SOCIÉTÉ

Rencontre avec Pierre Jacquemain – « Faire confiance aux jeunes qui innovent, les médias n’y échapperont pas »

Ancien conseiller de Myriam El Khomri au ministère du Travail, rédacteur en chef de la revue Regards, Pierre Jacquemain était invité à débattre avec les rédacteurs du magazine lors des Journées Maze. La place des jeunes dans le journalisme et dans la société, son parcours atypique, le journalisme militant, il a répondu à nos questions.

Collaborateur d’élus, plume de la ministre du Travail Myriam El Khomri, homme de médias, et désormais rédacteur en chef de la revue Regards : ton parcours est éclectique et atypique. Quelle est sa cohérence ?

La cohérence, c’est la conviction, dans la durée. Dans chacune de mes expériences, j’ai eu le sentiment d’avoir fait progresser mes idées, mes combats. Toujours au service des publics. Je suis animé par la mission d’intérêt général. C’était le cas à la ville de Paris où j’ai participé auprès d’élu-es à la mise en place d’une véritable politique de gauche – qui, j’en ai la conviction aussi –, a changé et amélioré le quotidien des parisien-nes. C’était aussi le cas à Radio France – sans doute la plus belle maison d’information et de culture – qui a une mission de service public, centrale, d’informer, de cultiver, de divertir. Enfin, c’était évidemment le cas auprès de Myriam El Khomri – d’abord au secrétariat d’Etat en charge de la politique de la Ville puis au ministère du Travail, où j’espérais pouvoir contribuer à ses côtés à améliorer le sort des Français précarisés, au chômage, etc.

« Je retrouve le chemin du journalisme »

Et puis il y a eu la loi Travail que la ministre a – sans doute opportunément – décidé d’assumer. Une loi qui n’est pas au service de l’intérêt collectif mais au service d’intérêts particuliers, ceux des dominants, des patrons du CAC 40. C’est d’ailleurs sur ce désaccord politique que j’ai quitté mes fonctions au sein du ministère. Aujourd’hui, je retrouve le chemin du journalisme, au service d’une information et d’une pensée – issue de la gauche critique – que j’espère renouvelées.

Est-ce que c’est simple, à 33 ans, de diriger un journal ?

La revue Regards, dont j’assure la rédaction en chef, est gérée dans le cadre d’une Scop – Société coopérative. Nous avons donc la culture et le goût du collectif, du partage, de l’horizontalité. Il n’y a aucun rapport de subordination. On est une petite équipe où chacun est libre de faire et dire ce qu’il veut. Nous avons des échanges passionnants et passionnés en comité de rédaction mais c’est toujours sur la base du consensus que l’on fait émerger des projets de papiers et les angles avec lesquels on les traite. Ça facilite la mission qui est la mienne. Et je dois dire que ce cadre est très plaisant. C’est même particulièrement excitant intellectuellement.

« Nous avons la culture et le goût du collectif. »

C’est aussi grâce à la politique de Regards, faire de la place aux jeunes ?

Oui, c’est vrai. La revue a toujours fait de la place aux nouvelles générations et fait confiance dans sa jeunesse. Nous donnons leur chance à des jeunes journalistes qui ont une sensibilité, un regard et une curiosité qui les entrainent à voir le monde qui nous entoure, différemment. Et par ailleurs, comme n’importe quel média, nous avons une responsabilité : la transmission. Ceux qui ont porté avec beaucoup de force et de convictions la revue Regards depuis près de vingt ans, ont aujourd’hui à cœur de transmettre. Mieux que la seule jeunesse, l’intergénérationnel.

De ton point de vue, quelle est aujourd’hui la place des jeunes journalistes dans le paysage médiatique français ?

