SOCIÉTÉ

Un Temer(aire) au Brésil

Crise politique après crise politique, le Brésil se réveille de la léthargie pailletée dans laquelle l’avaient plongé ses succès économiques des années 2000. Fin août 2016, Dilma Rousseff destituée, son vice-président centriste était poussé sur le devant de la scène politique. Mais, loin de l’exemplarité, Michel Temer pourrait ne pas voir la fin de ce mandat, forcé et jugé illégitime pour une partie de la population.

Retour sur les origines du marasme politique au Brésil

En 2014, un juge tenace, Sergio Moro, fait état d’affaires de collusion entre la classe politique brésilienne et les grands milieux d’affaire. Dans son viseur, Dilma Rousseff, présidente du pays depuis 2010, ainsi que certains membres de son gouvernements et différentes personnalités de l’opposition. Il est question de pots-de-vin finançant des campagnes électorales, de blanchiment d’argent : c’est le scandale de corruption Petrobars. À partir du 2 décembre 2015, les soupçons deviennent d’autant plus audibles par la population que  Dilma  est accusée de maquiller les comptes publics depuis 2014.

L’affaire de « pédalage budgétaire » fait monter d’un cran la tension lorsqu’elle éclabousse l’ancien chef d’État, Luiz Inácio Lula da Silva, « Lula », l’ex-syndicaliste surnommé « père des pauvres ». Ce dernier, charismatique mentor de Dilma Rousseff encensé par Barack Obama (qui avait salué « le politicien le plus populaire du monde »), est certes l’artisan du redressement économique et de la nouvelle prestance diplomatique du pays. Pour autant, sa popularité ne le sauve pas lorsque le juge Moro ordonne et met en scène la perquisition de son domicile et son arrestation le 4 mars 2016. Persuadé que l’ex-président est coupable de blanchiment d’argent et dissimulation de patrimoine, Sergio Moro fonce tête baissée, déterminé à exposer les bases vérolées du renouveau brésilien.

Plus rien ne freine alors la descente aux enfers de Dilma Rousseff : le mois de mars 2016 voit 3 millions de Brésiliens descendre dans les rues et réclamer la destitution de la Présidente. Le 17 avril 2016, la commission parlementaire mandatée pour examiner la pertinence de la procédure se prononce, à plus du 2/3 des élus, en faveur de son lancement. Cinq mois plus tard, l’impeachment (“destitution”) est prononcé et Dilma Rousseff perd ses appartements au palais présidentiel de l’Alvorada, à Brasilia, en même temps que son titre le 31 août 2016. Elle s’incline dans la foulée devant son Vice-Président, Michel Temer, aujourd’hui chef d’État à la dérive.

Impopularité et impréparation du nouveau gouvernement

Propulsé en haut du pain de sucre politique, le Président par intérim est loin de faire l’unanimité. Rusé et présentant la chute de sa partenaire, il laisse filtrer en décembre 2015 l’image d’un vice-président tenu à l’écart et peu informé des décisions du gouvernement, se désolidarisant de cette manière de l’image sérieusement écornée de la présidente et de ses mesures impopulaires.

Fils d’immigré·e·s libanais·es, né en 1940 dans l’État de Sao Paulo, Michel Miguel Elias Temer Lulia est avocat de formation. Le grand public ne le connaît que très peu lorsque cet homme raffiné et friand de poésie prend la tête du pays. Rompu aux techniques de « négociation » dont le Brésil a fait son sport national (Frank Underwood ne compte plus ses disciples), l’actuel chef d’État brésilien n’est cependant pas prêt à se retrouver sous les feux de la rampe lorsqu’il accède à la présidence.

Ses débuts sont d’ailleurs chaotiques : le Brésil frissonne rapidement sous une brise réactionnaire quand le nouveau président dévoile son cabinet composé exclusivement d’hommes blancs aux cheveux grisonnants. Successeur d’une femme à la tête du pays ? 15 ministres du même sexe depuis 2011 ? Que nenni, l’exemple à suivre pour ces dames devrait être celui de l’épouse de Michel Temer, de 40 ans sa cadette : « belle, réservée et au foyer ». Sans surprise, le Brésil progressiste grince des dents.

