SOCIÉTÉ

Brett Kavanaugh, un juge au dessus des lois ?

Le candidat de Donald Trump à la Cour Suprême a été validé, malgré des accusations d’agressions sexuelles.

Le 4 octobre 2018, Brett Kavanaugh a été confirmé par le Sénat en tant que juge à la Cour Suprême américaine. Une commission judiciaire avait pourtant été mise en place vis-à-vis de ce dernier pour agressions sexuelles sur plusieurs femmes, ce dont le Sénat paraît avoir fait abstraction. Le juge Kavanaugh était le candidat porté par Donald Trump pour remplacer le juge démissionnaire Kennedy. Cette nomination bouleverse l’équilibre de la Cour suprême qui passe désormais du côté conservateur, favorable à Trump.

Des témoignages en bataille

Le 9 juillet, Donald Trump choisit Brett Kavanaugh comme juge à la Cour Suprême au milieu de quatre conservateurs et quatre progressistes. Ce n’est que le 13 septembre que le New York Times dévoila qu’il a eu « un comportement sexuel inapproprié » lors de ses années lycées. Le New Yorker suit le mouvement et révèle le lendemain qu’une femme accuse Brett Kavanaugh d’avoir tenté de l’agresser sexuellement lors d’une soirée lycéenne à Bethesda, près de Washington, au début des années 1980. Le 16 septembre, l’identité de cette mystérieuse femme est dévoilée. Il s’agit de Christine Blasey Ford, 51 ans, psychologue et professeur à Palo Alto en Californie. Le Washington Post retranscrit alors son agression par Brett Kavanaugh et Mark Judge, son camarade. Le journal demande également l’ouverture d’une enquête auprès du FBI.

Les témoignages ne se limitent pas qu’à ce cas particulier. Le 23 septembre, le New Yorker publie le témoignage de Deborah Ramirez, 52 ans. Elle a été agressée par Brett Kavanaugh à l’université de Yale en 1983-1984. Elle l’accuse d’avoir sorti son sexe devant elle et de l’avoir forcée à le toucher. Elle ne témoignera pas lors du procès les faits avancés ne sont pas assez précis.

Le jour suivant, Brett Kavanaugh envoie une lettre à la commission judiciaire du Sénat, qui l’auditionne depuis le 4 septembre. Il déclare qu’il ne cédera pas «  aux efforts concertés pour détruire sa réputation  » et dément les faits lors de sa première interview avec Fox News. Le 26 septembre, il effectue une déposition au Sénat dans laquelle il se dit être victime d’une campagne de calomnie et clame à nouveau son innocence. Donald Trump s’aligne sur ces déclarations et ajoute même qu’il s’agit d’une « arnaque » du parti démocrate.

Le même jour, le témoignage de Julie Swetnick est lui aussi publié. Actuellement employée du gouvernement fédéral, elle accuse Brett Kavanaugh et Mark Judge, alias «  les frères siamois », d’avoir eu des comportements inappropriés avec les jeunes filles entre 1981 et 1983. Elle déclare avoir été victime d’un viol collectif en 1982, auquel ils auraient participé.

Enfin, le 27 septembre, Christine Blasey Ford est entendue par la commission avant même Brett Kavanaugh. Elle a la gorge nouée et lie les faits avec une expertise psychologique, de par sa profession. Tandis que l’accusé nie en bloc bien qu’il admet ne pas avoir eu une adolescence parfaite. Le témoignage de Ford ne semble pas avoir pesé dans la balance puisque le Sénat a maintenu le vote au 4 octobre et confirmé Brett Kavanaugh.

Des mouvements contestataires

Cette affaire a bouleversé les Etats-Unis et créé une fracture supplémentaire dans la société civile. Donald Trump a à nouveau confirmé son manque de considération vis-à-vis des femmes, notamment en prenant position pour Brett Kavanaugh sur Twitter. Ses tweets ont aussitôt été suivis d’un vent de contestation avec #WhyIDidntReport. Des milliers de femmes du monde entier ont fait part de leur(s) raison(s) de ne pas avoir porté plainte avant.

