SOCIÉTÉ

Les 100 premiers jours de la diplomatie Trump

Alors qu’il était encore en campagne pour briguer la Maison blanche, lors de son discours au siège de la revue The National Interest le 27 avril 2016, il y a tout juste un an, Donald Trump avait résumé sa vision de la politique étrangère, et donc celle qu’il adopterait en cas de victoire.  Il avait alors déclaré que « Contrairement à d’autres candidats présidentiels, la guerre et l’agression ne seront pas mon premier instinct. Nous ne pouvons pas avoir de politique étrangère sans diplomatie, une superpuissance comprend que la prudence et la retenue sont les véritables signes de force ». Un an après, quelle stratégie de politique extérieure Donald Trump a-t-il concrètement adopté ? Retour sur les différentes crises diplomatique que le Président venant de fêter son 100e jour de mandat en promettant de « nouvelles batailles » a traversé.

Durant sa campagne, Donald Trump s’est exprimé plusieurs fois sur la Chine, reprochant à Pékin de sous évaluer sa monnaie pour doper ses exportations, creusant sans cesse le déficit extérieur des États-Unis par rapport à la Chine. Il les menaçait alors d’augmenter les droits de douane une fois au pouvoir, et de mettre en place un certain nombre de représailles commerciales. Début décembre, Donald Trump s’était vanté sur Twitter d’avoir reçu un appel suite à son élection de la part de Tsai Ing-wen, la présidente de Taiwan. Seulement voilà, la tradition diplomatique instaurée depuis quarante ans implique que le président des États-Unis reconnaisse la Chine Unique et ne corresponde pas directement avec Taiwan. Le porte-parole du ministère des Affaires Etrangères chinois a alors très vite réagi, s’offusquant ; « Les États-Unis ont promis de poursuivre la politique de « Chine unique », la Chine attend des États-Unis qu’ils tiennent leur promesse », et dans le cas contraire, il a d’ores et déjà averti qu’« il ne saurait plus être question de croissance saine et régulière des relations sino-américaines ni de la coopération bilatérale dans d’importants domaines ». Loin de s’en excuser ou de faire profil bas, Donald Trump a alors brandi son smartphone pour tweeter ; « Il est intéressant de voir que les États-Unis vendent à Taïwan des milliards de dollars d’équipements militaires mais que je ne devrais pas accepter un appel de félicitations » et d’ajouter « Est-ce que la Chine nous a demandé si nous étions d’accord de dévaluer leur monnaie (rendant nos entreprises moins compétitives), augmentant ainsi lourdement les taxes de nos produits exportés… »

L’étonnant revirement envers la Chine

Mais contre toute attente, le 9 février dernier la Maison blanche a diffusé un communiqué informant que les présidents américains et chinois s’étaient entendus lors d’un entretien téléphonique le jour-même. Donald Trump aurait alors apaisé son homologue chinois en lui assurant qu’il respectait et respecterait le principe de la Chine Unique. Il est même revenu récemment sur ses déclarations, en déclarant que non, les chinois ne manipulent en fait pas leur monnaie. Ils se sont même rencontrés les 6 et 7 avril derniers en Floride, où Donald Trump se serait confié aux journalistes qu’une bonne alchimie opérait entre eux. Mais ce volte-face intervient alors même que depuis plusieurs semaines, le dossier de la puissance nucléaire nord-coréenne revient sur le dessus de la pile des dossiers du ministère des affaires étrangères de Washington. En effet, ces dernières semaines les satellites et radars américains ont repéré de potentiels missiles nucléaires sur l’île, notamment un engin placé dans un tunnel. Leurs doutes ont été confirmés lorsqu’à l’occasion du gigantesque défilé organisé en l’honneur du 105e anniversaire de la naissance de Kim Il-Sung à Pyongyang (capitale nord-coréenne), l’armée du président Kim Jong-Un a défilé et affiché fièrement ses nouveaux missiles intercontinentaux à tête nucléaire, faisant preuve d’une capacité de force majeure. Là est l’intérêt pour Donald Trump de se réconcilier avec son homologue chinois. Il compte sur ce dernier pour raisonner le président nord-coréen et régler le problème ; « si la Chine ne nous aide pas, nous le ferons nous-mêmes ». Il cherche donc à obtenir le soutien de Xi Jinping face à la Corée du Nord, en jouant sur leurs relations commerciales ; il aurait confié à son nouvel allié que s’il voulait « un super accord commercial avec les États-Unis, il lui faudrait régler le problème de la Corée du Nord ».

