SOCIÉTÉ

Un an avec Marlène Schiappa : quel bilan ?

Marlène Schiappa, une secrétaire d’Etat qui fait débat (crédits photo : Philippe Lavieille, Le Parisien)

Figure médiatique, porteuse de la « grande cause nationale du quinquennat », Marlène Schiappa n’est pourtant que secrétaire d’État. Le moment pour tirer un bilan de ses actions, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre et un peu plus d’un an après sa nomination.

Marlène Schiappa est née en 1982 à Paris d’un père militant de la libre-pensée, spécialiste de Gracchus Babeuf, grande figure révolutionnaire, et d’une mère chef d’établissement scolaire dans le second degré, ancienne militante politique et syndicale. Marlène Schiappa aura donc une jeunesse pour le moins politisée même si sa carrière proprement dite ne démarrera que sur le tard, si on excepte une vague tentative en 2001 lors de l’élection municipale à Paris sur une liste associative.

Mère à 23 ans, celle qui s’est déjà construit une jolie réputation grâce à son blog et son réseau de mère actives « Maman travaille » fondé en 2008, est approchée en 2014 par le maire socialiste du Mans et devient son adjointe à l’égalité ainsi que « conseillère communautaire à l’attractivité économique ». Ce n’est qu’en 2016, qu’elle rencontre Emmanuel Macron, qui n’est alors pas encore candidat à la présidentielle.

Une nomination qui crée des remous

Premier constat au moment de sa nomination : Marlène Schiappa n’est pas ministre, mais secrétaire d’État. Une déception pour certain·e·s. Pendant sa campagne, Emmanuel Macron avait annoncé la création d’un « ministère plein et entier » des Droits des femmes, promesse qu’il n’a pas tenue. Ce qui signifie deux fois moins de moyens humains et financier.

Et dès son entrée en poste, les convictions féministes de la nouvelle secrétaire d’État sont l’objet de débats et de polémiques. Lorsque son nom est annoncé au sein du gouvernement, un ancien livre refait surface : Osez l’amour des rondes, publié en 2010. Prétextant décomplexer les rondes et lutter contre la grossophobie, l’ouvrage choque jusque dans les milieux féministes qui le qualifient de « vulgaire » et lui reprochent les clichés qui y sont véhiculés : « les femmes rondes sont sensuelles et attirent le mâle en rût », « en public on mangera une sucette pour rappeler l’aspect phallique du geste, mais pas un sandwich ».

Une forte occupation médiatique

Malgré le fait qu’elle ne soit pas ministre, Marlène Schiappa occupe une place importante au sein de l’espace médiatique. Elle a joué la pièce féministe d’Eve Ensler Les Monologues du vagin au côté des anciennes ministres Roselyne Bachelot et Myriam El Khomri le 7 mars dernier, sur les planches du théâtre Bobino.

Elle est également apparue à plusieurs reprises sur le site Madmoizelle.com, site féministe très populaire chez la jeunesse française et particulièrement les adolescentes, pour raconter son parcours ou expliquer comment le sexisme en politique l’a contrainte à s’attacher les cheveux en séance parlementaire pour ne plus subir de remarques sur son apparence physique.

Début mars 2018, elle a également fait la une de Paris Match, aux côtés de « son époux Cédric ». À l’occasion de la journée des droits des femmes, elle est aussi apparue sur le plateau de l’émission Touche pas à mon poste, et a félicité le présentateur Cyril Hanouna pour sa « maîtrise de l’émission ». « Beaucoup d’annonces et de coups de communication, mais peu de moyens déployés », selon Pauline Spinazze, d’Osez le féminisme, dans un entretien avec RTL Girls.

Marlène Schiappa et son mari. © Paris Match

 

Mais l’attitude de la secrétaire d’État ne déplaît pas à sa prédécesseure Laurence Rossignol. Même si elle est en désaccord sur certaines de ses prises de positions, comme son soutien à Nicolas Hulot et à Gérald Darmanin. « Elle est active, audible, porte le sujet. Et c’est important, car c’est aussi un ministère de la parole », a-t-elle raconté au journal Libération.

Des erreurs de communication

Cependant, l’année de la secrétaire d’État n’a pas été un long fleuve tranquille. En juin dernier, alors que le quartier de la Porte de la Chapelle à Paris était décrit comme dangereux pour les femmes, à cause du harcèlement de rue, Marlène Schiappa a posté sur Twitter des photos d’elle s’y baladant. Le post était accompagné du message suivant : « Les lois de la République protègent les femmes, à toute heure et en tout lieu ». Le tweet a été supprimé rapidement, car Marlène Schiappa s’était exprimée avant même d’avoir rencontré les associations féministes travaillant sur le harcèlement de rue.

