SOCIÉTÉ

État des lieux 2.0

Les défenseurs de la neutralité du Net estiment qu’Internet doit permettre une totale transparence d’informations entre fournisseurs et utilisateurs. Pour faire simple, ils vont dans le sens d’un principe qui gouverne tout Internet depuis sa mise en fonctionnement. Cependant, qu’on se le dise, s’il y a des partisans à cette règle, c’est qu’elle ne fait pas l’unanimité ; la neutralité du Net est une véritable source de discorde. S’il est bien un pays dans lequel le débat s’est enflammé, ce sont les États-Unis. Après des années de mésentente, le « gendarme des télécoms » du pays, la Federal Communications Commission, a tranché en faveur de la neutralité du Net le 26 février dernier. L’actualité nous offre donc l’occasion de faire un état des lieux d’Internet : son utilité et ses avantages, mais aussi ses dangers et ses risques majeurs, sans oublier l’influence d’Internet sur la démocratie. Zoom sur ce nouveau bien public.

Le monde à portée de clic.

Parler d’Internet, c’est forcément mettre en avant la révolution que cette nouvelle technologie a opéré dans nos vies, et plus particulièrement peut-être dans celles de nos parents. C’est en 1994 qu’apparaissent en France les premiers réseaux Internet, et même si l’essor de ce géant qui a pu en effrayer certains au premier abord ne s’est fait qu’au milieu des années 2000, le Net a vite su séduire. Finalement, c’était un petit peu les States qui s’invitaient chez nous, le matin pour lire les dernières nouvelles, le midi pour se trouver un restaurant sympathique, et puis le soir pour envoyer un courrier électronique à son cousin – ou qui sais-je ? – expatrié à l’autre bout de la France. Aujourd’hui, presque 80 % des français ont la possibilité d’effectuer ces nouveaux rituels tous les jours.

Enquête Home Devices - (c) Mediametrie.

Enquête Home Devices – © Mediametrie.

En effet, sur la Toile, les services ont fleuri. Au départ, elle était vue comme un excellent outil de travail, notamment grâce aux moteurs de recherche (Google, Yahoo ! mais aussi DuckDuckGo ou Lycos), ou à tous types d’encyclopédies, qu’elles soient gratuites et contributives comme le désormais célébrissime Wikipédia ou payantes et rigoureusement encadrées comme l’Encyclopædia Universalis. Depuis plusieurs années, le journalisme en ligne a également le vent en poupe – citer Maze manquerait d’originalité, mais tout de même, difficile d’imaginer il y a quelques années encore, un journal entièrement en ligne ! –, ce qui exerce une pression sur l’ensemble de la presse écrite. Toutefois, elle peut aussi l’alimenter. La plateforme de micro-blogging Twitter a récemment mis en place un service de vidéo, qui a permis dès le 26 mars dernier de nourrir une enquête à propos d’un incendie déclenché en plein cœur de New-York.

Si Internet est donc également un outil pédagogique et d’information sans précédent, il n’en demeure pas moins un instrument de communication hors du commun. Grâce au développement des réseaux sociaux, notamment avec Facebook en 2004 ou Twitter en 2006, l’étendue des opportunités pour échanger s’est nettement amplifiée. Presque la moitié de la population française possède aujourd’hui un compte Facebook, et il n’est plus rare aujourd’hui de voir sur le réseau de Mark Zuckerberg des pages se créer pour soutenir des causes ou organiser des événements d’ampleur parfois surprenante. Il y a maintenant trois mois, nombre de personnes qui se sont senties concernées ont ouvert des pages en soutien aux familles des victimes de l’attentat au siège de Charlie Hebdo ou, plus récemment, d’autres ont été mises en place pour exprimer un choc à la suite de l’attentat du musée du Bardo en Tunisie. 

Dans cette mesure, Internet permet aussi une liberté d’expression soumise a priori à aucune censure, sauf dans le cas où les propos peuvent porter atteinte à autrui. Cette liberté d’expression est d’ailleurs fervemment défendue dans de nombreux pays où elle s’avère être limitée. C’était le cas pour l’Inde, où une loi introduite en 2008 a été abrogée le 24 mars 2015 par la Cour Suprême ; cette loi « très vague » censurait des internautes dits « trop critiques ». Tout le monde peut se permettre de donner son avis aujourd’hui puisque Internet repose sur le principe de gratuité : accéder à un site Internet n’est pas payant tant que l’on dispose d’un abonnement. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, une difficulté rencontrée par les États fait consensus. Comment taxer les grandes entreprises numériques que nous avons précédemment évoquées ? Au Royaume-Uni, le ministre de l’Échiquier a récemment trouvé une solution, celle d’instaurer une « taxe Google ». Ce prélèvement sera mis en place courant mois d’avril.

George Osborne, le chancelier de l'Echiquier, le 18 mars 2015 - (c) Pool / Reuters.

George Osborne, le chancelier de l’Echiquier, le 18 mars 2015 – © Pool / Reuters.

Par ailleurs, si le Net permet de se renseigner ou de formuler son opinion librement, il est également un merveilleux moyen de distraction. Que ce soit sur ordinateur, sur mobile ou sur tablette, les jeux représentent une véritable clé pour le développement d’Internet.

Évidemment, tout est relatif en parlant de merveille. Oui, toi qui lis cet article, peut-être que ta mère préfèrerait te voir travailler plutôt que t’entendre hurler devant tes jeux, ou ta bande d’amis, friande de sorties en ville, aimerait parfois bien que tu sortes prendre un verre avec elle ! Internet peut effectivement vite devenir une spirale, celle de tous les excès.

