SOCIÉTÉ

Lettre du Ciel à la Terre

« Laudato Si’  » (« Loué sois-tu »), c’est un retour au message initial de François d’Assise, le modèle du Pape François. En effet, dans cette encyclique rendue publique le 18 juin dernier, le Pape ne délivre pas seulement un message concernant l’écologie, et ce envers ses fidèles. Il faut, dans « Laudato Si’ », sensibiliser les hommes en les plaçant au cœur de l’oeuvre, quelque soit leurs croyances, dans le but de protéger « notre mère, la Terre ». C’est ainsi que notre planète était désignée par François d’Assise. C’est aussi en réutilisant ces quelques mots que le Pape marque une rupture avec les principes ecclésiastiques concernant la nature.

François, le dissident.

François adresse ici une lettre à l’humanité toute entière, il nous transmet la vision de l’Église quant à l’humain au cœur de cette écologie. C’est le but d’une encyclique et celle-ci offre un voyage philosophique, se transformant par moments en « doctrine sociale ». Cependant, la vision que présente le Pape s’avère être en contradiction avec les principes de l’Eglise en ce qui concerne l’écologie. C’est la première fois que la question de l’écologie est évoquée aussi intégralement et radicalement. François ne se contente pas d’évoquer la nature, la Création et le bien-fondé du catholicisme par rapport à la préservation de l’environnement. Il ne sacralise en rien la nature, ce qui pourrait alors être considéré comme du paganisme. Il exprime simplement que la dégradation de l’environnement va de paire avec la dégradation de l’humain, que l’écologie n’existe pas sans anthropologie. C’est sûrement pour la portée universelle de ce message que l’encyclique du Pape a été aussi attendue, pendant les mois qui ont précédé sa parution. C’est aussi ce qui explique aujourd’hui son succès : début juillet, l’encyclique de François faisait son entrée dans le top 20 des meilleures ventes de livres en France, occupant la quatrième place selon l’institut GfK.

L'encyclique a été tiré en 770.000 exemplaires et en 22 langues. (c) AFP

L’encyclique a été tiré en 770.000 exemplaires et en 22 langues. © AFP

« Laudato Si’ », un manifeste politique

Toujours ancré dans la religion catholique évidemment, le discours de François semble pourtant être davantage rédigé par un homme d’État que par un homme d’Église. Économie, sociologie, politique sont les trois principaux domaines utilisés pour noircir les 187 pages de cette encyclique. Exhortant les gouvernements à agir pour préserver l’environnement et sans dissimuler une vive critique du capitalisme « sauvage » et plus précisément du consumérisme, François prend position contre les « climato-sceptiques ». Pour lui, ce sont les activités de l’homme qui ont provoqué la destruction de l’environnement. Ce sont donc aux hommes d’assumer la responsabilité et d’opérer une transition énergétique équitable (plus simplement, privilégier les énergies renouvelables à celles qui ne le sont pas, comme le pétrole ou le gaz).

En novembre 2014, une rencontre entre Ségolène Royal, ministre de l'Environnement en France, et le Pape François. (c) Sébastien Bozon / AFP

En novembre 2014, une rencontre entre Ségolène Royal, ministre de l’Environnement en France, et le Pape François. © Sébastien Bozon / AFP

Cette transition accorde une place prépondérante aux pays riches, ceux du Nord économique, puisque ce sont eux qui vont devoir faire davantage de concessions économiques. De plus, le Pape entend aussi préserver cet environnement en difficulté en encourageant à la création d’une institution capable de sanctionner les pays qui polluent le plus. Enfin, en ce qui concerne la question récurrente de l’avortement, le Pape a un avis tranché : « tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement ». Il n’y aurait alors pas d’avortement légitime du point de vue de l’Église puisqu’elle est toujours pour la vie et considère l’avortement comme un meurtre. Les considérations du Pape François ne se limitent cependant pas à un dialogue unilatéral avec les dirigeants du monde entier, il vise aussi chacun d’entre nous, nous amenant à nous questionner.

L’amour de la sagesse

Le Pape argentin en profite pour mettre en avant une idée d’illusion de la liberté. Presque considérée comme étant chimérique, celle-ci ne résiderait que sur la production humaine, celle qui se détourne donc des biens initialement offerts par la nature que nous nous devons justement de préserver. Cette préservation va dans le sens du développement durable défini en 1987 lors du rapport Bruntland : l’encyclique de François pose effectivement une question fondamentale : quel monde voulons-nous laisser à nos enfants ? C’est en questionnant le monde que le pape François compte bien faire opérer un changement des mentalités. Nous devons nous demander de quelle Terre nos enfants vont hériter, et également, ne pas négliger notre regard d’enfant sur ce monde qui nous entoure. La beauté de la nature, sa majestuosité, souvent mises de côté au profit du pouvoir des technologies, sont donc à redécouvrir au plus vite si ce monde est destiné à changer. Après tout, pourquoi ne profitons-nous pas comme il se devrait de l’impétuosité de notre jeunesse pour admirer notre « maison commune » ? Pensons par nous-mêmes, admirons la nature, ne faisons pas de celle-ci « notre » nature… La portée philosophique de cette encyclique se rapproche par moments des principes kantiens : « l’homme est infiniment respectable puisque créé et aimé par Dieu ». De quoi ouvrir de nouvelles perspectives à notre esprit, n’est-ce pas ?

Ainsi, à quelques mois de la conférence internationale sur l’environnement qui aura lieu à Paris en décembre, cette lettre, qui a vu défiler au dessus d’elle des centaines d’experts depuis deux ans pour sa rédaction, est pleinement d’actualité. Elle ne se cantonne pas à l’objectif premier d’une encyclique, qui est de donner le point de vue sur une question d’actualité justement, mais apporte un regard nouveau et apparaît comme une modernisation de la religion catholique.

You may also like

More in SOCIÉTÉ