L’Agend’art, c’est la sélection culturelle du mois de Maze. Au programme de ce mois d’octobre : Adèle Haenel à la bourse du travail, Svetlana Alexievitch au Théâtre Gérard-Philippe, et un passionnant documentaire à voir sur Arte.
La guerre n’a pas un visage de femme au Théâtre Gérard-Philippe

En 2015, Svetlana Alexivitch se voyait décerner le Prix Nobel de littérature. Dix ans plus tard, en 2025, elle est à l’honneur sur la scène du Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis. Après des adaptations de films de Fassbinder et Wiseman, Julie Deliquet revient à la littérature avec « La guerre n’a pas un visage de femme ». Dans ce recueil de témoignages paru en 1985, Svetlana Alexievitch retraçait l’expérience de femmes soviétiques durant la seconde guerre mondiale. Au plateau, dans ce qui semble être un appartement décrépit, neuf actrices âgées de 30 à 70 ans incarnent ces femmes ayant vécu les horreurs et les traumatismes de la guerre. Au centre de leurs témoignages, un terrible non dit qui unit toutes ces individualités et qui ne sera dévoilé que bien tard. Un spectacle fort, parfois difficile mais porté par une magnifique troupe de comédiennes qui rend hommage à toutes ces femmes victimes trop souvent invisibilisées des guerres d’hier et d’aujourd’hui.
La guerre n’a pas un visage de femme de Julie Deliquet d’après Svetlana Alexievitch. Jusqu’au 19 octobre au TGP Saint Denis puis en tournée. Durée : 2h. Informations et réservations.
Chloë Braz-Viera
Racines, le beau programme de rentrée du Ballet de l’Opéra de Paris

Pour l’Opéra de Paris, rentrée rime avec renouveau. Sur les trois ballets de ce premier programme de la saison intitulé Racines, deux font leur entrée au répertoire de l’Opéra. La soirée est donc placée sous le signe de la découvert. Et pour cause : trois chorégraphes y explorent les racines de leur imaginaire et de leur travail. La soirée débute par un classique, « Thèmes et Variations » de Balanchine. Une pièce composée sur la musique de Tchaïkovski et qui évoque la formation russe reçue par le chorégraphe américain. Une œuvre à la technique aussi exigeante que rapide, qui représente toujours un défi pour les danseurs parisiens. Le deuxième temps de ce programme est probablement le plus beau : « Rhapsodies » de Mthuthuzeli November. Sur la musique de Gershwin, le jeune chorégraphe sud-africain signe une pièce courte mais enlevée, à la scénographie léchée et dans laquelle les jeunes talents du ballet peuvent faire montre de toute leur virtuosité. Enfin, la soirée se conclut sur une pièce – très sage – de Christopher Wheeldon. Sur la musique de Leonard Bernstein, le chorégraphe anglais puise dans la Grèce antique pour livrer une œuvre ambitieuse et non dénuée d’humour.
Racines, à l’Opéra de Paris (Bastille). Durée : 1h55 avec entracte. Tarifs : 27-140€. Informations et réservations.
Chloë Braz-Viera
Hamlet/Fantômes, au théâtre du Châtelet

Le metteur en scène, dissident russe désormais installé en Allemagne, livre son adaptation très libre du classique Shakespearien. Comme souvent chez Serebrennikov, l’œuvre de base n’est qu’un prétexte à déployer son style débridé. Ce spectacle n’échappe pas à la règle et peu de choses subsistent de la pièce. Ici, Hamlet est joué par plusieurs acteurs, ne dit pas le texte de Shakespeare et parle quatre langues. Que ce soit dans ses films, ses spectacles ou ses mises en scène d’opéra, le metteur en scène russe nous a habitués à l’excès à tous les niveaux. Dans Hamlet/Fantômes, tout est intense. Du montage des textes aux décors et effets scéniques en passant par la direction d’acteurs, tout est excessif. Épuisant ? Problament. Dérangeant aussi et, quelque part, fascinant. Comment ne pas l’être, devant ce spectacle sans concession, et soutenu par une troupe internationale impressionnante. On retiendra notamment la performance de l’acteur allemand August Diehl, que l’on retrouvera bientôt dans La disparition de Josef Mengele, le prochain film de Serebrennikov.
Hamlet/Fantômes de Kirill Serebrennikov d’après William Shakespeare au Théâtre du Chatelet jusqu’au 19 octbre. Durée : 3h05 avec entracte. Spectacle en français, anglais, allemand et russe. Tarifs : 8-79€. Informations et réservations.
Chloë Braz-Viera
Voir clair avec Monique Wittig, au théâtre de la Croix-Rousse

