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Rencontre avec Nicolas Hénin – « Je résiste à la haine du plus fort que je peux »

A l’occasion de la sortie de son dernier livre, Comprendre le terrorisme, bâtir une société résiliente, le Bureau des Médias de Sciences Po Bordeaux a invité Nicolas Hénin à une rencontre publique. Le journaliste reporter de guerre, otage de l’organisation « Etat islamique » de juin 2013 à avril 2014, est revenu sur son parcours, ses expériences et sa vision du métier de journaliste.

L’amphithéâtre est bondé en ce dernier lundi de novembre. Les étudiants sont venus par dizaines écouter les explications et les révélations de Nicolas Hénin. Il arrive, béret sur la tête et sourire aux lèvres, ravi de la spontanéité de l’échange à venir. Il commence par raconter ses ambitions premières : « être prof, comme tout le monde dans ma famille ». Puis vint le voyage en sac à dos autour de la Syrie à 18 ans, cet endroit qu’il décrit comme « dépaysant et pourtant si proche ». Le jour où il lui a bien fallu trouver un métier, il voulait que ce soit à l’étranger. Et journaliste lui est apparu comme une évidence, après tout, comme le prof, c’est un médiateur. « Simplement, le public et les circonstances sont différentes », ajoute-t-il.

Une vocation évidente

Quand on l’interroge sur les précautions à prendre en tant que reporter de guerre, c’est par l’auto-dérision qu’il répond : « Bah je suis pas très bien placé pour donner des leçons… » provoquant les rires de la salle, avant d’ajouter : « Il faut écouter son instinct, savoir décrypter l’environnement, les mouvements de foule tout comme les rues désertées… Mais en temps de guerre, la population est tout de même globalement protectrice ». Il décrit la tension psychologique constante qui déchire le reporter de guerre, entre sens du risque et connaissance du terrain. Rester trop longtemps sur la même zone émousse le sens du danger, et pourtant rapproche le journaliste de la réalité qu’il affronte.

L’une des conditions pour être un excellent reporter de guerre ? Être femme, et avoir ainsi accès au contact avec l’ensemble de la population : hommes, femmes et enfants. « Il vaut mieux être une femme journaliste dans le monde arabo-musulman, poursuit Nicolas Hénin, on dirait presque que c’est plus facile là-bas qu’ici. Ils n’ont pas encore installé de système patriarcal dans cette profession, ce qui est davantage le cas en France, où les directions de rédactions sont dominées par les hommes ».

« Un kidnapping, ça se passe comme dans les films »

La rencontre évolue vers un sujet particulièrement sensible à aborder. Le kidnapping, la vie en tant qu’otage. « On marche dans la rue, tranquille, et puis c’est fini. » La voix posée et le regard fixe, le journaliste aborde avec réserve certains aspects de ses conditions de détention. « Ça se passe comme dans un film. Des hommes cagoulés qui se jettent sur vous et vous poussent dans une voiture ». Le silence est total dans l’audience. « La captivité de l’otage, c’est beaucoup de douleur, de stress, de peur, mais c’est avant tout énormément d’ennui. Et vous savez quel est le sentiment le plus fort qu’éprouve l’otage ? La culpabilité. Comme la femme violée. On refait la scène dans notre tête des milliers et des milliers de fois, se demandant comment on aurait pu éviter tout ça. »

C’est le 18 avril 2014 qu’arrive l’annonce à laquelle ils ne croyaient plus. Les quatre journalistes français viennent juste de recevoir leur déjeuner, quand leurs geôliers leur demandent spontanément : « Ça vous dit de passer la frontière jusqu’en Turquie ? ».

Le lendemain, à six heures du matin, François Hollande est informé de la libération définitive des otages. A sept heures, il appelle leurs familles. Et tombe sur quatre boîtes vocales. Nicolas Hénin mime la scène, sous l’hilarité du public : « Allô oui, c’est le Président de la République… Est-ce que vous pouvez me rappeler s’il-vous-plaît ? ».

Et après ? « Pendant la captivité, on [les otages francophones] était les meilleurs amis du monde. On avait personne d’autre… Une prise d’otages, c’est un drôle de huis-clos. Ça pourrait inspirer un très bon film. » Nicolas Hénin nous décrit ensuite des liens distendus à présent, après le retour à la vie quotidienne, et « c’est pas plus mal ».

Daech ? « Une colonie de vacances »

Nicolas Hénin décrit « l’EI » comme un groupe armé plutôt similaire à tous les autres : « bordéliques, et à l’efficacité relative ». A l’été 2013, il est retenu dans un hôpital, sûrement à Alep, avec d’autres francophones. « On aurait réellement dit des gamins en colonie de vacances. Ils s’amusaient, mettaient l’ambiance. On se regardait souvent entre otages, en se demandant “A la rentrée, quand les vacances seront finies, ils vont nous laisser partir, non ?” ».

La dimension de l’organisation « Etat islamique » la plus souvent négligée par les Occidentaux, c’est son côté universel : « Ils viennent du monde entier ». Le journaliste nous explique que la peur de l’étranger, très prégnante dans les sociétés occidentales, n’existe pas au sein de l’organisation « EI » : « un proto-état colonial et multiculturel », allant jusqu’à les comparer au cinéma hollywoodien, parce que « leur matériel de propagande parle à tous, dans le monde entier ».

L’une des principales raisons du départ d’Occidentaux vers le fondamentalisme religieux : le besoin de valorisation au sein d’une communauté. « Le djihadiste, différent du terroriste, cherche avant tout à se réaliser au sein d’une société qui l’accueille, en opposition à une société qui le rejette. »

Comment en parler en tant que journaliste ?

La rigueur, être clinique et retransmettre les événements de manière objective, sans pathos : « Les faits, c’est déjà suffisant quand il y a un attentat, il faut être systématiquement dans le respect des victimes. Le but recherché par les terroristes, c’est la sidération, puis la réaction irrationnelle. Pour produire cet effet, il faut la peur ».

Après les enlèvements de Nicolas Hénin et de trois de ses confrères, la Syrie devint « un trou noir de l’information » (d’après ses mots lors d’une interview accordée à Arte en 2015). Dans la deuxième moitié de 2013, les journalistes cessent de se rendre sur ce territoire de guerre. Le but des ravisseurs est atteint : faire pression sur les gouvernements étrangers en détenant des otages, mais aussi faire en sorte qu’ « aucun témoin n’assiste aux horreurs qu’ils allaient commettre ».

Le principal danger aujourd’hui réside dans « les velléitaires qui ruminent une haine féroce, à l’inverse des revenants qui ont eu une déception, ils restent dans une imagerie idyllique ». Ou les djihadistes qui migrent vers d’autres zones à risques : Libye, Balkans, Somalie, Afghanistan, Pakistan, Bangladesh… Nicolas Hénin, micro toujours à la main, frémit : « Ils recherchent une récupération de la cause des Rohingyas qui me fait grimper d’horreur. Je les ai déjà entendus crier : “Après la Syrie, on ira retourner la Birmanie !” ».

Ce qui ne l’empêchera pas de conclure sur une phrase appelant à la sérénité : « Je résiste à la haine du plus fort que je peux ». 

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