En janvier dernier, elle a également été critiquée pour avoir réagi aux propos de l’avocat de Jonathann Daval, après que celui-ci a reconnu avoir tué sa femme. Marlène Schiappa avait qualifié de « scandaleux » les propos de Maître Schwerdoffer, qui assurait qu’il y avait « deux victimes dans cette affaire ». Christophe Castaner, délégué général LREM, avait rappelé Schiappa à l’ordre en affirmant qu’ « un Ministre n’a pas à commenter une affaire judiciaire en cours ».

Plus récemment, la secrétaire d’État s’est fait à nouveau remarquer sur Twitter en fustigeant la linguistique de l’événement « La Fête à Macron », début mai 2018, assurant que la formulation « la Fête de Macron eut (sic) été plus correct ». Une linguiste a répondu à la secrétaire d’État : « Deux contresens. 1) Il y a une différence de sens importante entre “la fête de Macron” et “faire la fête à Macron”, le 2e est l’antiphrase ironique du 1er. 2) Une tournure populaire n’est pas une “langue française dégradée”. On appelle ça l’usage », lance-t-elle dans un premier tweet, avant de se référer au dictionnaire Trésor de la langue française, et de conclure « Par ailleurs, quitte à se prendre pour une pimbêche de la langue française, il manque un accent circonflexe à “eût été” (pour différencier le passé antérieur et le conditionnel passé). À ce jeu là @MarleneSchiappa on se fait toujours doubler… ».

Une volonté d’agir malgré le manque de budget

Le 4 octobre dernier, Marlène Schiappa et Édouard Philippe ont lancé le « Tour de France de l’égalité ». Le projet vise à organiser des consultations civiques à travers le territoire français, organisées par les représentantes locales du gouvernement. Ce dernier a déclaré poursuivre un double objectif :

-Recueillir la parole des femmes et des hommes sur l’égalité au quotidien

– Faire émerger et partager les bonnes pratiques

Cette initiative a permis d’ouvrir des lieux de dialogues et de rencontres, et s’est achevée le 8 mars dernier.

« 0,006 % du budget global de l’État »

Le 25 novembre 2017, jour de la lutte contre les violences faites aux femmes, Emmanuel Macron annonce que la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes sera la « grande cause nationale ». Après avoir fait observer une minute de silence pour les 123 femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint en 2016, le chef de l’État a détaillé un plan organisé autour de trois grands axes :

– L’éducation et le combat culturel en faveur de l’égalité ;

– Un meilleur accompagnement des victimes ;

– Un renforcement de l’arsenal répressif.

Or, selon un rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, le budget pour les droits des femmes était de 29,6 millions en 2016 soit 0,006 % du budget global de l’État. De nombreuses associations féministes, et des personnalités comme Caroline de Haas, ont réclamé davantage d’aide financière, prenant en exemple l’Espagne. Le pays avait investi 1 milliard d’euros dans la lutte contre les inégalités femme-homme.

Par ailleurs, l’un des projets de loi emblématiques du secrétariat d’État de Schiappa était aussi la verbalisation du harcèlement de rue, un volet du projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles. Appuyée par le Ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, Marlène Schiappa a déclaré que suite à l’application de la loi, tout individu pris en flagrant délit d’outrage sexiste pourra être condamné à une amende de 90 à 750 euros. Des mesures que Schiappa qualifient de « valeur d’exemple et valeur pédagogique », au sein « d’un combat culturel ». La verbalisation du harcèlement de rue sera une des missions principales des policiers et policières de la sécurité du quotidien. Pour prévenir la récidive, les harceleurs seront également envoyés en stage de sensibilisation, financés par leurs propres moyens.

La loi sur les violences sexistes et sexuelles est en débat actuellement à l’Assemblée Nationale, et prévoit en outre d’allonger le délai de prescription de 20 à 30 ans en cas d’agression sexuelle sur mineur, et de condamner le cyberharcèlement en groupe. L’article 2 de cette loi a suscité une vive polémique. Il prévoyait initialement la qualification en viol de tout acte sexuel avec un mineur de moins de quinze ans, avant d’être réécrit pour éviter tout caractère inconstitutionnel. Si le viol n’est pas établi, une pénétration sur un mineur par un majeur pourra être requalifiée en « atteinte sexuelle », le texte prévoyant d’alourdir les peines pour ce type de délit, de cinq à dix ans d’emprisonnement, contre 20 ans pour un viol.

Les critiques de la part des milieux féministes

Alors que Laurence Rossignol recevait les associations féministes tous les mois, Marlène Schiappa organise davantage de rencontres avec des jeunes femmes entrepreuneures et des femmes d’affaires. Les associations se plaignent d’un lien rompu et d’un secrétariat d’Etat les considérant comme désuètes.

De nombreuses féministes ont également réprouvé le soutien indéniable qu’a apporté Marlène Schiappa aux Ministres Nicolas Hulot et Gérald Darmanin, accusés d’agression sexuelle ou d’abus de faiblesse, et lui ont reproché de mettre en doute la parole des victimes sans aucune compassion.

