SOCIÉTÉ

La démocratie en direct sur Twitch, entretien avec Jean Massiet

Créé en 2015, Accropolis est un média, incarné par une chaîne Twitch, dont le but est de rendre la politique accessible à tous et à toutes. Le format est inspiré du commentaire de jeux vidéos en direct et on y retrouve par exemple les Questions d’Actualité au Gouvernement, ou encore les comptes rendus des Conseils des Ministres. Son fondateur, Jean Massiet connaît bien les rouages de la politique, puisqu’il a été collaborateur d’élu puis plume de ministre. Il nous a parlé démocratie, participation, Civic Tech et citoyenneté.

© Accropolis

Y a-t-il un constat à la base de la création d’Accropolis ?

Le constat c’est que la politique se donne à voir aux citoyen·ne·s dans des formats très chiants et traditionnels, un conseil municipal, les questions au gouvernement, il n’y a aucun rythme, personne ne regarde. Les jeunes de ma génération sont habitué·e·s à d’autres formes, les chaînes parlementaires ne sont regardées que par un public très âgé, c’est une chaîne télévisée, spécialisée et adressée à un public spécifique. Il y a aussi beaucoup de jeunes qui ne regardent pas parce qu’ils pensent que ce n’est pas pour eux, il faut être un grand passionné de politique pour regarder ces contenus en entier. 

Quel est le projet d’Accropolis ?

À Accropolis on veut rendre la politique accessible à tous les citoyen·ne·s, mais surtout aux plus jeunes et à ceux qui s’en sentent exclus. Accropolis c’est pas Sciences Po TV, on ne vise pas les passionné·e·s de politique et les militant·e·s. Ces gens n’ont pas besoin de nous, ils ont des médias qui s’adressent à eux, ils lisent Le Monde, ils regardent les JT, c’est toujours à eux qu’on parle de politique. On a cette ambition à Accropolis, d’aller chercher les autres, les jeunes totalement largué·e·s qui n’y comprennent rien, qui n’aiment pas la politique et qui le disent, ceux qui soupirent quand on leur en parle et disent que ça ne s’adresse pas à eux. J’en connais trop des jeunes comme ça. Aller les chercher eux, c’est le plus difficile, c’est notre grand défi.

À quoi ressemble le public d’Accropolis aujourd’hui ?

Notre public est à 80 % âgé de moins de 35 ans, réparti de manière égale entre les 15-25 et les 25-35 ans. Géographiquement ils sont partout en France, absolument partout, dans les villes, dans les campagnes, en outre-mer, beaucoup aussi de français de l’étranger, des expats ou Erasmus qui nous regardent. Pendant la campagne de l’élection présidentielle, on était les seuls à diffuser les meetings, les débats etc., c’était le plus simple pour eux. Pour le genre on a une grosse majorité de garçons, malheureusement, on doit être à 75-80 % de garçons, c’est un vrai enjeu pour nous d’avoir une audience plus paritaire. Il y a deux raisons qui expliquent cette répartition :

  • L’inspiration jeux vidéos, comme Twitch est une plateforme spécialisée dans le jeu vidéo à la base, on subit le sexisme de ce monde.
  • Le sujet : la politique est aussi un sujet sexiste, qui montre principalement des hommes et qui tient éloigné les femmes.

Néanmoins dans le public le plus mobilisé il y a une parité beaucoup plus respectée, mais ce sont des choses qu’on a apprises avec le temps, parce qu’on connaît bien le public.

Pour ce qu’on pourrait appeler “leur répartition sociologique”, il y a des jeunes diplômé·e·s, profil dynamique et intellectuel, ils sont salarié·e·s ou étudiant·e·s, déjà intéressés par la politique, ils consomment des médias, et vont même voter. Eux n’ont pas forcément besoin d’Accropolis mais ils aiment le format. Le public plus jeune de 15-25 ans est un peu plus largué. Ils sont souvent dans des formations plus professionnalisantes, certains travaillent déjà à 20 ans. Ils n’ont pas l’habitude de parler de la politique et ne sont pas vraiment la cible des politiques ou de leurs prises de paroles.

