SOCIÉTÉ

Le revenu universel à travers la planète

« Revenu universel », « revenu de base inconditionnel », « allocation universelle » ou encore « revenu d’existence »  : autour d’une idée qui fait des émules, de nombreuses appellations. Loin d’être une idée nouvelle, le revenu universel revient sur le devant de l’actualité dans le contexte de crise économique et de loi El-Khomri. Le concept, bien que variable, est appliqué à plusieurs endroits à travers le monde.

Doit-on allouer aux citoyens d’un État un minimum pour vivre, sans condition aucune ? Plusieurs États dans le monde considèrent que oui, même si certains privilégient une allocation universelle plutôt qu’un revenu minimum permettant de vivre. Les modalités d’application sont en effet au cœur du débat, en particulier les questions liées au financement, aux conditions, à la fiscalité… A travers le monde, plusieurs pays ont néanmoins franchi le pas ou s’apprêtent à le faire. Des sources d’inspiration pour la France et l’Europe ?

Un premier test au Canada dans les années 70

Les villes de Dauphin (10 000 habitants) et Winnepeg (450 000 habitants) au Canada ont été les premières villes test du revenu de base en 1974, grâce au programme Mincome. Ce revenu était toutefois conditionnel : seules les familles aux revenus trop bas en bénéficiaient. En 1979, le programme s’est subitement arrêté sans publication d’un rapport à cause du manque de financement. Néanmoins, la chercheuse Evelyn Forget rassemble les données récoltées à l’époque afin d’en tirer des conclusions.

En Alaska, on remercie l’exploitation pétrolière

Depuis 1982, 25 % des revenus provenant du pétrole et du gaz sont reversés à l’Alaska Permanent Fund (inscrit dans la Constitution) qui distribue le tout à chaque citoyen de plus de 5 ans. Il s’agit cependant davantage d’une petite allocation qu’un revenu de base permettant à une personne de subvenir à ses besoins, et il est variable (il a considérablement baissé après la crise de 2008) : le montant annuel fut de 2000€ environ pour l’année 2014. Mais cette allocation est de plus en plus contestée par certains politiques au vu de l’endettement du pays et des difficultés économiques qu’il rencontre.

En Suisse, c’est le peuple qui le demande

La démocratie suisse permet l’initiative populaire fédérale : autrement dit, dès lors qu’une proposition issue du peuple recueille plus de 100 000 adhérents, elle est soumise à un référendum. Celle concernant le « revenu de base inconditionnel » (RBI) propose le versement de 2300 euros mensuels à tous les citoyens sans condition et aux nationaux comme aux étrangers en situation régulière. Ainsi, même si les députés ont rejeté cette proposition en septembre dernier (trop coûteuse pour l’État selon eux), de récents sondages indiquent que seuls 2 % des Suisses arrêteront de travailler si le RBI était mis en place. Cependant, bien qu’il soit probable que la mesure soit votée par les Suisses, sa mise en application risque de prendre plusieurs années ou dizaines d’années.

Le succès de la Bolsa Familia au Brésil

La Bolsa Familia (« bourse familiale ») a été instaurée sous la présidence de Lula. Il s’agit d’une mesure visant à lutter contre la pauvreté, et faisant partie du programme plus général Fome Zero. Son principe se rapproche de celui du revenu de base, mais il s’agit d’un revenu conditionnel : la bourse ne concerne que les familles dont les revenus mensuels sont inférieurs à 120 réals et dont les enfants sont scolarisés et suivent les programmes de vaccination. Le revenu mensuel alors alloué est d’environ 200 réals (62€).

Un « dividende de croissance » distribué à Singapour

Depuis 2011, le budget de Singapour prévoit la distribution d’un dividende de croissance à plus de 80 % des adultes grâce au Growth and Share package. Ainsi, entre 600 et 800$ mensuels sont alloués à la population.

Un test couronné de succès en Namibie

En 2008 et 2009, une expérience a été menée dans le secteur d’Otjivero-Omitara (environ 930 personnes à 100 kilomètres de Windhoek), où les habitants de moins de 60 ans ont reçu l’équivalent de neuf euros mensuels là où un tiers d’entre eux vivent avec mois d’un dollar par jour. Les bienfaits de cette mesure ont vite été constatés : un rapport publié en avril 2009 pointe de nettes améliorations au niveau du chômage, de la scolarisation, de la sécurité alimentaire ou encore de la création de micro-entreprises ont été enregistrées. Aujourd’hui et depuis 2015, le gouvernement namibien envisage très sérieusement d’instaurer un revenu de base pour ses citoyens.

Aux Pays-Bas, Utrecht est l’heureuse élue

Utrecht, la quatrième ville du pays avec 300 000 habitants, tente l’expérience du revenu de base depuis janvier 2016. Un groupe de 300 citoyens au chômage et bénéficiaires des minima sociaux recevra 900 euros par mois pour un adulte seul et 1300 euros par mois pour un couple ou une famille. Parmi ces citoyens, 50 bénéficient du revenu inconditionnel, c’est à dire qu’ils toucheront cette somme quoi qu’il arrive (qu’ils aient un emploi ou non par exemple) alors que les autres doivent respecter des règles de recherche d’emploi. L’objectif est avant tout de vérifier une critique majeure des opposants au revenu inconditionnel de base, selon lesquels ce dispositif encouragerait le chômage et l’assistanat.

La Finlande franchit le pas

Le gouvernement finlandais a annoncé le test du revenu universel et inconditionnel dès 2017. D’environ 800 euros par mois, ce revenu sera attribué aux citoyens choisis pour l’expérimentation (notamment dans les zones fortement touchées par le chômage). Il vise à simplifier à l’extrême le système de protection sociale finlandais au niveau du chômage, des congés parentaux, des retraites, du logement ou des études : en remplaçant toutes ces prestations sociales par un seul et même revenu, le gouvernement pro-austérité entend lutter contre le chômage et rétablir un semblant d’équilibre dans les comptes de l’État.

Et en France ?

Le 9 mars dernier, un projet de résolution déposé par le groupe écologiste aurait du être débattu au Sénat. Il demandait notamment au gouvernement de prendre « les mesures nécessaires pour mettre en place un revenu de base, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, notamment d’activité, distribué par l’État à toutes les personnes résidant sur le territoire national, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement seront ajustés démocratiquement ». Finalement, par manque de temps, le débat a été reporté « à une date ultérieure » ainsi que l’a indiqué le Sénat via son compte Twitter.

Cette proposition a aussi été évoquée dans un rapport du Conseil national du numérique (CNNum) remis le 6 janvier à la ministre du travail Myriam El Khomri. Mais si l’idée émerge et trouve des adeptes de tout bord politique, son chemin semble encore bien long à un an des présidentielles. Pourtant, une telle proposition n’aurait-elle pas donné une couleur différente à la loi El-Khomri ?

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