures concrètes et des sanctions contre Pékin.

 

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