SOCIÉTÉ

« Ni una menos ! » : Les péruviens unis contre la violence faite aux femmes

Le 13 août dernier, les Péruviennes se sont levées et ont marché. Elles sont venues en masse, accompagnées de leurs époux, de leurs frères, de leurs amis, de leurs pères, de leurs voisins. De tous les âges et dans toutes les régions du pays, elles ont brandi des pancartes, elles ont crié « Tocan a una, tocan à todas » (“Touchez-en une, vous vous en prenez à toutes), elles ont levé la tête, espérant ne plus jamais avoir à baisser les yeux. Le 13 août dernier, les Péruviens ont été plus de 500 000 à suivre la marche organisée par le collectif féministe Ni Una Menos, afin de protester contre les violences faites aux femmes dans le 3ème pays au monde comptant le plus victimes de crimes machistes.

 Le cortège a entamé sa route à 15h30 dans les rues de Lima, suivi par plusieurs milliers de Péruviens. Lancé sur les réseaux sociaux quelques semaines plus tôt, l’appel à la Marche a reçu un écho dépassant les expectatives des organisateurs, qui attendaient environ 50 000 personnes. Le sujet des violences et de la discrimination de la femme au Pérou est devenu viral en 2012, après que deux jeunes célébrités locales, Lady Guillen et Arlette Contreras, aient été battues par leurs compagnons. Les deux affaires devenues publiques, la mobilisation a pris une ampleur jamais vue dans le pays, canalisée par le collectif Ni Una Menos, organisateur de la Marche.

« Chut, on tue au Pérou »

 Le féminicide, « meurtre d’une fille, d’une femme en raison de son sexe » peut-on lire dans le Robert, a la peau dure au Pérou. En 2013 ont été recensés 131 cas et 152 tentatives auxquelles s’ajoutent plus de 40 000 plaintes pour violences domestiques. Dans 80 % des cas, les agresseurs avaient eu une relation amoureuse avec la victime. Les chiffres officiels sont effarants – hélas, ils ne sont pas  suffisant pour démontrer l’ampleur du phénomène. Augustin, un péruvien présent à la Marche du 13 août, raccourcie en 13A, explique que bien souvent, la victime ne dit rien :  « Il y a beaucoup de violences au sein du couple, de la part du mari. Et le fait est que pour préserver l’unité de la famille, pour préserver les enfants, la femme ne dit rien. Et ça devient une routine, le mari revient après avoir bu quelques verres de trop, et sa femme le voit venir, elle sait qu’il va être violent, mais elle ne fait rien, parce qu’ici au Pérou, la famille passe avant ».

 La « famille » passe avant, mais aussi les ressources. Alexandra Hibbett, chercheuse et spécialiste sur les violences politiques, estime que la violence n’est pas dénoncée parfois en raison du manque de moyens financiers de la victime, dans le cas de violences familiales. Un viol laisse parfois un souvenir bien « vivant » chez la victime, et en 2009, le Tribunal Constitutionnel Péruvien ordonnait au Ministère de la Santé de s’abstenir « de développer comme politique publique la distribution gratuite au niveau national de la pilule du lendemain ». Sur ce sujet, la position favorable bien que discrète à la dépénalisation du nouveau Président, Pedro Pablo Kuscynski (« PPK »), sera peut-être une aide précieuse pour les Droits des Femmes dans le pays.

L’origine de la violence

 Le machisme marqué qui règne au Pérou compte parmi les nombreuses racines du mal. Un sondage réalisé en mai 2013 par l’Institut d’Opinion publique de la Pontificia Universidad Católica de Perú – PUCP, rapporte que 18,7 % des interrogés estiment que les hommes devraient battre leurs femmes si elles leur sont infidèles. 10,9 % considèrent qu’il s’agit d’une réaction normale si une femme dépense de l’argent de manière injustifiée.

 La société patriarcale au Pérou sert le déni du crime, mais elle est aussi plus insidieuse. Les médias au Pérou tendent à verser dans le sensationnalisme, diffusant en chaine les vidéos des agressées. Qu’elles apparaissent trainées sur le sol par les cheveux, les visages tuméfiés, les cicatrices en gros plans qui ne guérirons jamais vraiment, les femmes traumatisées sont exhibées sous des gros titres qui, tous, vocifèrent « CRIME PASSIONNEL  ». Lors d’une conférence relative à la marche du 13A, Micaela Távara, journaliste, artiste et féministe active, martèle durement : « Il faut sortir des discours selon lesquels ces crimes sont commis par « amour », ils ne font que justifier la violence ! ». Son regard s’est empli de fierté, durant la marche du 13A, lorsqu’une jeune femme a brandi une pancarte « YO soy la mujer de mi vida  » (“JE suis la femme de ma vie“).

