SOCIÉTÉ

Le féminisme sur champ de bataille

Dans un Moyen-Orient empreint de conflits et de clichés misogynes, certaines femmes s’en saisissent et y imposent leur rôle. Zoom sur l’Unité de Protection de la Femme qui combat l’État Islamique dans le Kurdistan syrien.

De toutes les figures, “la Femme” n’est pas la plus épargnée par les préjugés. Elle semblerait devoir se contenter éternellement d’un statut secondaire, d’un rôle moindre voire inexistant face à l’altérité masculine. Se contenter d’être plus faible, avec un pouvoir décisionnel moindre, et tout cela dans les limites du privé. Le trait est gros, mais ces idées véhiculées semblent, pour certains, être des vérités générales. Cela nous conduit à concevoir les femmes comme un groupe social délimité et même comme une minorité. Qui irait donc scander que les hommes ont des droits à défendre ? Sûrement dans un autre univers. Soit.

Autant de préjugés persistent sur la figure féminine et plus encore d’idées reçues dès que nos identités sont touchées. Alors que la planète entière crie au repli communautaire, il est intéressant de changer d’angle de vue afin de remettre en question nos façons de penser. Nous nous tournerons dès lors vers le Moyen-Orient. La femme au Moyen-Orient est très (trop) souvent associée à des qualificatifs liés à la soumission. Cette dernière, en plus d’être une femme, aurait la malchance de vivre dans une société la reléguant constamment au second plan. Finalement, il réside tout un flou autour de ces idées. Et le monde semble s’être tant figé sur l’idée que la Femme du monde arabe est prise dans les chaînes de son monde, qu’il l’empêche de s’en défaire. C’est cette vision occidentalo-centrée qui tenta autrefois de justifier les armes. En 2002, Christine Delphy écrivait l’article « Une guerre pour les femmes afghanes » dans sa revue Nouvelles questions féministes. Dans cet article, elle s’interroge sur la restauration du droit des femmes comme alibi pour faire la guerre en Afghanistan. Elle soulève tout d’abord un élément important selon lequel aucune différence entre Etats ne doit justifier une volonté de civiliser autrui : « Le motif moral – ici la « libération des femmes afghanes » – fait appel à des valeurs en apparence progressistes : mais en apparence seulement ; car à l’examen, elles consistent en la croyance plus ou moins consciente en la « mission » de l’Occident ; or nous ne croyons avoir une telle mission que parce que nous croyons posséder la « civilisation » ». Il ne tiendrait donc à personne de se doter d’une mission civilisatrice. Plus encore, elle met en lien un racisme et un paternalisme destructeurs puisqu’ils justifient une intervention militaire, ici dans le cas de la guerre en Afghanistan, d’autant plus destructeurs que cela a eu pour résultat une population dévastée. Les femmes afghanes jouissaient avant la guerre de la possibilité d’exercer des professions prestigieuses. La volonté de les « libérer » est donc peu audible selon la sociologue. Finalement, il convient d’interroger nos schèmes de pensées et nos préjugés, ici sur les femmes, et de ne pas les croire universels.

Outrepasser les normes sociales en vigueur

Mais alors, sortir les armes au nom des femmes ? Vraiment ? C’est le choix qu’a fait l’Unité de Protection de la Femme, et qui plus est en leur nom. Il semble plus logique que les femmes décident d’elles-mêmes, et c’est là-même que débute l’égalité. Il s’agit donc d’une unité armée composée exclusivement de femmes, rattachée au Parti de l’Union démocratique, parti kurde syrien. Il affiche comme volonté l’autonomie du Kurdistan syrien (Nord-Ouest de la Syrie). C’est dans la lignée du parti que s’est constituée l’Unité de Protection du Peuple en 2011, sa branche armée puis par extension l’Unité de Protection de la Femme, plus communément appelée YPJ (appellation kurde). Leurs motivations premières sont de se battre pour l’autonomie du Kurdistan mais, au-delà, pour une Syrie démocratique et pour la liberté, avec pour ennemi premier l’Etat Islamique, qu’elles considèrent comme « un des groupes les plus hostiles aux femmes au monde ». Elles souhaitent également redonner du pouvoir aux femmes, notamment dans les conflits, et s’érigent petit à petit comme puissant groupe armé. Elles ont gagné des batailles, la plus connue étant celle de Kobané, débutée en Septembre 2014 et achevée en Juin 2015. Cette bataille qui opposait les forces Kurdes à l’Etat islamique en Syrie fût composée à 80 % de femmes, et elle se solda par la victoire kurde. Ce fût une réelle consécration et en tout cas un beau pied de nez aux machistes de ce monde. Une chose est sûre, les nombreuses soldates ont conquis le cœur des médias. Elles sont désormais à l’affiche de reportages et en couverture de livres et journaux. Les combattantes kurdes ont réussi à se faire une place dans le monde très masculin des conflits armés. Elles ont également reconquis des qualités de stratège et de battante, peu conférées habituellement.

Il ne s’agit pour autant nullement de consacrer la guerre. La glorifier reviendrait à la rendre normale, permanente, et donc à nier toutes les atrocités qu’elle engendre. La guerre en Syrie et plus globalement au Moyen-Orient semble avoir permis à certaines de ces femmes de trouver une voie différente à ce qu’il leur était promis : un foyer à tenir. Nombreuses témoignent d’une nouvelle raison de vivre et d’une volonté de se rendre utile, à tel point que certaines combattantes ne sont pas kurdes mais se sont engagées auprès d’elles, telles que Hanna Böhman, canadienne. Mais la problématique concernant le statut de la femme est plus profonde et il conviendrait de remettre en cause les préjugés véhiculés, afin qu’il soit plus facile de s’en défaire. Pour cela, de nombreuses batailles sont encore à gagner.

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