SOCIÉTÉ

DÉCRYPTAGE – Que se passe-t-il en Libye ?

Depuis une semaine, les combats font rage en Libye entre le maréchal Haftar, homme fort de l’est du pays, et les troupes fidèles au gouvernement d’union nationale.

Le porte-parole de l’ANL (Armée Nationale Libyenne) a annoncé le 3 avril la volonté de son chef, l’autoproclamé maréchal Khalifa Haftar de «  purger l’ouest  » de la Libye, rongé par les islamistes radicaux. L’offensive a été lancée dans la foulée par la junte militaire du gouvernement oriental de Khalifa Haftar, dominant la région Cyrénaïque. Le maréchal marche désormais vers Tripoli, et veut prendre le pouvoir au gouvernement d’union nationale, reconnu par l’ONU. Les Nations Unies qui réunissent d’ailleurs mercredi leur Conseil de sécurité.

Un pays morcelé

Depuis la chute de Mouammar Khadafi en 2011, la Libye n’est pas parvenue à trouver une stabilité politique. Depuis cette date c’est le chaos en Libye et le pays est morcelé, aux mains de multitudes de milices agissant individuellement, dans des intérêts personnels. Les régions prétendument contrôlées par le premier ministre Fayez-el-Sarraj et Khalifa Haftar sont donc elles-mêmes hors de contrôle en réalité.

La situation politique du pays est déjà complexe pour la Libye où règne un climat de guerre civile permanent. Ces tensions, loin d’être nouvelles, sont accrues par l’extension des territoires contrôlés à l’époque par Daesh dans le sud du pays notamment.

C’est dans ce contexte de tensions permanentes que s’inscrit la nouvelle offensive de l’ANL vers la région tripolitaine de l’est du pays, dirigé par le Gouvernement d’Union Nationale (GNA) de Fayez-el-Sarraj. Ce dernier, premier ministre fantoche, prends la tête d’un gouvernement qui ne fait pas l’unanimité le 12 mars 2016. Un gouvernement soutenu par des pays occidentaux parmi lesquels la France et les États-Unis.

Une rencontre inter-libyenne stérile  ?

Comment apaiser les tensions  ? Voilà la question qu’a dû se poser Emmanuel Macron lorsqu’il a organisé en 2017 une rencontre entre les deux dirigeants en faction en Libye. Le rôle des pays occidentaux dans la crise qu’est actuellement en train de traverser la Libye n’est plus à prouver et pourtant, la France continue d’intervenir dans le conflit qui secoue le pays.

Ainsi en juillet 2017, deux mois seulement après le massacre de plus de 100 personnes pro-Haftar dans le centre du pays, Emmanuel Macron a organisé une rencontre à la Celle-Saint-Cloud. L’objectif  ? Apaiser les tensions en actant un cessez-le-feu entre les deux groupes qui s’affrontent sur le territoire libyen et convenir de la tenue d’élections présidentielles et parlementaires au plus vite. La signature de ces accords a-t-elle portée ses fruits  ?

De gauche à droite : le général Khalifa Haftar, Emmanuel Macron et Fayez el-Sarraj. ©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Force est de constater que ces accords n’auront en rien permis l’amélioration des conditions politiques en Libye au cours de ces deux dernières années. Les élections repoussées à maintes reprises n’ont toujours pas eu lieu et il semblerait que ce ne soit pas près d’arriver.

Pour ce qui est du cessez-le-feu, il a pris fin le 3 avril à l’annonce du maréchal Haftar et ceux sans même bafouer l’accord signé deux ans plus tôt à la Celle-Saint-Cloud. En effet l’accord stipulait  :

«  Nous nous engageons à un cessez-le-feu et à nous abstenir de tout recours à la force armée pour ce qui ne ressort pas strictement de la lutte antiterroriste »

Le maréchal Haftar agissant prétendument pour éradiquer les terroristes présents à Tripoli lance son offensive sans même trahir sa parole selon lui.

L’ONU appelle au calme, en vain

Après le début de l’offensive de l’ANL, les pays occidentaux ont appelé encore une fois à l’apaisement des tensions. Le secrétaire Général de l’ONU, Antonio Guterres a déclaré qu’il «  n’existait pas de solution militaire en Libye  » avant de réaffirmer «  la solution doit être politique  ». Une solution politique qui se fait attendre depuis huit ans en Libye.