Ces jeunes là, on est le premier média politique qu’ils regardent de leur vie. Ils sont largués sur le mode de fonctionnement. Ils ne savent pas qui sont les gens, ils font pas forcément la différence entre un député, un ministre, un sénateur et un adjoint au maire de Paris. Mais ils sont hypers curieux, ça se sent à leurs questions, à leur manière de penser la politique, ils ont très envie de comprendre. La politique c’est un continent inexploré pour eux, du coup ils posent un milliard de questions, qui peuvent paraître naïves pour des gens qui ont fait des études de droit, mais qui le sont pas, c’est des bonnes questions que beaucoup de gens se posent. Ces dernières années on a quand même eu “état d’urgence, 49.3, réforme constitutionnelle, élection au scrutin majoritaire ou proportionnel”, ce sont des mots hyper difficiles à cerner, ils ont envie qu’on leur explique, et c’est trop cool du coup, ils débarquent sur Accropolis, et ils se nourrissent intellectuellement, on leur explique des concepts sur lesquels ils arrivaient pas à poser des mots.

La politique subit-elle vraiment une crise de l’engagement et de l’intérêt des jeunes ?

Il n’y a absolument pas de crise de l’engagement et les études sur les jeunes le prouvent. Il n’y a aucun effritement de l’esprit d’engagement ou de la volonté d’agir et d’être utile, il y a même une augmentation par rapport aux générations précédentes, dans l’envie de donner du sens à sa vie, notamment sur les enjeux climatiques. Par contre il y a des mutations profondes des modalités de cet engagement, c’est vrai que l’engagement traditionnel (adhérer à un parti, un syndicat, une association) les jeunes se détournent de ces modalités là, mais ils se saisissent beaucoup plus d’enjeux liés à l’actualité. Par exemple le mouvement aux USA de contestation contre les armes à feu, c’est révélateur de cet engagement, c’est un sujet, lié à un fait d’actualité dans lequel on va s’investir massivement jusqu’à ce que ça change. Ça fonctionne comme Nuit Debout, une mobilisation massive, qui s’inscrit dans des formats nouveaux. Les printemps arabes c’est pareil. C’est évolution de la méthodologie, oui ça déstabilise les vieux partis, les vieilles associations qui regardent ces jeunes recréer leur propre mode d’action.

J’ai entendu la notion de “butinage”, des jeunes qui butinent comme des abeilles ça peut sembler péjoratif, comme si les jeunes changeaient de valeurs tout les 6 mois. Mais ce sont bien des jeunes qui ont des valeurs chevillées au corps mais qui ne vont pas donner leur vie à une organisation, ils vont jouer par indignation un peu à la Stéphane Hessel, c’est au moment où ça m’indigne le plus que je vais me lever et que je vais m’engager en politique. Il y a un renouveau dans la méthode mais pas dans l’esprit, ça c’est sur.”

© Alexandre Marchi – Maxppp

Dans ces nouvelles formes de militantisme, peut-on dire que les formes de consommation comme le véganisme ou le végétarisme sont de l’engagement ?

Les modes de consommation et mode de vies (véganisme, végétarisme, zéro déchets, mais aussi lutte contre le sexisme et les discriminations…) font clairement partie de l’engagement. Ça revient un peu dans le “butinage”, c’est le micro engagement au quotidien : qu’est ce que moi je change dans ma vie à petite échelle pour que mon comportement et mon impact soit en accord avec ce que je défends par ailleurs ? Il y a une vraie volonté de cohérence chez les jeunes. Je ne peux pas être raisonnablement indigné face à la fonte des glaces tout en continuant à consommer et à avoir un mode de vie qui a un impact sur l’environnement. C’est une mise en cohérence de soi par rapport au militantisme. Il y a aussi des militant·e·s pour l’égalité qui ne supportent plus les petites inégalités du quotidien, le harcèlement de rue par exemple. On dit souvent que “consommer c’est voter”, ma méthode de consommation est politique et dit quelque chose de ma manière d’envisager le monde. Ces jeunes qui consomment différemment c’est  parce qu’ils croient dans un monde différent.”