La tension monte en Asie de l’est

Donald Trump est en effet furieux contre Kim Jong-Un. Depuis le début du mois d’avril, la Corée du nord a déjà lancé deux missiles d’essai, qui ont chaque fois échoué. Le président américain a alors commandé l’ordre au porte avion américain Carl Vinson de se rendre dans la péninsule coréenne accompagné d’une escorte dès la fin mars, et l’a annoncé publiquement le 8 avril. C’est un ordre insensé selon Pyongyang. Donald Trump cherche à faire agir l’ONU également, en passant des coups de téléphone aux différents présidents et en organisant des rencontres. Il a fait se réunir des ambassadeurs à l’ONU des pays du conseil de sécurité à la maison blanche, où il aurait déclaré « Le statu quo en Corée du Nord est inacceptable et le Conseil de sécurité doit être prêt à imposer de nouvelles sanctions plus fortes. C’est une réelle menace pour le monde ». Le dossier nord-coréen en deviendrait presque une affaire personnelle. A l’occasion du 85e anniversaire de l’armée nord-coréenne mardi 25 avril, un exercice d’envergure a été réalisé par l’armée, qui a effectué une séance massive de tirs d’armes conventionnelles dans différentes villes portuaires orientales. Un site officiel nord-coréen a en plus ajouté que les États-Unis seraient « rayés de la carte » s’ils s’engageaient dans une guerre contre la Corée du Nord, à cause du porte-avion Carl Vinson. Mike Pence, le vice-président de Donald Trump a quant à lui promis « une réponse écrasante » en cas d’attaque. Donald Trump continue de mettre la pression du côté chinois, arguant ainsi « les mesures que nous voyons prises par la Chine, à de nombreux égards sans précédent, pour faire peser une pression économique sur la Corée du Nord sont vraiment bienvenues [mais] nous pensons que la Chine peut faire davantage ». La situation est alors assez ironique, puisque tout juste un an après ses déclarations où il abordait sa vision de la politique étrangère, où prudence et retenue devaient être les maîtres mots de la diplomatie, c’est bien davantage de retenue que le président chinois lui demande dans la gestion du dossier nord-coréen via un énième entretien téléphonique le lundi 24 avril. Le ministère chinois des affaires étrangères a ainsi fait paraître un communiqué indiquant que la Chine « espère que toutes les parties fassent preuve de retenue et s’abstiennent de toute action de nature à aviver les tensions dans la péninsule »

Et si Donald Trump s’investit autant publiquement dans la gestion du conflit avec Kim Jong-Un, c’est aussi parce que les essais nucléaires menacent également son allié le Japon. Et c’est une bonne occasion pour lui de prouver au premier ministre japonais, Shinzo Abe, son amitié et s’assurer de leurs bonnes relations. Ce dernier avait été le premier dirigeant étranger à féliciter Donald Trump de sa victoire électorale, et le second à se rendre à la Maison blanche. Lors d’une récente visite à Washington en février, Shinzo Abe avait ainsi assuré à son hôte que « l’énorme croissance de l’Asie Pacifique en vue d’un développement du libre-échange et des investissements sera une énorme chance pour à la fois le Japon et les Etats-Unis ». Il avait insisté auprès de la chambre de commerce sur le fait que « les relations commerciales entre les deux pays étaient fondées sur le principe du « gagnant-gagnant ». Un allié économique de poids dont il faut garder les bonnes faveurs, en somme, et à protéger. Lors d’une récente conférence de presse, le premier ministre japonais a ainsi déclaré qu’il s’était entretenu par téléphone avec son homologue américain, et qu’il lui avait rappelé que le programme nucléaire nord-coréen était « une menace extrêmement grave au Japon et à la communauté internationale » et se réjouissait du fait que Donald Trump lui avait assuré que « toutes les options soient sur la table » face à la menace. Principe du gagnant-gagnant. Donald Trump avait d’ailleurs déclaré lors de son intervention du 27 avril 2016 que « Les pays que nous défendons doivent payer pour le coût de leur défense. Sinon, les États-Unis doivent être prêts à laisser ces pays se défendre eux-mêmes ».

Donald Trump, Vladimir Poutine et la Syrie

Toujours dans ce même discours du 27 avril 2016, Donald Trump avait longuement abordé la question de l’État Islamique. Il l’avait alors directement menacé, en lui assurant qu’une fois élu, il « disparaîtra (…) rapidement, très, très rapidement ». Dès son entrée en fonction, il avait ainsi donné jusqu’à la fin février à ses responsables militaires pour lui présenter une stratégie pour vaincre l’EI. Il a trouvé dans son objectif un allié de taille, Vladimir Poutine, qu’il défendait régulièrement publiquement, notamment sur le conflit en Ukraine. Donald Trump avait en effet à de nombreuses reprises critiqué son prédécesseur dans sa gestion des conflits au Moyen Orient et son interventionnisme ; lui ne souhaitait engager des actions qu’envers l’État Islamiste qui constituait directement une menace pour les États Unis, et ne pas s’employer à juger et mettre en place des mesures à l’encontre de Bachar el Assad. Sur ce point, il s’entendait alors parfaitement avec le président russe. Son secrétaire d’Etat Rex Tillerson avait encore réaffirmé début avril qu’il revenait au peuple syrien de décider du sort du président Syrien. Mais Donald Trump a surpris le monde entier le 7 avril au matin, lorsque l’on a appris qu’il avait ordonné le bombardement d’une base aérienne syrienne d’où avait été lancée une attaque chimique contre les rebelles, et la population. Lors d’une allocution télévisée il s’était ainsi justifié auprès du peuple américain à qui il avait assuré qu’il ne serait pas à la tête d’un état gendarme pendant sa campagne : « Il est dans l’intérêt vital de la sécurité nationale des États-Unis d’empêcher et de dissuader la dissémination et l’utilisation d’armes chimiques mortelles. (…) Pendant des années, de précédentes tentatives pour faire changer le comportement d’Assad ont toutes échoué, et échoué véritablement dramatiquement. En conséquence, la crise des réfugiés continue de s’aggraver et la région continue d’être déstabilisée, menaçant les États-Unis et ses alliés. (…) Ce soir, j’en appelle à toutes les nations civilisées pour qu’elles nous rejoignent afin de chercher à mettre un terme au massacre et au bain de sang en Syrie, ainsi qu’à mettre fin au terrorisme de toutes sortes et de tous types. ».