Malgré cet appel au calme, la réponse du maréchal Haftar ne s’est pas fait attendre, elle. Il a déclaré qu’il ne baisserait les armes qu’une fois que «  l’élimination du terrorisme  » à Tripoli sera actée. Des appels à cesser les combats qui échouent une seconde fois le 8 avril après un raid de l’ANL sur le seul aéroport utilisé par les civiles encore en fonction à Tripoli : l’aéroport de Mitiga. L’émissaire de l’ONU pour la Libye appel au calme. En vain. Face à l’urgence de la situation, une réunion du Conseil de sécurité est annoncée pour le 10 avril.

Un conflit international

Le conflit prend une tournure internationale. Si les États-Unis demandent l’arrêt immédiat de l’offensive lancée par le maréchal Haftar, la Russie elle pose son veto à l’ONU. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, met en garde les puissances étrangères face à la tentation de l’ingérence.

« Nous n’acceptons pas que quelqu’un pointe un coupable. La raison de la crise libyenne réside dans ce que l’OTAN a fait au pays en 2011. Depuis, la Libye est devenue un État défaillant. C’est devenu un trou noir, où se réfugient les terroristes, où les armes passent en contrebande et que les migrants illégaux traversent dans leur route vers le nord. Je pense qu’il est contre-productif de juger un camp tout en excusant les autres »


Il semblerait que dans ce conflit, les Russes aient déjà choisi leur camp. La Russie aurait, selon des diplomates présents lors de la réunion, demandé à ce que la déclaration officielle appelle à un cessez-le-feu des deux groupes prenant part au combat. Refusant ainsi la déclaration appelant le maréchal Haftar uniquement à stopper son évolution, la Russie a utilisé son droit de véto, laissant à Khalifa Haftar le champ libre pour poursuivre son avancée vers les portes de Tripoli. La prise de décision sur la crise que traverse actuellement la Libye reste au point mort.

Marche vers Tripoli  : un massacre annoncé

Le discours du maréchal Haftar appelant à marcher vers Tripoli, relayé par nos confrères de RFI sur Twitter, ne sont pas pour rassurés sur les combats à venir dans la capitale libyenne. Le maréchal appelle à «  entrer dans la ville en paix pour ceux qui veulent la paix  » et invite ses combattants à «  ne [pas] lever [leurs] armes sauf contre ceux qui choisissent de [les] affronter ». Il affirme que «  ceux qui lèveront le drapeau blanc seront en sécurité ».

Des menaces directement dirigées vers les troupes de Fayez-el-Sarraj, les appelant à rendre les armes. Dans le cas contraire c’est la mort qui les attend comme le sous-entend à peine Khalifa Haftar. La réponse de Fayez-el-Sarraj a été quasi immédiate. Deux jours après, le 7 avril, il a prévenu qu’à Tripoli, les troupes adverses ne trouveront «  que force et fermeté  ». Le GNA a promis en réponse de « nettoyer toutes les villes libyennes des agresseurs » dans une contre-offensive nommée « Volcan de la colère » . Des déclarations qui présagent du massacre à venir.

Quelles seront les conséquences de tels combats  ?

Sous-couvert d’attaquer ceux qu’il qualifie d’islamistes extrémistes, le maréchal Khalifa Haftar s’est engagé dans une réelle lutte pour le pouvoir contre Fayez-el-Sarraj. Cette guerre est donc une guerre d’influence pour les deux camps qui essayent par des alliances stratégiques d’étendre leurs territoires pour prendre ou garder le pouvoir en Libye. Certains parleront donc d’un coup d’état (pour les pro-El Sarraj), tandis que pour d’autre, cette marche n’est qu’une reconquête d’un pouvoir qui devrait revenir aux mains du maréchal Khalifa Haftar.

Suite à l’offensive lancée par le maréchal Khalifa Haftar, Fayez-el-Sarraj a dénoncé la «  guerre sans gagnant  » dans laquelle s’engage l’ANL. Une guerre qui, selon lui, détruira «  les efforts des Libyens et de la communauté internationale  » pour trouver une solution pacifique à la crise qui touche actuellement le pays.

Les combats et les bombardements ont débuté ce lundi dans le sud de Tripoli. Les spécialistes redoutent déjà les conséquences en termes de pertes civils qu’auront de tels affrontements. Depuis le début de l’offensive de l’ANL jeudi 4 avril, l’Organisation Mondiale de la Santé a décomptés 47 morts et 181 blessés. Le début des combat a également enclenché un mouvement de la population de Tripoli et le 8 avril, une dépêche AFP annonçait déjà le déplacement de 2800 personnes depuis le début des combats.

Du 14 au 16 avril, une conférence inter-libyenne sous l’égide de l’ONU devrait avoir lieu. L’objectif de cette conférence sera de statuer sur la tenue d’élections prochainement en Libye : un premier pas vers une plus grande stabilité politique dans ce pays en pleine guerre civile.

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