Comment adaptez-vous la démocratie aux codes et modes de fonctionnement du web ?

La première chose qu’on a faite c’est de mettre en place un format, nous à Accropolis c’est le streaming, et plus précisément le shootcasting, qui désigne le fait de commenter en direct. Le direct diffère déjà de Youtube, je ne fais pas des videos, je stream en direct. Je permet au gens de vivre l’événement politique au moment où il se passe.

La deuxième innovation c’est l’interaction, le tchat c’est pas un gadget. Je vois beaucoup de médias, notamment audiovisuels qui essayent de faire de l’interaction mais ils ne font pas à fond. Il ne s’agit pas juste de diffuser le tweet sélectionné par la rédaction en bas de l’écran. Il y a aussi des médias qui mettent un tchat mais qui le lisent pas, on a beau taper dedans ça n’influence en rien le contenu qui est prévu. Ça me rend dingue, j’ai l’impression qu’ils prennent les gens pour des cons.

© Accropolis (capture d’écran)

La troisième chose, c’est le ton global d’Accropolis, qui est volontairement détendu, je mets des tee shirt et je dis des gros mots. C’est un truc qui dérange en politique, ça rompt avec l’habitude. Oui, on peut faire une émission sérieuse avec un impact citoyen sans être le cul serré sur des chaises hautes et sur des plateaux froids.

Accropolis c’est tout ça : un ton, une manière de faire, de la rigolade, et une grosse partie de pas se prendre au sérieux. Mais c’est pas parce qu’on se prend pas au sérieux qu’on ne l’est pas, que l’ambition n’est pas sérieuse. L’innovation du format c’est tout ça, et c’est ce qui touche les jeunes. On fait de la pédagogie mais pas dans le sens “Je vais t’expliquer comment ça marche comme si t’étais un enfant de 3 ans”, non t’es un adulte de 25 ans mais t’as le droit d’avoir des questions donc je vais t’expliquer, sans te prendre pour un demeuré.”

Selon vous, y a-t-il un manque d’échange autour du débat public et de la démocratie ?

C’est exactement un manque d’échange oui, paradoxalement on ne manque pas d’information, au contraire l’information est accessible. Rien qu’une page Wikipédia ça donne beaucoup de matière. Aujourd’hui l’échange est totalement inexistant, notre modèle démocratique est en train d’évoluer, il passe d’un modèle purement représentatif à un modèle plus participatif et inclusif. C’est ce modèle qui nécessite l’échange, l’inclusion des citoyen·ne·s dans le débat et dans des processus de concertation, de consultation et de participation, pour l’instant tout ça c’est balbutiant. Il y a de plus en plus d’institutions qui mettent des processus innovant en place, et c’est bien car ça répond à un manque criant de dialogue et d’échange.

Ce que je vois et qui me rend fou, c’est la propension qu’ont les politiques à faire de la communication. Ils prennent la démocratie dans le sens : “Je vais vous dire ce que moi je pense en tant qu’élu”. C’est très vertical et un pouvoir hyper descendant.

C’est paradoxal parce que quand j’en parle avec des élus ou des membres du gouvernement que je rencontre, ils sont frileux au dialogue avec les citoyen·ne·s parce qu’ils ont l’impression qu’à chaque fois qu’ils parlent aux citoyen·ne·s ils se font engueuler. À chaque réunion publique, ou bain de foule, ils disent qu’ils sont pris à parti. Moi je leur dis que c’est bien normal car c’est la seule chose que vous les laissez faire. C’est leur seule opportunité, de vous engueuler sur Twitter, de vous gueuler dessus, de signer des pétitions ou de manifester. Si vous ne leur laissez que cette option ils vont la saisir. Si vous leur laissez des espaces de dialogue et d’échange où vous ne vous présentez pas à eux comme une espèce de personne qui a la solution en tête, mais présentez vous comme quelqu’un qui vient les consulter dans leur intelligence collective pour savoir ce qu’ils en pensent, vous verrez que les gens seront calmes, coopératifs et très intelligents.

