SOCIÉTÉ

Quand Daesh s’en prend aux musées, c’est la stabilité politique qu’il met en danger

Le musée national du Bardo, le plus grand musée tunisien, situé à côté du Parlement dans la capitale du pays, Tunis, a été attaqué le 18 mars dernier. L’attaque menée par plusieurs hommes armés, et revendiquée par l’organisation “Etat islamique”, a fait plus d’une vingtaine de morts, dont une grande majorité de touristes étrangers. Cet attentat intervient dans un climat tendu de dégradation sécuritaire dans le pays, mais aussi peu de temps après l’attaque du musée de Mossoul, en Iraq. Quelles conséquences ces actes de violence risquent-t-ils d’entrainer sur la fragilité de la démocratie tunisienne ?

Un contexte de dégradation sécuritaire

Après avoir été fermé par mesure de sécurité, le musée du Bardo a finalement réouvert ses portes le 26 mars. Mais pour autant, la démocratie tunisienne survivra-t-elle à cette attaque revendiquée par EI ? Depuis le soulèvement de 2011, le pays est en proie au développement de groupes djihadistes. Ces derniers ne cessent de mener des attaques causant la mort aussi bien de civils que des personnes des forces de l’ordre ou de figures politiques. Nous nous rappelons bien de l’assassinat des anti-islamiques Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en 2013 par exemple.

Aujourd’hui, on estime que 3 000 Tunisiens sont partis combattre en Syrie et en Irak, et que 500 djihadistes sont revenus à ce jours dans le pays. Ces chiffres peuvent sembler faibles pour un pays si proche de ces zones turbulentes. Cependant, pour un pays aussi petit que la Tunisie, il s’agit de nombres importants, qui peuvent, comme le montre l’attaque, faire une grande différence.

De plus, la position géographique du pays ne facilite pas forcément les choses. En effet, à la frontière avec l’Algérie, l’armée peine à réduire les groupes proches d’AQMI. La Libye, qui n’est pas loin, constitue une immense base arrière pour les extrémistes combattants, sans compter le fait que les frontières deviennent de plus en plus poreuses à mesure que la situation se dégrade. Enfin, il y a peu, des dépôts d’armes clandestins ont été découverts en Tunisie, appuyant l’idée que certains groupuscules se préparent – voire sont prêts – à agir sous peu.

Une tentative de fragmentation politique par l’EI ?

Source : points.tn ©

Source : points.tn ©

Pour le moment, aucun mouvement radical terroriste ne semble avoir pris le dessus. Aucun mouvement de violence ne semble remettre en question le chemin politique tunisien. Une des raisons principales à cela est probablement la réaction mesurée et raisonnée des autorités de Tunis. Ces dernières n’ont en effet pas cherché à politiser l’évènement et ont même essayé d’empêcher la politisation.

Bien qu’Ennahdha, le parti islamiste du pays, ait lancé un appel afin de renforcer la législation anti-terroriste, aucune polarisation n’a eu lieu entre les camps islamistes et anti-islamistes en Tunisie, aussi bien au niveau de leurs attitudes, que de leurs discours ou idéologies. Cela a été notamment permis par l’habileté de l’élite politique du pays comme le note Michaël Béchir Ayari, analyste du think tank International Crisis Group.

Le but de cette attaque ? Pierre Vermeren, professeur d’histoire du Maghreb contemporain à l’université Paris I, explique qu’il s’agit probablement d’une tentative de fragmentation des partis politiques, d’accentuation des tensions au sein d’Ennahdha. En effet, l’éclatement du parti permettrait aux partisans du djihad de récupérer sa fraction la plus radicale et ainsi d’agrandir ses rangs.

Après l’attaque, et l’appel d’Ennahdha à renforcer la législation anti-terroriste, la difficulté va être de concilier la lutte antiterroriste et les principes de l’Etat de droit. En effet, certaines voix se sont déjà levées dans le but de réclamer le rétablissement de la peine de mort, et plus généralement, un gouvernement plus fort.