 Quand la justice ne répond pas, ou pire, répond mal 

 Avec Ni Una Menos, les femmes péruviennes ont décidé qu’il était temps de se défendre elles-mêmes. Que personne ne le ferait à leur place. Non pas qu’une partie d’entre elles ne l’aient pas tenté avant ! Mais l’ampleur prise par le mouvement au niveau national, leur a donné plus de poids devant un acteur bien spécifique : la justice péruvienne. La Marche du 13 août 2016 s’est faite en réaction aux juges, à ceux qui donnent les sentences, aux magistrats qui minimisent les peines pour les hommes, lorsqu’ils ne les laissent pas tout simplement partir à l’issue du jugement. Selon DEMUS, un organisme d’étude péruvien de la défense des droits des femmes, 90 % des crimes à caractère sexuel restent impunis. Quant aux 15 625 plaintes pour violences sexuelles effectivement reçues par le Ministère Publique en 2013, seules 925 des victimes ont pu bénéficier d’une défense d’office, pourtant un droit. Un article du Peruvian Times de 2011 rapporte que la police pose encore très fréquemment des questions du type : « Quels vêtements portiez-vous ? » ou « Qu’avez-vous fait pour le provoquer ? » en cas de violences familiales. Ces dernières considérées comme une affaire privée, une affaire de famille, on rappelle qu’il est inutile de s’insurger contre l’air exaspéré qui se peint sur les visages de ces mêmes policiers lors des dépositions.

 Au-delà des Hommes sous les robes et les uniformes, la Loi elle-même ne permet pas une dénonciation et une visibilité systématique des crimes commis : au Pérou, en cas de violence familiale, la victime doit fournir une preuve tangible de mauvais traitement, car la présence de témoins ne constitue pas une preuve suffisante. C’est également elle qui doit remettre à son agresseur l’assignation au poste de police. Et ceci dans le meilleur des cas, soit dit en passant, car la violence familiale n’est considérée comme un crime qu’à la condition que la femme soit incapable d’accomplir quelque tâche que ce soit pendant plus de dix jours en raison des violences qu’elle a subie.

Sortir de la prison de la honte

 Ni Una Menos se bat pour celles qui se taisent, pour celles qui parlent et pour celles qui, grâce au collectif, n’auront pas à subir ces traumatismes. La grande réussite du mouvement selon Alexandra Hibbett, c’est d’avoir permis aux femmes de «  sortir de la prison de la honte ».  Les réseaux sociaux et notamment Facebook, ont servi de support au développement du collectif. Ils ont ouvert une porte vers un lieu où toutes les femmes, sans considération financière ou idéologique ont pu et peuvent toujours, s’exprimer, raconter leurs agressions, se soutenir entre elles : « La plus grande force (de Ni Una Menos) est d’avoir créé un espace pour reconnaître, pour mettre des mots sur des crimes connus de tous, mais qui jamais ne s’étaient imposés dans l’espace public  ».  Là encore, la présence à la Marche du 13A du Chef d’État Péruvien, PPK, agitant sa pancarte comme le reste des participants, aura également pu attirer les caméras et l’attention sur l’événement.

 Ni Una Menos énonce ses revendications en 11 points sur sa page Facebook, parmi lesquelles un traitement médiatique plus adéquat, ainsi que la mise en place de structures d’accueil pour les femmes victimes de violences, insuffisantes selon le Country Report 2012. Le collectif réclame également des sanctions contre les magistrats appliquant des critères machistes et garantissant finalement une impunité dans les cas de violence contre la femme. Enfin, les revendications portent sur la promotion de l’égalité des genres par l’État et les collectivités régionales et la distribution gratuite de la pilule du lendemain.

Dans le domaine des violences faites aux femmes, le Pérou obtient donc une médaille de bronze. Mais l’Uruguay, la Colombie, le Salvador, le Guatemala, le Chili et de nombreux autres pays d’Amérique du Sud se bousculent également pour avoir une place sur les marches de ce macabre podium. Si Ni Una Menos au Pérou se calque sur les modèles chilien et argentin du collectif, on n’en finit plus d’espérer l’étincelle qui embrasera les pays voisins…

 

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