SOCIÉTÉ

Enquête alarmante sur les violences sexuelles

Le 1er mars dernier, l’association Mémoire traumatique et victimologie, avec le soutien de l’Unicef, publiait son enquête sur « L’impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte » dans le cadre de la Campagne « Stop au déni ».

Les chiffres tombent. Le constat est sans équivoque : il faut réagir. 81 % des victimes d’abus sexuels en France sont mineures. Pire encore, 94 % des agresseurs sont des proches. En 2014, l’OMS rendait public un rapport qui formulait que 20 % des femmes et 5 à 10 % des hommes dans le monde avaient subi des violences sexuelles pendant leur enfance.

Des chiffres effroyables

Au cours de cette enquête, 70 % des personnes interrogées ont déclaré avoir subi des violences sexuelles, 68 % au moins un viol, et 40 % rapportent une situation d’inceste. Parmi ces victimes, 8 sur 10 ont déclaré que les faits se sont déroulés lorsqu’elles étaient encore mineures. Une sur deux avait moins de 11 ans. Une sur cinq moins de 6 ans. « Mon père m’a violée en moyenne 3 à 4 fois par semaine pendant plus de dix ans », témoigne l’une des victimes. A l’âge adulte, un viol sur deux serait un viol conjugal. Seuls 18 % des viols de personne majeure seraient causés par un inconnu. « Le viol qui hante l’imaginaire collectif de nos sociétés patriarcales, celui perpétré sur une jeune femme par un inconnu armé, dans une ruelle sombre ou un parking, est donc loin d’être représentatif de la réalité » précise l’enquête.

Cette étude nationale a été réalisée de mars à septembre 2014 sur 1214 victimes de violences sexuelles âgées de 15 à 72 ans. Dans cet échantillon, 95 % de femmes. Pour Muriel Salmona, cette enquête permet d’« évaluer l’impact des violences sur leur vie et leur parcours de prise en charge ». L’étude, réalisée anonymement, s’axait sur trois piliers : les violences sexuelles subies, le parcours judiciaire, et la santé et la prise en charge médicale.

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Des conséquences inquiétantes

Selon le rapport, plus la victime est jeune, plus les conséquences sur sa vie future sont lourdes : 42 % des personnes interrogées ont déjà tenté de se suicider, parfois plus de dix fois, et 95 % reconnaissent un impact des violences sur leur santé mentale et physique : anxiété, idées suicidaires, automutilation, dépression, phobies etc. 69 % des victimes déclarent subir des conséquences physiques : « Et l’état de stress extrême peut générer des problèmes de tension, des douleurs chroniques, des troubles musculosquelettiques, des troubles alimentaires et des pathologies psychiatriques », déclare Muriel Salmona, psychiatre et psychotraumatologue, Présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, qui déplore un manque évident de soutien proposé aux victimes.

« Le coût humain des violences sexuelles, en particulier celles infligées aux mineurs, est alarmant » poursuit-elle. Cette enquête montre « l’absence de prise en charge adaptée, de protection et de reconnaissance des victimes, surtout les plus vulnérables, alors même que les conséquences sur la santé et la vie affective, familiale et professionnelle apparaissent extrêmement importantes » avant de renchérir « Il s’agit d’un véritable scandale de santé publique et d’une atteinte aux droits des victimes ».

Une prise en charge quasi inexistante

Cette étude était aussi un exutoire pour les victimes de ces violences. Pour l’association, qui décrit cette situation comme une « urgence sanitaire et sociale », « Les victimes interrogées avaient grand besoin de témoigner de l’enfer qu’elles vivent ainsi que de la solitude et de la souffrance dans lesquelles le déni ambiant les emmure ». Car oui, en parler, c’est déjà désamorcer. Bien souvent, trop souvent, les victimes sont confrontées à de nombreux symptômes, dont le sentiment de culpabilité. Et si ce sentiment de culpabilité grandit autant, c’est que le soutien et l’accompagnement manque indéniablement. Seuls 18 % des victimes de viol disent avoir reçu des soins adaptés. Pourtant, une prise en charge peut réduire les troubles psycho-traumatiques que les victimes développent.

Par ailleurs, sur les 1212 victimes interrogées, 380 ont porté plainte (31 %). Parmi ces dernières, « nombreuses sont celles qui déplorent avoir mal vécu le dépôt de plainte » (82 %), relève l’enquête. Lorsque par chance, le dossier va jusqu’au procès, c’est presque pire. 89 % d’entre elles déclare avoir mal vécu le « temps du procès ». « Ce sentiment d’injustice est renforcé par les trop fréquentes correctionnalisations des viols ainsi que par le problème des délais de prescription », écrivent les auteurs – qui militent pour leur allongement. Constat effroyable au centre de cette justice : plus les violences sont assorties de circonstances aggravantes (viol, inceste), moins les victimes ont été protégées par la police, la justice ou leurs proches. Ce sont seulement 4 % des victimes agressées dans l’enfance qui indiquent avoir été prises en charge par l’Aide sociale. Pour le Dr. Muriel Salmona, « Il est urgent que les pouvoirs publics mettent en œuvre les moyens nécessaires pour protéger, accompagner et soigner efficacement les victimes afin d’enrayer le cycle infernal des violences ».

Cette étude tente de faire prendre conscience de l’ampleur de la situation : « Nous appelons les pouvoirs publics à une prise de conscience et à la mise en place d’un plan d’action », souligne Laure Salmona, coordinatrice de la campagne Stop au déni. Malheureusement, nous vivons dans une société qui apprend à ne pas être violé.e. plutôt qu’à ne pas violer. Il faut réagir, c’est indispensable. Si on désespère de ne pas réduire le nombre de viols, il convient cependant d’accompagner au mieux les victimes, pour qui il est déjà trop tard, et qui devront apprendre à se reconstruire après un tel événement.

Journaliste en terre bretonne, je vagabonde entre les pays pour cultiver ma passion de théâtre, de musique et de poivrons (surtout de poivrons). J'essaie tant bien que mal d'éduquer à l'égalité entre les sexes, il paraît qu'on appelle ça le féminisme. J'aime bien les séries télé dans mon canapé et passer des soirées dans les salles obscures. Bref, peut-être ici la seule personne normale.

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