SOCIÉTÉ

Lettre ouverte à Simone Veil : merci pour nos utérus

La ministre de Valéry Giscard d’Estaing, rescapée de la Shoah, nous a quitté le 30 juin dernier, alors qu’elle allait avoir 90 ans.

Chère Simone Veil,

Je me souviens de ma lecture de votre autobiographie Une vie, il y a quatre ans maintenant. Évidemment, comme vous étiez une grande dame, je n’étais pas sans ignorer votre parcours, mais j’ignorais tout de votre vie. Au fil des pages, j’ai découvert successivement une jeune fille intelligente et courageuse, une femme indépendante et puissante, une dame respectable et éminente. Je n’étais alors pas vraiment consciente du patriarcat, du sexisme ordinaire, notamment. Grâce à vous, Simone, en 2013, ma conscience alors s’éveille. Dans l’ouvrage dont le titre a été emprunté à Maupassant, vous exposiez votre incroyable parcours sans jamais être dans le pathétique, avec sagesse et droiture. C’est cette force que j’ai admirée en vous.

C’est cette force que j’ai admirée, Simone Jacob, quand j’ai su votre expérience des camps et de la Shoah. Cette force incroyable qui vous a poussée à vous reconstruire, notamment en devenant une brillante magistrate après que votre mari, Antoine Veil, vous a fait renoncer à la carrière d’avocate… Nous étions alors dans les années 1950 et les femmes étaient placées sous le joug de leur mari, ne l’oublions pas. Vous reconstruire aurait déjà pu être amplement suffisant. Mais vous ne vous en êtes pas contentée, en femme pugnace que vous étiez : vous avez aussi souhaité reconstruire la France en devenant ministre.

C’est cette force qui m’a frappée lorsque j’ai regardé votre discours dans l’hémicycle du Palais Bourbon pour défendre le projet de loi sur la dépénalisation de l’IVG devant « une assemblée presque exclusivement composée d’hommes » comme vous l’aviez déjà fait remarquer alors. À l’heure où l’Assemblée se féminise, en 2017, avec presque 40 % de femmes députées, je ne peux que penser à votre époque avec émotion. En espérant que ces femmes veillent sur votre loi.

C’est cette force politique qui me frappe encore, cette force de réunifier par votre combat les camps politiques. Je ne suis pas du bord politique que vous défendiez, mais mes engagements de citoyenne en faveur des valeurs de démocratie, de justice, de paix, de solidarité, de respect des droits humains, s’unissent aux vôtres. Et l’union fait la force.

C’est cette force d’engagement, justement, en faveur de l’Europe, de la reconnaissance du statut de l’infirmière indépendamment du médecin, et bien sûr de l’Interruption Volontaire de Grossesse, qui a fait naître mon estime. 29 novembre 1974, il y a 43 ans, la loi était votée par des députés de gauche comme de droite. Un peu moins de 20 ans avant ma naissance, vous me faisiez déjà un beau cadeau. Celui d’être maîtresse de mon corps et de mon utérus. Vous m’offriez également l’insouciance, la liberté et l’ivresse des corps. Vous faisiez ce cadeau à toutes les femmes françaises.

Cette force de caractère, enfin, qui m’électrise lorsque je visionne vos moments de colère justifiés, lorsque je vous vois prononcer un « non » autoritaire face à des hommes politiques. Vous n’étiez « pas commode » comme on dit, fallait pas vous emmerder, Simone.

Vous êtes un modèle pour moi comme pour tant d’autres. Vous étiez une femme, quasiment une sur-femme ? Si oui, alors tout en restant vraie et en gardant vos blessures bien réelles. Vous étiez vivante, vous étiez survivante. Vous aviez un utérus, comme nous toutes, mais vous avez fait en sorte que nous n’en soyons pas dépendantes. Vous étiez vous. Merci.

Rédactrice Maze Magazine. Passée par Le Monde des Livres.

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