SOCIÉTÉ

Croatie : admise mention passable

La famille européenne s’est agrandie avec un 28ème membre. La Croatie a officiellement intégré l’Union Européenne (UE) depuis le 1er juillet dernier. Une adhésion dans un contexte de crise, qui ne déchaîne pas l’enthousiasme.

L’UE s’élargit vers l’Est, après l’adhésion en 2007 de la Bulgarie et de la Roumanie et avant l’intégration probable de la Serbie dans les mois à venir. Les postes de douane avec la Slovénie ont donc été symboliquement fermés, elle qui restait jusqu’alors la seule ex-république yougoslave à avoir rejoint l’UE, en 2004. Avant de l’être très prochainement avec la Serbie, avec qui des pourparlers ont été engagés dans le but d’enclencher le processus d’adhésion. C’est la récompense d’efforts dans le sens d’une démocratisation de la gouvernance croate que vient couronner cette adhésion, après un processus qui aura duré dix laborieuses années. “Le 1er juillet ouvre une toute nouvelle perspective, un nouveau monde pour nous”, a déclaré le premier ministre croate, Zoran Milanovic, à la veille des cérémonies.

L’Europe est source d’espoir mais aussi de craintes en Croatie. La question est de savoir si cette adhésion favorisera le redressement d’un pays durement touché par la crise. La situation actuelle du pays est peu engageante sur le plan économique. La récession y sévit depuis 2009 et le Produit Intérieur Brut (PIB) croate se situe 39 % en dessous de la moyenne dans l’UE. L’autre gros point noir tient au fait que le taux de chômage s’élève à 21 % de la population et pire, dépasse les 50 % chez les jeunes. Le pays nourrit l’inquiétude de certains journaux, notamment le libéral journal économique allemand Bild, qui résume la situation croate en y associant « Des dettes, de la corruption et un fort taux de chômage », voyant dans ce nouveau membre le risque de s’encombrer d’une « nouvelle Grèce ».

Le problème principal de la Croatie tient au fait que les investissements étrangers sont très faibles. Le climat économique est en effet délétère. Le pays reste gangrené par ses vieux démons, remontant à l’époque de la Yougoslavie. La bureaucratie y est tentaculaire et reste surdimensionnée. Les procédures administratives réglementaires sont en conséquence fortement ralenties. Vient s’ajouter à cela les pots-de-vin qui restent importants dans les négociations économiques. D’après une étude du cabinet Ernst & Young qui a été publiée début mai, la Croatie arrivait à la seconde place des pays européens les plus corrompus juste devant la Slovénie. A cela s’associe une lenteur incommensurable de la justice. Il n’est pas rare de voir un litige commercial se régler en une dizaine d’années. Tout cela ruine la compétitivité de la Croatie.

En résumé, la Croatie reste prisonnière en partie de son passé communiste. Le secteur public y reste prépondérant. Plus de la moitié du capital des entreprises de production de biens et services en Croatie est contrôlée par l’État, d’où un risque d’inadaptation au marché européen. En effet, 99 % des entreprises croates sont des PME et en raison de ce manque de compétitivité, le risque est grand d’en voir de nombreuses succomber face à la féroce concurrence de ses nouveaux concurrents européens. Car, jusque là, ces entreprises bénéficiaient d’un régime spécial – celui du CEFTA (Central European Free Trade Agreement) –  qui constitue une sorte de marché commun de l’Europe centrale. Mais, avec son adhésion à l’UE, la Croatie va sortir de cet accord de libre-échange et va arrêter de bénéficier de conditions privilégiées pour exporter avec les pays limitrophes que sont la Serbie ou la Bosnie, les principaux débouchés de l’accord précédemment cité.

La situation va être quelque peu aplanie par les subventions européennes : un milliard environ au titre de la pré-adhésion à l’UE et encore un milliard par an jusqu’en 2020. Mais il faudra que le pays parvienne à se passer de ses subsides et à se réorganiser par rapport aux standards du marché européen. Ainsi, certaines sociétés soutenues par les fonds publics vont devoir apprendre à se défaire de la tutelle étatique. Il en sera ainsi pour la compagnie aérienne Croatia Airlines, qui va devoir gérer ses dettes sans l’aide de l’État et pour cela, devra procéder à un plan de restructuration, qui prévoit la suppression d’un emploi sur cinq, dans une société qui fournit un travail à 1 100 salariés.

Une jeunesse sans perspectives.

L’avenir du pays passe par sa jeunesse. Or, le taux de chômage est pour cette catégorie estimé à 58 %. Ce qui nourrit une fuite des cerveaux. Les estimations s’accordent à dire qu’environ 10 000 néo-diplômés quittent leur terre natale en quête d’un avenir meilleur. C’est le cas notamment de nombreux doctorants, du fait que les subventions allouées aux projets de recherche sont insuffisantes et en baisse constante. Cela commence tout juste à inquiéter les autorités qui ont mis en place le programme « Newfel pro » en partenariat avec l’UE pour inciter à la mobilité des jeunes chercheurs, pour qu’ils reviennent au pays enrichis par de nouvelles connaissances.

Quelques motifs d’espoir.

Dans ce marasme économique, un secteur d’activités émerge, et il est en plein essor : le tourisme. Le pays a accueilli 12,3 millions de voyageurs en 2012, soit une hausse de 5 %. L’objectif du gouvernement tient à amener les recettes du tourisme à doubler d’ici 2020, pour arriver à environ 14 milliards d’euros. Espérant dès lors favoriser la visibilité et la proximité du pays avec l’Europe de l’Ouest grâce à cette adhésion au sein de l’UE, alors que le principal marché reste encore les pays de l’ex-URSS. D’ailleurs, le gouvernement souhaite accompagner cet essor en investissant 7 milliards dans le secteur touristique, en partie grâce aux fonds européens, surtout pour améliorer le parc hôtelier existant, pour accroître aussi sa capacité d’accueil, notamment en ouvrant de nouvelles stations balnéaires. Pour le coup, les investisseurs étrangers ne manquent pas !

Avec cette primauté donnée au tourisme, les autorités croates tentent un pari risqué, car le chantier est immense. Sans oublier qu’il y a le risque de tomber dans une dépendance vis-à-vis d’un secteur touristique qui représente déjà 19 % du PIB. C’est une des solutions envisagées pour éviter au pays de devenir la nouvelle Grèce, le nouveau boulet de l’Union Européenne.

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