Plus récemment, Marlène Schiappa s’est retrouvée au cœur de deux polémiques : l’article 2 du projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles, et ses propos sur une représentante de l’UNEF portant le voile.

La réécriture de l’article 2 a été critiquée par de nombreuses associations de protection de l’enfance, qui craignent un renvoi en correctionnel des accusations de viol sur mineur. « La rédaction intermédiaire est un net recul », a dénoncé Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol. Au contraire, la Ministre de la Justice Nicole Belloubet a défendu l’article de loi : « les poursuites de viols seront facilitées en précisant les notions de contrainte morale et de surprise (…) C’est uniquement quand la qualification de viol ne pourra pas être retenue » que s’appliquera la peine aggravée d’atteinte sexuelle avec pénétration.

Autre polémique récente, dans un reportage diffusé sur M6 le 12 mai dernier, une représentante de l’UNEF s’est exprimée, le visage encadré par un hijab. Le débat sur la laïcité a été relancé, et Marlène Schiappa a déclaré quelques jours plus tard sur France Inter que le port du voile était effectivement autorisé pour les étudiantes, mais qu’elle était « interpellée » par ce choix, et en a déduit que l’étudiante était porteuse d’un « islam politique ».

Un nouveau livre qui ne passe pas inaperçu

C’est aussi le dernier ouvrage de Marlène Schiappa qui n’a pas fini de faire du bruit, et pas toujours en bien. Si souvent éloignées de vous : lettres à mes filles, aurait été écrit pour les filles de la secrétaire d’Etat lors de ses nombreux déplacements.

Cependant, à peine publié, les critiques vont déjà bon train. Tout d’abord, son service de presse a invité les journalistes accrédités inscrits dans son fichier, à une dédicace pour la sortie de son livre « purement personnel ». Or, comme le rappelle le courrier de l’Association Anticor, en mai 2017 la méthode affichée du travail de ce gouvernement était ainsi rédigée : « l’organisation de l’action gouvernementale doit […] répondre à une triple exigence d’exemplarité, de collégialité et d’efficacité. » Selon l’article 1 de ce document, « il convient de limiter l’usage des deniers publics au strict accomplissement de la mission ministérielle en ne tirant pas profit de ses fonctions pour soi-même ou pour ses proches ». L’Association a donc saisi le Premier ministre et la CNIL sur cette façon de faire, et le cabinet de la secrétaire d’état a reconnu « une maladresse qui ne se reproduira pas ».

Mais c’est aussi un article critique de L’Obs, écrit par Barbara Krief, qui s’est fait remarquer. D’après la journaliste, les « courbettes s’enchaînent tout au long du livre », et la plus maladroite serait celle adressée à Brigitte Macron : la « bienveillance, la gentillesse, l’engagement et la classe naturelle, ses allusions artistiques, son humour ravageur et son sourire irrésistible de ‘l’éternel féminin’ ».

Le problème de l’expression de l’« Éternel féminin » ? C’est que c’est une expression éculée qui définit la femme uniquement à travers le désir qu’elle suscite chez l’homme.

La journaliste porte un regard critique également sur l’éducation que Marlène Schiappa prétend apporter à ses filles : « Moi, j’ai pris la forme de manucure de ma tante Martine […], le parfum de ma grand-mère Andrée, les gestes tendres de mon arrière-grand-mère Mina […], la brosse pour se laver le visage de ma première belle-mère, la façon de ma mère de préparer le dîner […], et sans doute beaucoup trop de choses de mon père pour une femme » écrit Marlene Schiappa dans son livre.

« On en parle avec Maman quand on en a nos règles »

« Qu’il est pénible de lire cette tirade en 2018, commente Barbara Krief. Pourquoi ne pas plutôt évoquer le goût de la lecture d’une tante, la passion des voyages d’une grand-mère ou encore le don du bricolage d’une belle-mère. On s’étonne aussi de l’insistance avec laquelle la secrétaire d’État évoque la blondeur et la minceur de sa fille aînée aux ‘jambes longues et fines’, qui pourrait ‘être mannequin’, tandis que la plus jeune a ‘les bras pleins de pulpe’. » Ensuite, la secrétaire d’État explique certaines techniques de séduction à ses filles, techniques pour séduire qui ? Les hommes, bien sûr. Avant de leur assurer qu’il est nécessaire d’avoir des enfants quand on est une femme pour être heureuse.

« On en parle à maman quand on a nos règles », figure parmi les ‘‘règles’’ qu’elle fait « répéter chaque semaine » à ses filles. Un problème quand on sait encore le tabou que demeurent les règles à travers le monde.

La personnalité et les actions de la secrétaire d’État n’aura pas fini de faire débat, considérée par certain·e·s comme une femme politique juste, par d’autres comme une militante féministe qui ne correspond pas à la fonction. Au sein de l’association féministe de l’IEP de Bordeaux, l’opinion d’une adhérente fut tranchante : « C’est juste une bloggueuse life-style à qui on a donné beauuucoup trop de force ».

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