Le peuple américain et ses représentant·e·s se sont montré·e·s inquiet·e·s, légèrement abasourdi·e·s du revirement de Donald Trump et s’angoissent des conséquences de celui-ci : « Nous ne pouvons pas nous permettre de dépenser sans compter et de risquer la vie de nos hommes dans un nouvel engagement militaire sans une stratégie claire et globale et une pleine prise en compte de toutes les conséquences à long terme » a prévenu la représentante démocrate du Connecticut, Elizabeth Esty. Par sa nouvelle prise de position, le président Trump sollicite l’OTAN, qu’il jugeait par le passé obsolète. Et se retourne contre Poutine, d’une certaine façon. Ce dernier a immédiatement réagi et a demandé une réunion d’urgence du conseil de sécurité de l’ONU. Le représentant adjoint de la Russie à l’ONU, Vladimir Safronkov a condamné très fermement cette opération, qu’il qualifie d’agression et d’« actions illégitimes des Etats Unis qui ont attaqué le territoire souverain de la Syrie ». La Chine n’a pour une fois pas soutenu la Russie, rappelant simplement que « la voie militaire n’était pas une solution, sauf à aggraver la situation ».

Qu’annoncent les 100 prochains jours de la présidence de Donald Trump en terme de diplomatie ?

À nouveau la Chine adopte ici une position de modératrice entre les États-Unis et leurs opposant·e·s. On peut se demander si cette opération n’aurait pas eu pour but de prouver à la Corée du Nord, à la Russie et au monde entier que ses prises de position « America First » durant sa campagne n’empêchent pas Donald Trump d’intervenir et qu’il sait se montrer imprévisible. Il ne se constituera probablement pas comme le gendarme du monde, mais il dispose des moyens nécessaires pour agir lorsqu’il l’estime inévitable. Depuis sa prise de fonctions, le président a affronté plusieurs conflits diplomatiques. A coups de tweets tranchants puis d’entretiens téléphoniques et rapprochements, il modifie complètement l’ordre diplomatique instauré depuis des années puis le rétablit, fait de ses ennemi·e·s ses allié·e·s et des ami·e·s ses opposant·e·s. Et ses ennemi·e·s se rapprochent. Le vendredi 28 avril, alors qu’avait lieu une réunion des Nations Unies sur le dossier nord-coréen autour du secrétaire d’état américain, Rex Tillerson, la Corée du Nord a une nouvelle fois lancé un tir d’essai de moyenne portée, qui a échoué. Donald Trump a alors immédiatement réagi, en tweetant « La Corée du Nord n’a pas respecté les vœux de la Chine et de son très respecté président, quand ils ont lancé, bien qu’en échouant, un missile aujourd’hui. Mauvais ! » (« North Korea disrespected the wishes of China & its highly respected President when it launched, though unsuccessfully, a missile today. Bad ! »), utilisant son amitié avec son homologue chinois pour s’offusquer publiquement et mêler directement ce dernier pour le faire se sentir concerné.

Alors que Pékin tente de tempérer la situation, Moscou a aussi vivement réagi : le vice-ministre russe des affaires étrangères Guennadi Gatilov s’est désolé que « la rhétorique agressive [et la] démonstration de force irréfléchie [de Washington] nous pousse sérieusement à nous demander si on risque une guerre ou pas ». Le dossier nord-coréen risque de cristalliser tous ces derniers conflits diplomatiques dans lesquels Donald Trump est impliqué. Malgré son souhait prononcé le 27 avril 2016, la réalité de l’exercice présidentiel semble lui avoir fait changer d’avis : la prudence et la retenue ne sont pas les qualificatifs que l’on emploierait concernant sa diplomatie. Mais Donald Trump est quand même parvenu à utiliser la Chine comme négociateur et à avancer ses pions commerciaux sur l’échiquier du dossier nord coréen pour en tirer parti, notamment auprès du Japon. Cependant,  le risque de guerre est bien présent, et ne servirait l’intérêt d’aucun des pays concernés. Washington et Moscou s’entendront-elles dans la gestion du conflit en Syrie ? La Chine parviendra-t-elle a tempérer les relations entre Donald Trump et le président Kim Jong-Un ? Si les 100 premiers jours de Donald Trump à la Maison blanche ont été bien occupés, les 100 prochains risquent de l’être encore davantage.

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