Un contexte économique difficile

L’attaque du musée du Bardo est une tragédie. Malheureusement, cette tragédie risque également de contribuer à la dégradation économique du pays, qui se trouve déjà dans une situation difficile. Or, ce sont la bonne santé des indicateurs économiques du pays qui sont en grande partie garants de l’équilibre démocratique tunisien.

Aujourd’hui, les entreprises du secteur public accumulent les pertes (le déficit public a été multiplié par 2,5 depuis 2010) ; les investissements sont en chute libre (-21 % en 2014 par rapport à 2013), tandis que le marché noir bat son plein. Selon les évaluations, l’économie parallèle tunisienne représente entre 40 et 50 % du PIB à ce jour, pendant que la croissance, essoufflée, peine à résorber le chômage qui s’élève à 16 % de la population active.

Le contexte ne laisse rien présager de bon : la constante hausse de l’inflation entraîne de nombreuses grèves, tandis que l’écart entre le littoral et le sud du pays, plus défavorisé, se creuse, faisant le lit de la propagande radicale. En plus de cela, l’attentat du musée va porter un coup au tourisme, un secteur crucial pour la Tunisie, déjà en difficulté depuis le printemps arabe. Il assure en effet 400 000 emplois et contribue environ à 7 % du PIB. Cependant, les touristes se font de plus en plus rares : entre 2010 et 2014, les touristes français par exemple sont passés de 1,4 million à 700 000.

L’attaque du musée de Mossoul en Irak

Source: newshub.org ©

Source : newshub.org ©

Quelques jours avant l’attentat au musée du Bardo, l’EI a également attaqué le musée de Mossoul en Irak. Cependant, les points communs entre les deux événements sont relativement faibles. En effet, à Mossoul, les djihadistes de l’EI ont vandalisé les diverses collections présentes dans le musée. Ces collections contenaient des objets des périodes assyrienne et hellénistique, datant de plusieurs siècles avant l’ère chrétienne. Bien que certaines œuvres étaient des originales, il a été révélé quelques jours après l’attaque que la majorité des œuvres détruites n’étaient que des copies en plâtre – d’où la facilité avec laquelle les soldats les détruisaient sur les vidéos diffusées.

Sur ses vidéos d’ailleurs, un homme s’exprimant en arabe classique, déclare : « Musulmans, ces reliques que vous voyez derrière moi sont les idoles qui étaient vénérées à la place d’Allah il y a des siècles. » Derrière cette déclaration se trouve clairement une attaque idéologique et religieuse, plus que politique. De plus, il s’agit d’une attaque directe envers l’identité irakienne, une attaque qui a été comparée par beaucoup à la destructions des bouddhas de Bamiyan en Afghanistan par les talibans. François Hollande a ainsi déclaré : «  La barbarie touche les personnes, l’Histoire, les mémoires, la culture », estimant que « ce que veulent faire les terroristes, c’est détruire tout ce qui est Humanité ».

Une réunion de crise du Conseil de Sécurité des Nations Unies a été requise par la directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova. Cette dernière a expliqué qu’il ne s’agissait pas seulement d’une tragédie culturelle, mais que cette attaque constitue également un problème sécuritaire qui alimente le sectarisme, l’extrémisme, et la situation déjà fragile en Irak.

Attachée de presse de cinéma et blogueuse, je fais partie de l'équipe de Maze depuis plus de quatre ans maintenant. Le temps passe vite ! Je suis quelqu'un de très polyvalent: passionnée d'écriture ("j'écris donc je suis"), de cinéma (d'où mon métier), de photo (utile pour mon blog!), de littérature (vive la culture !) et de voyages (qui n'aime pas ça?). Mon site, www.minimaltrouble.com, parle de développement personnel, de productivité, de minimalisme mais aussi de culture :)

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