Il faut s’imaginer une forêt, des chouettes et des loups nous invite Adèle Haenel. Accroupie devant un faux brasier en costume gris neutre qui se fond dans la pénombre, l’actrice tient un micro et chuchote, nous invitant à bien nous installer pour cette réunion secrète. Est-ce qu’une réunion qui fait salle comble (et au-delà) peut encore être qualifiée de secrète ? En haut, au balcon, on lui demande de parler plus fort à cause d’une ventilation bruyante. « Ça n’a plus rien de secret » ironise Haenel dans son micro. Des rires fusent. Toute la soirée alternera entre rires et attention sérieuse. À ses côtés, également assise dans le même costume gris, Caro Geryl assure le fond sonore et les transitions musicales à la batterie. On a parfois l’impression d’être propulsé·es dans Les Guérillères, hors du temps entre passé sauvage et futur techno.
C’est un petit évènement qui a secoué la communauté queer : Adèle Haenel vulgarise Monique Wittig au théâtre. Surtout La Pensée Straight, l’ouvrage le plus théorique de l’écrivain dans lequel cette dernière part de son point de vu lesbien, en tant que « membre de la classe des femmes » pour analyser les mécanismes du monde hétéro patriarcal. La pensée de Wittig n’est pas facile d’accès, Haenel suit un fil conducteur, se permettant de temps à autres des petits écarts, piochant dans sa vie des exemples concrets. Se faisant elle réactualise Wittig, la restitue comme un représentant syndical lors d’une réunion. Parce que si Haenel prêche des convaincu·es (et le sait), elle invite à ne pas baisser les bras. Alors vie ou théâtre ? Il faut faire le pari que le discours passera un jour de l’abstrait au concret.
Anaïs Dinarque
En tournée les 24 et 25 novembre au théâtre de la Croix-Rousse. Informations et réservations.
Le sucre, pour la douceur et pour le pire sur Arte

À la conquete du monde, rien n’arrête le sucre. Du Brésil au Cap-Vert en passant par la Louisiane et Haiti, le sucre a été pendant plusieurs siècles le fer de lance du capitalisme : au départ quasi inexistant dans le régime alimentaire des hommes, il est rapidement devenu un produit incontournable de nos assiettes. Denrée de luxe d’abord, puis source d’énergie abordable pour les classes laborieuse, sa marchandisation puis sa propagation aux 18 et 19ème siècle a intensifié les rapports de domination sur tous les continents, esclavage en tête. Et si celui-ci a été peu à peu aboli par toutes les puissances coloniales, cela n’a pas empêché l’industrie sucrière de continuer à exploiter des millions de personnes pour maintenir sa rentabilité, à tout prix.
En deux fois 50 minutes, Le sucre, pour la douceur et pour le pire retrace l’histoire de cette denrée alimentaire en s’appuyant sur des archives et des témoignages saisissants. Le récit est également alimenté par des analyses précises de chercheurs, qui permettent de contextualiser cette chronologie. Si la forme de ce documentaire reste classique, il parvient tout de même, avec une grande rigueur, à raconter l’enfer, passé et présent, des champs de canne à sucre et les inégalités qui découlent de leur exploitation depuis plus de cinq siècles.
Tiphaine Dubuard








