SOCIÉTÉ

Avec les petites mains du dépouillement

Dimanche 7 mai. 19h50. Dans un bureau de vote du 15ème arrondissement de Paris, les assesseurs ont l’oeil vissé sur la pendule : plus que dix minutes… Avant l’ouverture de l’urne. L’isoloir accueille un dernier retardataire, rentré in extremis de week-end. D’autres arrivent, hâtant le pas, les yeux rivés sur l’écran de leur portable. Mais qu’est-ce qui les motivent tant à éteindre leur télé et à se déplacer, juste avant 20h ? 

On entre. Quelques têtes connues, des voisins ou des citoyens croisés un peu plus tôt. Certains se saluent, les habitués de ces rendez-vous civiques, d’autres sont plus gênés  et regardent leurs pieds.

Résultat et dépouillement simultanés

Un monsieur avenant, artisan en retraite, s’approche. On engage la conversation :

Notre micro attire les regards. Mathieu, cheminot trentenaire, nous sourit. Encore 5 minutes à patienter – à peine le temps de lui demander ce qui le pousse à participer au dépouillement, alors que les résultats du second tour vont tomber.

La présidente du bureau vient nous interrompre : “Vous avez une autorisation ?” Bien sûr que non, nous n’en n’avons pas. Le dépouillement est pourtant ouvert au public. À noter pour 2022 : se rapprocher au préalable de la mairie. On coupe donc le micro, rangé dans le sac. Mathieu se moque gentiment de la présidente : “c’est pas le KGB, quand même !”

19h59. L’urne est toujours scellée. Alors les volontaires se pressent sur les bancs, des groupes se forment autour des écrans portables pour suivre en direct la proclamation des résultats. Jeunes et moins jeunes, tous jouent des coudes pour voir LE visage apparaitre. 5, 4, 3, 2, 1. “Emmanuel Macron est le nouveau président de la République.” Des “ouf” de soulagement se font entendre, des visages s’éclairent.

Au boulot

Mais pas le temps de s’appesantir ou de décrypter les pourcentages : au travail ! Les novices sont soudain inquiets et demandent des précisions aux plus expérimentés, voire aux anciens présidents de bureaux de vote (re)devenus “petites mains”. Certains resteront sur la touche : une pensée pour ce petit garçon, traîné là par ses parents pourtant ravis de l’initier à ses futurs devoirs de citoyen, mais qui a passé le reste de la soirée à bâiller et à signifier, à voix haute, qu’il avait faim.

Par groupes de quatre, les tâches sont vite réparties : après comptage et répartition en centaines, un volontaire sort les bulletins de leur enveloppe, les tend à un second qui annonce, pendant que les deux restant reportent chaque voix sur un grand tableau quadrillé.  Au total : en 2h15, 300 bulletins dépouillés par une table sur les quatre disposées. 284 pour Emmanuel Macron, 31 pour Marine Le Pen et près de 20 bulletins blancs ! Ce qui demande plus de temps et de justification car chacun des quatre bénévoles doit signer le bulletin blanc, avant qu’il ne soit mis de côté.

2h15, c’est long. On finit par briser la glace : “qu’est-ce que vous faites dans la vie ?” “Mais ma copine m’attend pour manger !” “Moi, on m’a demandé de venir parce que j’étais avec mon fils. La dernière fois, rien.” “C’est quand même dingue, cette différence avec les résultats nationaux, vous trouvez pas ?”  Les langues se délient plus facilement que lors du dépouillement du premier tour, sûrement parce que les annonces sont plus monotones : “Macron, Macron, Macron – Emmmmannuuuel -, c’est mieux si je varie les tons, non ?”

22h10. Aucune faute, on a bien reporté nos 300 bulletins. On signe et on peut plier boutique. Enfin, nous, les “petites mains”. Pas les présidents et assesseurs qui vont devoir tout vérifier avant de partir en urgence à la Mairie d’arrondissement, afin que tout soit centralisé.

Dehors, difficile d’attraper un dernier témoignage : les volontaires filent, pressés de rentrer, de manger ou… de fumer.  Dans le noir, ceux qui en rêvent et en parlent depuis 2heures, fournissent en cigarettes ceux qui sont à court. D’autres poursuivent leurs conversations -“ah mais on est vraiment voisins, en fait !”-, en scrollant les sites d’information sur les portables. Parmi eux, Marie, tout juste âgée de 18ans :

 

Voilà. On se salue et on rentre chez soi, contents d’avoir participé, pas sûrs de vouloir recommencer. On s’avachit dans le canapé, on allume la télé : c’est pourtant déjà reparti. Alors, ira ou ira pas pour les législatives ?

Sudiste exilée à Paris, Mazienne #fromthebeginning. Droguée à l'actu, le plus souvent par seringue radiophonique.

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