SOCIÉTÉ

Libreville, ton univers impitoyable…

Des élections nationales vraisemblablement truquées par un président sortant porté au pouvoir par son père, où il affronte son ancien beau-frère, Jean, qui fut pendant un temps compagnon de la fille préférée de son père… Un triste imbroglio politico-familial, plus tragique que les Borgia, qui décrit fidèlement la situation actuelle en République gabonaise.

Episode 1 : des élections truquées
Le 27 août, l’élection présidentielle entachée d’irrégularités donne Ali Bongo Ondimba vainqueur avec 6 000 voix d’avance sur Jean Ping, son ex-beau frère. Les regards suspicieux se tournent vers la province du Haut-Ogooué, au sud-est, où le taux de participation avoisine les 100 %, soit le double constaté dans les autres provinces. Surprise : après recompte des voix, Ali Bongo aurait obtenu plus de 95 % des suffrages. Inquiet des représailles, l’auto-déclaré « président élu », Jean Ping, dépose finalement un recours devant la Cour Constitutionnelle du pays, le 8 septembre.

Episode 2 : des affaires familiales devant la Cour

Poussé par la communauté internationale, Jean Ping opte pour ce recours, sans y croire : comment espérer l’impartialité de cette haute cour de justice sachant que l’une des maîtresses du père d’Ali y siège ? Douze jours plus tard, l’ancien garde des Sceaux démissionnaire atterrit en France, dénonçant un trucage du scrutin et une tentative d’assassinat. La Cour valide donc l’élection d’Ali Bongo, en déclarant « illisibles » les feuilles de pointage dans les bureaux suspectés conjointement par l’équipe de Jean Ping et par la mission d’observation de l’Union Européenne. Dans la foulée, s’en est suivie l’annulation du scrutin dans ces circonscriptions, gonflant ainsi l’écart entre les candidats (50,66 % contre 47,24 % soit un écart de moins de 10 000 suffrages). Jean Ping est menacé d’arrestation s’il franchit « la ligne rouge. »

Succédant après quarante-deux années de règne à son père Omar, Ali Bongo, 57 ans, gouverne sans partage depuis 2009 sur ce petit pays de 2 millions d’habitants dont 30 % vivent sous le seuil de pauvreté. Face aux émeutes et à la montée des contestations, Jean Ping, 73 ans, ministre à plusieurs reprises sous Omar et Président de l’Union Africaine, et ses alliés ont d’abord appelé à un recomptage des voix. Le président sortant leur a rétorqué, sur les ondes de RFI : qu’« être un bon démocrate, ça veut dire respecter les lois de son pays ».

L’opposition ne peut plus qu’appeler à une gouvernance élargie. Omar Bongo prend la parole, le 4 octobre, d’un ton solennel : « J’ai compris le message des Gabonais ». Surprenant la communauté internationale, avide de signes d’ouverture, il procède à une refonte de son gouvernement, écartant certains de ses vieux routiers… mais aussi l’opposition.

Episode 3 : disparitions d’opposants et écoutes malveillantes

Au QG de l’opposition, on essaie de pousser les citoyens à apporter leurs dépositions, à donner le nom d’un cousin, d’un frère, d’un ami dont ils n’ont plus de nouvelles depuis le début des manifestations. Un décompte officiel établit à 800 le nombre de personnes arrêtées, désignées comme des « casseurs et des pillards » par le gouvernement, 27 morts ont été formellement identifiés. 41 personnes ont été blessées et 47 ont été décrétées disparues après des descentes d’escadrons dans des lieux ciblés. Des chiffres bien en deçà de la réalité ; les Gabonais craignent d’être arrêtés à leur tour s’ils signalent une disparition. Jean Ping a appelé à une journée de deuil national le 6 octobre, demandant des sanctions contre les « auteurs d’un coup d’Etat électoral », et a invité la population à rester chez elle, pour éviter les représailles.

La communauté internationale pousse des cris d’orfraie, d’autant plus après la diffusion par le JDD de plusieurs extraits d’écoutes de discussions entre les observateurs européens, opérées par l’entourage présidentiel gabonais, depuis le 27 août dernier. L’Europe et particulièrement la France – partenaire stratégique important du Gabon – dénoncent la situation mais délèguent la rédaction d’un rapport complet à l’Union Africaine.

Un épisode 4 qui devrait, selon toute vraisemblance, se jouer sur les bancs de la Cour Pénale Internationale.

Sudiste exilée à Paris, Mazienne #fromthebeginning. Droguée à l'actu, le plus souvent par seringue radiophonique.

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