« J’ai mal à mon Web ! »

Exit la vision uniquement positive d’Internet et retour à une réalité malheureusement plus sombre. Si l’outil est aujourd’hui devenu extrêmement populaire partout dans le monde, il reste aussi l’un des dangers les plus proches de nous. S’il existe aujourd’hui des centres de désintoxication réservés aux « drogués à Internet », cette « héroïne électronique », c’est bien parce que certains ne peuvent aujourd’hui plus s’en passer. En Chine, les jeunes atteints de cette addiction ne sont plus des cas isolés et c’est pour cette raison que les autorités chinoises ont décidé de les prendre en main en créant ces centres. L’objectif final ? Lutter contre cette technologie qui peut provoquer des problèmes de santé en relation avec l’immobilisme. Deux journalistes du New-York Times ont récemment réalisé un reportage sur ces nouveaux junkies.

Un jeune Chinois accro aux technologies - (c) Crédits Reuters.

Un jeune Chinois accro aux technologies – © Crédits Reuters.

La désintoxication peut ainsi prendre la forme d’un entraînement militaire, mais elle peut aussi être envisagée plus doucement, simplement pour retrouver le vrai plaisir de passer des moments en famille ou entre amis. C’est pourquoi de plus en plus de lieux de tourisme (hôtels, centres de thalasso ou chambres d’hôtes par exemple) misent sur le « déconnecté », notamment en France. Le principe est simple : on se recharge les batteries loin de toutes technologies, en se concentrant sur des activités qu’on avaient délaissées. Près de 80 % des français consultent leur téléphone avant de dormir, presque autant au réveil… Pas étonnant que le sevrage numérique rencontre du succès aujourd’hui. Cette abstinence 2.0 n’est cependant pas la solution à tous les problèmes auxquels nous pouvons être confrontés en tant qu’utilisateurs, réguliers ou non.

En effet, les mèmes nous ont déjà tous fait sourire au moins une fois, et qui ne connaît pas le fameux « On Internet, nobody knows you’re a dog [Sur Internet, personne ne sait que tu es un chien] » ? Bon, entre nous, les chiens ne sont pas les plus gros dangers de la Toile, c’est vrai, mais, cher lecteur, tu dois voir où nous voulons en venir, et pour cause ! Internet regorge de secrets et le danger y est omniprésent. Les risques d’intimidation y sont élevés et plusieurs jeunes ont fait le choix d’en finir avec la vie après avoir été victimes d’une forme de cybercrime, le « bullying ». Amanda Todd, une adolescente canadienne, s’est suicidée en octobre 2012 après avoir été harcelée et intimidée sur Internet, après être tombée dans une infernale spirale dont elle était incapable de sortir, ni saine, ni sauve. Cette jeune fille a été confrontée à la « mémoire d’éléphant du Net », ce qui a également été mis en avant dans un récent procès, celui d’eMule Paradise, un site de téléchargement illicite qui fonctionnait grâce au peer-to-peer (tout comme The Pirate Bay aujourd’hui interdit dans de nombreux pays). Huit ans ont été nécessaires pour clore ce procès, en février 2015, et réclamer 8 millions d’euros de dommages et intérêts au créateur du site. Une façon de s’appauvrir pour ce dernier, même si perdre de l’argent à cause d’Internet ne passe pas forcément par un tribunal. L’appauvrissement lié à l’achat abusif et désormais simplifié sur les jeux vidéos ou les arnaques lors d’emplettes en ligne est aujourd’hui fortement surveillé mais toujours existant.

Nous parlions précédemment de la liberté d’expression, mais ne pas la limiter, c’est donner l’occasion à toutes sortes de sites de se développer, notamment les réseaux criminels. En Août 2014 avait été arrêté « Predador », le cerveau présumé d’un réseau accusé d’avoir volé plusieurs dizaines de millions de dollars à des banques. Les organisations terroristes ne sont pas en reste et la « djihadosphère » connaît les failles d’Internet pour attirer toujours plus de sympathisants. En leur adressant pour la première fois une vidéo le 26 mars dernier, les responsables de la communication de l’Etat islamique ont laissé entendre que « le djihad en ligne n’est pas moins important que le djihad sur les champs de bataille ».

(c) EI

Capture d’écran de la vidéo de l’État islamique – © EI.

De plus, l’engrenage de la radicalisation peut-être beaucoup mieux huilé qu’on ne le présume. C’est ce que soutient un ex-djihadiste dans une interview accordée au quotidien Le Monde en février dernier : « aujourd’hui avec Internet, un individu peut se radicaliser dans sa chambre, à l’abri de tout regard, le danger est bien supérieur ». Ainsi, se prendre les pieds dans la Toile n’arrive pas qu’aux autres.

Internet, c’est donc un cosmos presque infini dans lequel chacun peut se montrer comme il le veut, sous son meilleur jour comme derrière un personnage aussi mensonger qu’imaginaire. Chacun peut avoir sa carte à jouer sur le Web, que cela soit seul ou en communauté. Dès lors, certains vont se retrouver à se demander si finalement Internet représente un bienfait ou un danger pour la démocratie. Mieux s’exprimer, mieux informer, favoriser une interaction entre gouvernants et gouvernés ainsi que le développement de la démocratie participative mais également amplifier la fracture sociale et numérique et le manque de protection de données privées numériques, soutenir des idées contraires à la participation du peuple dans la vie politique… Les affirmations s’entremêlent pour déterminer le véritable impact d’Internet sur la démocratie. Un entremêlement qui rappelle étrangement celui des fils d’une Toile pourtant initialement bien tissée !

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