Nouvelles accusations de corruption

Mais surtout, la courbe de popularité de Michel Temer, déjà en chute libre, fait vite les frais de nouvelles révélations dans le cadre du scandale Pétrobras qui semble déterminé à abattre l’ensemble de la vieille classe politique brésilienne. Rattrapé par les affaires, le Président doit faire face à divers soupçons : financement de sa campagne en 2014 par de l’argent sale, « obstruction à la justice » après la révélation d’un entretien filmé à son insu dans lequel il tente d’acheter le silence d’un homme d’affaire, « corruption passive » ou encore « participation à une organisation criminelle ». Un premier procès a donc été ouvert le 4 avril 2017 afin de valider ou non la régularité du financement de la campagne de 2014. S’il est déclaré invalidé, le mandat de Michel Temer pourrait alors prendre fin aussi brutalement qu’il a commencé.

En attendant le jugement, le chef d’État persiste et signe, jeudi 18 mai, « Je ne démissionnerai pas. Je le répète, je ne démissionnerai pas ». Une refrain longtemps fredonné par chez nous. De la même manière qu’un certain candidat à la présidentielle en France, Michel Temer voit s’effondrer le rempart de ses soutiens, au sein même de son parti, face aux manifestations répétées des Brésilien·ne·s exaspéré·e·s. Un scénario de citadelle assiégée qui l’a amené, mercredi 24 mai, à déployer 1 500 soldats pour protéger les bâtiments publics de Brasilia face aux manifestant·e·s déchaîné·e·s réclamant son départ.

Photo credit : jeso.carneiro via Visual Hunt / CC BY-NC

 

Faiblesses économiques

« Fora Temer  » (« Dégage Temer ») après « Fora Dilma  », le Brésil n’est pas prêt d’adouber celle ou celui qui saura lui rendre ses atouts d’antan. Le matelas économique sur lequel ses ambitions géopolitiques prenaient appui, jadis douillet, voit depuis quelques années ses ressorts grincer de manière inquiétante.

Jusqu’en 2010, la situation économique et sociale du pays montrait des signes encourageants. Lula, alors Président, avait sorti 26 millions de brésiliens de la pauvreté à l’aide, entre autres, de sa Bolsa Familia, une bourse destinée aux zones rurales et le Brésil avait remboursé sa dette au FMI de manière anticipée. Un capital que Dilma Rousseff n’avait pas su faire fleurir. À la fin de son premier mandat, en août 2014, le Brésil était en récession et l’inflation ne cessait d’augmenter, mais le pays était tout de même en situation de quasi plein-emploi.

Hélas, en 2016, la dette est estimée à 75 % du PIB, le Brésil est devenu le boulet accroché au pied des BRICS et la politique d’austérité, avec les coupes dans la Bolsa Familia, a fait l’impopularité de son instigatrice. Et les brésiliens continuent de souffrir du chômage et de la récession depuis le début de la courte année qu’a passé Michel Temer au pouvoir.

Impossible renouvellement politique

Flairant une potentielle lapidation politique, et la libération d’un espace en conséquence, d’ancien·ne·s prétendant·e·s au trône renaissent de leurs cendres. Suspecté de corruption au même titre que sa protégée, Dilma Rousseff, mais gardant malgré tout du crédit auprès de la population suite à ses succès économiques, Lula revient dans la danse. L’ancien président promet de se présenter en 2018 et de réitérer ses exploits.

D’ici à 2018, quels rebondissements sont à attendre ? Un nouvel impeachment n’est peut-être pas la solution à la colère des Brésilien·ne·s. Car après l’éviction de Michel Temer, qui toquera donc à la porte ? Le président de la Chambre des députés, Rodrigo Maia, suspecté d’avoir touché 350 000 reals (102 660 euros) de pots-de-vin pour le financement du parti des démocrates (DEM, centre droit).

Non que ce dernier resterait longtemps au pouvoir (30 jours), mais les deux alternatives sont à peine plus réjouissantes : d’un côté, une éventuelle élection présidentielle anticipée (non prévue dans la Constitution), de l’autre, la nomination d’un·e président·e par le Congrès corrompu composé en majorité de membres mis en cause dans l’affaire de corruption Petrobras.

Après quatre jours de débats, le Tribunal Supérieur Électoral s’est prononcé ce vendredi 9 juin sur la légalité des comptes de la campagne présidentielle de 2014 : en décidant de ne pas casser son mandat, les juges ont accordé un sursis au Président. Une décision qui n’aidera probablement pas à mettre fin à l’instabilité politique du pays ni à ralentir le processus de divorce entre le monde politique et la société brésilienne.

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