SOCIÉTÉ

Revenu universel : une fausse bonne idée ?

L’idée d’un revenu universel n’est pas toute neuve : elle remonterait au seizième siècle, à la parution du livre Utopia de Thomas More. Malgré ses origines lointaines, il n’y a rien de plus actuel que ce concept. Il fait débat en France aujourd’hui dans le cadre de l’élection présidentielle et des propositions des candidats, notamment Benoît Hamon, d’instaurer un tel revenu.

Le revenu universel, ou revenu de base pour d’autres, est l’idée de verser à tous les citoyens d’un pays donné une somme mensuelle fixe, comme un salaire. Mais ce revenu n’est soumis à aucune condition : au chômage, employé, jeune, vieux, riche ou pauvre, tout le monde en bénéficie. Le revenu de base est également compatible avec d’autres types de revenus. La plupart des défenseurs du projet le limite à 700 ou 800 euros. Avec un tel revenu, chaque personne aurait la possibilité de travailler ou non, et pourrait occuper son temps de la manière dont elle le souhaite. Le but ultime étant d’éliminer la grande pauvreté.

Des visions différentes

Il y a ceux qui ne sont pas du tout d’accord avec cette idée, pour des raisons que nous allons évoquer, puis il y a globalement deux tendances en France qui sont en désaccord sur la manière dont devrait fonctionner le revenu de base. D’abord, d’un côté, les libéraux estiment qu’il permettrait de rationaliser le système d’aides sociales en supprimant l’ensemble des prestations sociales pour les remplacer par le revenu de base. La création d’un nouvel impôt serait également nécessaire au bon financement de la mesure.

De l’autre côté, il y a ceux qui voient le revenu de base comme une émancipation des travailleurs. Pour eux, il n’est pas question de remettre en cause la protection sociale française. Au contraire, le revenu viendrait s’ajouter aux allocations et autres prestations sociales dont bénéficient déjà les citoyens. Il permettrait à chaque individu de se prendre en charge et de décider de comment il passe son temps. À travailler ou non, cela n’est pas un problème. Et si les français décident de ne pas travailler, ou en tout cas moins, cela permettra d’encourager le bénévolat et les activités non-marchandes, ainsi que de faire baisser les niveaux de chômage si on suppose qu’une partie de la population choisira de passer à un temps de travail partiel. L’approche émancipatrice envisage le financement du revenu de base par une hausse d’impôt sur les revenus les plus aisés, de nouvelles taxes sur le patrimoine, et une meilleure taxation des profits des multinationales. L’idée est défendue par le Mouvement Français pour un Revenu de Base, qui présente la mesure phare du programme de Benoît Hamon comme une alternative viable au capitalisme.

© MFRB

On l’aura compris, les conceptions de la même idée d’un revenu universel sont diverses et divergentes. Cette mesure est également vivement critiquée, de toute part du spectre politique. Qualifié d’utopique et de coûteux, le revenu universel est accusé de promouvoir l’assistanat et la fainéantise, car effectivement, pourquoi travailler alors que l’État met à notre disposition un revenu inconditionnel qui nous permet d’assurer nos besoins principaux ? Le revenu universel serait également un instrument d’exploitation capitaliste, permettant aux patrons d’avoir accès à un nombre illimité de travailleurs sous-payés en attente d’un revenu plus confortable. Il permettrait, selon certains, un retour au foyer des femmes.

Expériences

Mais alors, comment savoir si un revenu de base est une bonne chose ? Avec un coût estimé à 200 milliards d’euros par an pour 500 euros par personne et par mois (AFP), il est difficile de se lancer dans l’expérience sans l’avoir testée quelque part. Aujourd’hui, plusieurs pays ont mis en place des tentatives de revenu universel sur une partie définie de leur population. Parmi eux, le Brésil, qui a inscrit le droit à un revenu de base comme un objectif essentiel dans leur constitution, a réussi à instaurer une sorte d’allocation conditionnée à la scolarité des enfants pour les familles les plus pauvres. En Alaska, un fonds reverse aux habitants de l’État y résidant depuis plus de cinq ans, un dividende d’environ 2 000 dollars par an sur les bénéfices de l’industrie pétrolière de la région.

Mais l’expérience la plus notable et aboutie est certainement celle qui se déroule actuellement en Finlande où, depuis le 1er janvier 2017, 2 000 personnes reçoivent chaque mois 560 euros en guise de revenu universel. Ces 2 000 personnes ont été tirées au sort parmi les demandeurs d’emplois du pays. Sur une période de deux ans, les 2 000 Finlandais vont cesser de recevoir leur allocation chômage mais conserveront leur allocation logement et les aides sociales qui leur sont disponibles. Ils auront la possibilité d’accepter des offres d’emploi ou non, durant cette période, sans que cela n’affecte le versement de cette aide.

Pour le gouvernement finlandais, le but d’une telle mesure – qui était une des propositions phares du premier ministre centriste, Juhä Sipilä au moment de son élection – est de voir si les chômeurs recevant le revenu universel sont plus motivés pour trouver un emploi ou devenir entrepreneur que sans l’aide. Cela permettrait également d’alléger la bureaucratie et d’offrir plus d’autonomie aux finlandais.

Le revenu universel, applicable en France ?

Certains accusent l’expérience de n’être pas assez généralisable, et donc de ne pas permettre de l’appliquer sans dangers à d’autres pays. Mais même si elle l’était, et si elle était positive pour l’État et la société, cette mesure serait-elle une bonne idée en France ?

Le problème actuellement est bien entendu que Benoît Hamon soit le seul candidat à la présidentielle à présenter une telle idée, rendant sa réalisation conditionnée à sa victoire. Un peu léger comme perspective d’avenir, en effet, surtout lorsque les sondages, aussi fiables soient-ils, placent Marine Le Pen, François Fillon et Emmanuel Macron parmi les plus avancés dans les intentions de vote. Mais d’autres problèmes s’opposent à la possibilité d’une telle mesure en France dans les prochaines années.

Il paraît difficile d’envisager un revenu universel dans une société qui, presque à l’unisson, valorise le travail comme un facteur de cohésion sociale, comme un lien indispensable entre soi et la société, sans lequel nous ne pouvons qu’être solitaire, incompris, et inévitablement, assisté. La peur et la haine de l’assistanat sont très importantes. Dans un tel environnement, comment envisager positivement la fin du travail ? En revenant à ses origines latines, le travail n’était qu’un instrument de torture. Alors pour quelles raisons s’évertue-t-on à vouloir le conserver, pourquoi stigmatise-t-on ceux qui ne travaillent pas ? Peut-être parce que n’être pas employé constitue une fin sociale en soi, une fin de laquelle il est difficile de sortir. Une fin synonyme de précarité, et du coup, d’assistanat.

Pour qu’une mesure telle que le revenu de base puisse avoir un ancrage profond en France, plus qu’aujourd’hui, il faut d’abord changer de point de vue : la fin du travail n’est pas quelque chose de mal ou de non désirable. Il serait déjà compliqué que toute la population française s’arrête de travailler. Ce que les détracteurs du revenu universel ne voient pas, c’est que l’arrêt d’un travail forcé et non enrichissant ne peut être qu’une plateforme d’évolution et de développement personnels, pour un approfondissement de connaissances et d’intérêts qui n’ont aucune valeur sur le marché du travail. Le revenu universel, c’est alors certes un coût pharaonique, mais cela est-il vraiment comparable au prix d’un épanouissement général des français ? À une plus grande égalité entre les populations ? Cela reste à déterminer.

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