Y a-t-il encore des initiatives que vous aimeriez voir naître pour encourager la démocratie et la participation des citoyen·ne·s ?

Il y a encore tout à faire, on existe depuis que quelques années. Il y a des applis, des plateformes en lignes, des médias, y a plein de modalités à réinventer. Mais on a dû faire 10 % de tout ce qu’on pourrait créer, il faut encore imaginer pleins de trucs, il faut vraiment pas se restreindre. Continuer à innover, imaginer des campagnes, des modes de participation, des nuits debouts, des ZAD, des modes de participation. J’ai jamais eu la prétention de dire qu’Accropolis était la solution unique mais c’est une proposition au milieu de toutes les autres. Il y a trop de choses que j’aimerai voir naître et j’ai bon espoir qu’à l’avenir il y ait des lycéen·ne·s, des étudiant·e·s qui montent leur association, des projets,  des trucs différents qu’on a jamais vu.

Moi, à mon échelle j’ai créé un média, avec un serveur Discord sur lequel on peut venir débattre, c’est un forum complètement ouvert. On a aussi essayé de faire des podcasts, j’aimerais aussi monter une maison d’édition, je voudrais réinventer le format des livres politiques.

Pareil, le livre politique pour moi c’est l’archétype du truc chiant à mourir. Un essai écrit par un politique, c’est un bouquin de 400 pages que personne ne lit à part les militant·e·s. Ou alors c’est un essai sociologique écrit par des experts qui sont écrits comme des thèses de doctorat en sociologie et c’est imbuvable. Je voudrais faire des BD, des mangas des magazines, pour voir la politique sur différents formats. imaginer des manières d’écrire, réinventer le format papier, ou alors quelque chose de plus cool comme des jeux vidéos. Il faut aussi réinventer le débat public dans des salles de conférence. C’est toujours un élu qui invite ses militant·e·s, et puis tout le monde est d’accord, et ils s’applaudissent à la fin. Je veux réinventer le café citoyen, je veux qu’on parle politique ensemble dans nos propres mots et nos façons de faire, poser des débats. Kawaa organise déjà ce genre de choses, mais il faut élargir la pratique. Il reste énormément de projets à faire naître évidemment, j’ai hâte de voir ce qui va se passer.

L’avenir de la démocratie c’est internet ?

L’avenir de la société c’est internet. Quand on a dit ça et qu’on l’a accepté, on peut commencer à réfléchir. La démocratie ne peut pas être extérieure aux innovations du monde. Avec toutes les questions que ça pose, et je suis le premier à dire que ça pose des questions, que ça soit dans la protection des donnés personnelles, les GAFAM, les financements…

Je suis le premier à le dire qu’il y a des problèmes et des dangers. Je ne suis vraiment pas un évangéliste qui va venir vous dire qu’internet c’est formidable, que c’est la démocratie de demain. Non, tout cela pose plein de questions, mais internet est dans nos vies et fait partie des formes de démocraties de demain. Parfois je suis inquiet quand j’entends qu’internet c’est le mal et qu’il ne faut surtout pas y faire de politique ou de citoyenneté. On peut imaginer pleins de trucs sur internet, on a beaucoup de boulot.

Qu’est ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite d’Accropolis ?

Pérenniser le modèle. C’est un projet super sympa, mais un projet fragile, qui a besoin de s’inscrire dans la durée. Récemment on a vu le magazine Ebdo se planter, et ça montre que l’innovation médiatique est très fragile. Notre modèle est précaire et fragile et ce qu’on se souhaite c’est s’inscrire dans un temps long.


Pour aller plus loin sur le sujet de la démocratie participative, nous vous conseillons la lecture du livre : Le coup d’état citoyen. Ces initiatives qui réinventent la démocratie, écrit par Elisa Lewis et Romain Slitine, parut en 2016 aux éditions La Découverte.

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