Il y a une défiance des jeunesses, partout, dans une société qui ignore ses richesses et potentialités. Le journalisme n’échappe pas à ce cliché. Il y a des médias qui ont fait le pari du renouvellement – je pense à franceinfo ou à des émissions comme Quotidien par exemple – même si quelques poids lourds résistent et persistent. Je crois que les choses bougent. Regardez, en politique, les Français ont envie de changement, de renouvellement. Je pense que la presse n’échappera pas à cette évolution nécessaire : faire confiance aux jeunes qui innovent. Il faut donc aussi accompagner les nouveaux formats, les nouvelles pratiques journalistiques que l’on voit apparaitre, notamment par l’inventivité des jeunes.

« Il faut accompagner les nouveaux formats, les nouvelles pratiques. »

Qu’est-ce qui devrait changer à ton sens ?

En politique, comme dans les médias, le principal problème c’est la diversité. Je dirais même la représentativité. Quand j’écoute la radio, j’entends peu de voix de femmes. Peu de jeunes non plus. Peu d’accent du sud aussi. Quand je regarde la télévision, la diversité culturelle est quasi absente – même si ça progresse. Quand j’écoute les éditorialistes – presse papier, web, télé ou radio – j’entends cette même rengaine libérale sur « la nécessité de baisser la dette, les déficits » etc. Politiques et médias doivent profondément se renouveler et se remettre en cause pour que tous les citoyens, les auditeurs, les téléspectateurs s’y retrouvent.

Dans ton livre Ils ont tué la gauche, tu témoignes de ton expérience dans les coulisses du ministère du Travail, et plus largement du pouvoir. Tu as eu une démarche journalistique en écrivant cet ouvrage ?

Je pense que le livre est à mi-chemin entre l’essai et le témoignage. J’ai pris la décision d’écrire parce que je crois que la politique meurt du silence qui l’entoure. Il faut dire. Il faut libérer la parole. Je l’ai écrit comme un coup de gueule. Il y a un vrai parti pris éditorial dans ce livre mais j’y fais aussi part de mes convictions profondes par exemple sur la nécessité de changer les institutions de la Vème République, arrivées à bout de souffle. C’est un livre engagé. Mais le journalisme est une forme d’engagement.

Tu défends une vision militante du journalisme. Le journalisme objectif, c’est désuet, ou même, ça n’a jamais existé ?

Quand Zemmour, Barbier, Giesbert, Joffrin, Seux, Lenglet, etc, inondent les médias radio-télé-papier de leur pensée libérale tout en se masquant derrière l’exigence de neutralité – voire d’objectivité – journalistique, ça relève de la pure hypocrisie. Il ne s’agit pas de dire qu’untel ou unetelle roule pour je ne sais quel parti politique, mais je crois qu’un peu d’honnêteté intellectuelle de la part des journalistes ferait du bien à notre démocratie – ne serait-ce que pour s’apercevoir que les journalistes de gauche ne sont pas aussi nombreux qu’on ne le dit, dans les médias. Les citoyens ont le droit de savoir d’où parlent les journalistes. Et pour qui ils parlent aussi.

Est-ce que cette position militante du journalisme ne risque pas de conforter le sentiment qu’ont beaucoup de Français, d’une collusion malsaine entre journalistes et politiques ?

Le problème manifestement c’est de l’assumer alors que beaucoup le font dans l’ombre. Les amitiés politiques de Laurence Haïm avec Emmanuel Macron ne sont – je suppose – pas soudaines. On aurait aimé le savoir avant. Celles de Robert Ménard avec l’extrême droite de la même manière. On aurait aimé savoir d’où il parlait lorsqu’il était journaliste.

« Il faut de la transparence sur les idées. »

Quels sont les engagements de Ruth Elkrief, de David Pujadas ou de Jean-Michel Apathie, qu’ils votent ou qu’ils ne votent pas ? Quand je parle de journalisme engagé, je fais davantage référence à un journalisme d’opinion, assumé. Il faut de la transparence sur les idées. Et les assumer pleinement. Nous devons ce respect-là aux lecteurs, auditeurs et autres téléspectateurs.

Le numéro d’hiver de Regards, « Faut-il être raciste pour être populaire ? », disponible en kiosques.

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