SOCIÉTÉ

Laissé à votre appréciation.

Au Mexique, on peut rouler à 150 kilomètres par heure sur une autoroute sans pour autant payer le prix fort de son infraction. On peut décider de verser une « mordida ». C’est le nom donné aux quelques billets alors demandés par l’agent qui vous a arrêté pour trouver ensemble une possibilité d’arrangement. La situation est, comme on dit au Mexique, « laissée à l’appréciation » de l’automobiliste par l’agent, prêt à être aidé pour aider. Il faut se laisser graisser la patte pour continuer sa route le plus tranquillement possible. C’est la corruption qui gangrène le Mexique, mais dans une moindre mesure. À l’échelle nationale, l’État est confronté à un empoisonnement sans merci de son économie. Principalement entre corruption et violence, le Mexique est aujourd’hui livré à une lutte qui devient interminable.

Corruption en narcocratie

Les actes sont toujours plus nombreux mais ceux qui sont sanctionnés sont les plus rares. Ils ne représentent que 5 %. Des chiffres préoccupants pour un gouvernement souvent incité à se retirer par la population. Ce gouvernement, c’est celui d’Enrique Peña Nieto, au pouvoir depuis décembre 2012… Mais qui ne s’est réellement penché sur les affaires de corruption que l’année dernière, en 2014, se rendant soudainement compte après des actes de violences survenus que « le Mexique devait changer ». Instauré au printemps dernier, un système national anti-corruption n’a fait pas encore ses preuves, poussant les mexicains à de nouvelles insurrections.

Une manifestation hostile au Président dans les rues de Mexico. - (c) KEYSTONE

Une des nombreuses manifestations hostile au Président, dans les rues de Mexico. – © KEYSTONE

Mais comment faire confiance à des politiques qui sont en affaire avec les narcotrafiquants les plus puissants du pays ? La question se pose d’autant plus quand on est mexicain et qu’on voit nos gouvernants à la télévision, filmés attablés avec les barons de la drogue. Ceux qui sont responsables de notre pauvreté, qui n’ont pas notre vie mais qui se rient bien de notre situation. La scène paraît sortie d’un vieux film policier plutôt médiocre mais les vidéos en question ont filtré et ce n’était malheureusement pas de la fiction. Quelle surprise de découvrir le fils de l’ex-gouverneur du Michoacán, alors intermédiaire, en pleine discussion durant l’été 2014 avec « La Tuta », le chef du cartel mexicain des Chevaliers templiers, arrêté en février dernier ! Un exemple parmi tant d’autres… Ailleurs dans le pays, des pots de vins sont versés pour élire certains députés plutôt que d’autres. Pendant ce temps, dans la rue, les affiches de la campagne électorale fleurissent, même dans les quartiers les plus défavorisés. Hommes d’affaires qui s’en sortent plutôt bien ou misérables forcés de vivre sous des tôles ondulées prêtes à craquer, tous lèvent la tête pour découvrir le même slogan : « Pour un gouvernement honnête et efficace ! ».

Entre quartiers riches et défavorisés, la transition est nette. - (c) Oscar Ruiz.

Entre quartiers riches et défavorisés, la transition est déroutante. – © Oscar Ruiz

Le bilan de cette corruption est alarmant.

Les photos ne sont pas photoshopées même si on le préfèrerait : outre les disparités provoquées par une pauvreté envahissante mais qui n’atteint pas encore tout le monde, la corruption mêlée au trafic de drogue plombe les comptes du pays. Si deux millions de personnes supplémentaires sont devenues pauvres ces deux dernières années, c’est parce que, selon la banque centrale du Mexique, le coût de la corruption vaut 9 % des richesses annuelles du pays, ce qui correspond à 80 % des impôts collectés. Le narcotrafic est quant à lui en pleine expansion ; dans l’État de Guerrero, l’un de ceux qui produit le plus d’héroïne dans le pays, il s’agirait même d’une des sources de revenus principales. Des revenus qui ne profitent qu’à une poignée de personnes.

La violence, ce fléau qui abasourdit le Mexique

Finalement, c’est comme si la corruption ne suffisait pas. Comme si les problèmes ne concernaient pas déjà assez de monde et qu’il fallait encore les accentuer.

De l'espoir résidait pour retrouver les 43 étudiants disparus. L'affaire a fortement été médiatisée. - (c) AFP

De l’espoir résidait pour retrouver les 43 étudiants disparus. L’affaire a fortement été médiatisée. – © AFP

L’une des affaires les plus marquantes de ces derniers temps concerne les 43 étudiants enlevés en novembre 2014 à Iguala. Cette affaire, tout le monde en a entendu parler. Au départ, une disparition comme il y en a beaucoup au Mexique. Funeste routine, me direz-vous ! Cette fois en revanche, personne n’a été retrouvé vivant. Le doute plane encore sur ce que sont devenus ces corps. La version d’une crémation en fosse commune a récemment été remise en doute, mais quoi qu’il arrive, il s’agit bien d’un acte de barbarie comme le pays en voit de plus en plus. Parallèlement, les manifestations continuent et rares sont ceux qui les voient s’arrêter de si tôt.

Les cartels ne font pas dans la finesse quand il s’agit d’ôter des vies. Parler de simple violence s’assimile désormais à un euphémisme de bienséance. Toute trace d’humanité est morte en même temps que les victimes elles-mêmes. Qualifiées de « dictature de la peur », les méthodes des cartels sont variées : dépeçages, décapitations, démembrements par exemple… Il n’est plus rare d’avoir 19 ans, d’être membre des « Maras », gang armé d’Amérique centrale, et d’avoir déjà tué plus de 200 personnes. Ces gangs ne craignent rien, surtout pas la mort.

Un cercle vicieux

Les "Maras" sont issus de quartiers pauvres. Formés dès l'enfance, ils deviennent d'impitoyables criminels. - (c) Agence VU

Les “Maras” sont issus de quartiers pauvres. Formés dès l’enfance, ils deviennent d’impitoyables criminels. – © Agence VU

Selon l’Institut mondial de la Paix 2015, combattre cette sauvagerie, c’est dépenser 22 % du produit intérieur brut d’un pays qui est déjà dans un gouffre financier. Investissements dans la prévention et dans la répression de la violence, poursuites en justice, salaires des forces de l’ordre mobilisées en permanence mais parfois malhonnêtes… Rien de bon pour le budget d’un Mexique véreux jusqu’aux frontières. L’État tourne en rond, plongé dans un cercle vicieux qui peut coûter de l’argent comme des vies.

Le Président est dos au mur et une crise de confiance de grande ampleur ne parvient plus à être calmée. Pendant ce temps, les inégalités se creusent toujours et la population est forcée de subir les violences continues d’un système corrompu.

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