Les sondages de CNN montrent également l’opposition d’une grande majorité de la population à la confirmation de Brett Kavanaugh. Un sondage montre qu’environ 40 % des interrogés sont contre sa confirmation, et 31 % pour, soit le plus bas taux d’adhésion d’un juge à la Cour Suprême depuis 30 ans.

Dans la foulée, de nombreuses manifestations ont eu lieu aux Etats-Unis, voyant défiler majoritairement des femmes vêtues de rouge avec une capuche. Elles ont ainsi repris les codes du roman The Handmaid’s Tale, qui met en scène un futur proche dans lequel les femmes seraient utilisées pour leur capacité à procréer. En effet, l’avortement est un sujet sur lequel risque de revenir la Cour Suprême si l’on considère les multiples déclarations anti-avortement de Brett Kavanaugh.

Dans la sphère politique, les démocrates sont furieux de cette nomination. D’autant plus que des documents liés au passage de Brett Kavanaugh à la Maison Blanche en tant que conseiller de G. Bush sont arrivés très tard avant l’audience laissant peu de temps pour les examiner. Quant aux Républicains, la majorité d’entre eux suit la pensée de Donald Trump en dénonçant un complot des Démocrates. Ils clament notamment que jamais autant de documents n’ont été demandés pour la confirmation d’un juge à la Cour suprême.

Quels enjeux pour la politique américaine ?

Les enjeux politiques sont multiples. D’une part, Brett Kavanaugh a 53 ans, ce qui fait de lui un jeune juge et implique qu’il occupera ce poste longtemps nomination à vie oblige. Ainsi, la plus haute instance juridique américaine a de fortes chances de rester conservatrice pendant plusieurs années entravant les présidences suivantes.

Puis il y a les déclarations de Brett Kavanaugh, on ne peut plus préoccupantes. En 2009, il affirmait que les présidents américains ne devraient pas être entravés dans leurs fonctions par des poursuites judiciaires. Or, le procureur spécial Robert Mueller a ouvert une enquête sur la campagne de Donald Trump, et la suite de celle-ci pourrait engager des poursuites contre le président. Cependant, si la Cour Suprême vote une loi de telle sorte, Donald Trump ne serait inquiété par l’enquête qu’à la fin de sa présidence. Brett Kavanaugh est aussi susceptible de revenir sur l’arrêt Roe v. Wade conçernant l’avortement, ce qui le rendrait illégal dans l’ensemble du pays.

Néanmoins, cette nomination n’a pas que des bons côtés pour la politique de Donald Trump puisqu’elle risque d’autant plus de creuser le fossé entre le président et l’électorat féminin. Or, les femmes représentent un nombre de voix important, et cela a son importance à l’approche des élections parlementaires du 6 novembre. Les démocrates espèrent ainsi récupérer la majorité au Congrès afin d’équilibrer les forces avec une Cour Suprême conservatrice républicaine.

Une affaire de société

Cette affaire, au-delà de ses conséquences politiques, révèle un problème sociétal bien plus profond. En effet, les faits dont Brett Kavanaugh est accusé mettent en lumière un problème dans l’éducation des jeunes garçons américains et la liberté dont ils pensent jouir une fois adolescents. Christine Blasey Ford et Julie Swetnick, ne sont que d’autres noms à ajouter à des centaines d’étudiantes, elles aussi fréquemment agressées sexuellement et violées. Selon ABC news, 25 % des étudiantes sont victimes de viol ou de tentative de viol pendant les quatre ans d’université. Très peu d’entre elles osent porter plainte tout comme les accusatrices de Brett Kavanaugh qui osent parler des années plus tard.

De plus, les universités font tout pour étouffer ces viols quand ils sont signalés, et de surcroit n’encouragent pas les étudiantes à porter plainte auprès des autorités. Même si aujourd’hui ce problème est mieux connu, la réaction de Donald Trump, suivie par beaucoup d’autres, des hommes majoritairement, montre bien le problème auquel les femmes sont confrontées et rebute d’autant plus nombre d’entre-elles à mener leur procédure à terme.

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