Avec Springsteen : Deliver Me from Nowhere, Scott Cooper signe le premier biopic autorisé consacré à Bruce Springsteen. Le chanteur est incarné par le brillant Jeremy Allen White, dans un film qui dévoile les coulisses de l’album Nebraska.
Bruce Springsteen a 33 ans. Il vient tout juste de terminer une tournée nationale plus que réussie. La suite semble déjà toute tracée : nouvel album, nouveaux concerts. Mais tout n’est pas si rose pour le chanteur à succès, qui lutte contre une dépression bien installée. Une brèche s’ouvre alors dans sa carrière… et de cette brèche naît l’album Nebraska. Pour ce film, Cooper s’est inspiré du livre de Warren Zanes, Deliver Me From Nowhere, paru en 2022.
Maux de l’enfance
Essayer de couvrir la carrière entière d’un artiste semble être un exercice difficile à conquérir, et les réalisateur·rice·s contemporain·e·s l’ont bien compris. A Complete Unknown, le biopic de James Mangold, s’intéressait au passage de la folk au rock de Bob Dylan, sans couvrir l’intégralité de la vie de ce dernier.
Ici, Scott Cooper choisit de s’intéresser à une période de la vie de Springsteen méconnue du grand public. Surnommé le « Boss », Bruce Springsteen n’est pas célèbre pour ses excès et ses temps sombres, à l’instar de certain·e·s de ses contemporain·e·s. Et pourtant, troublé par une enfance difficile, il s’est battu pendant de longues années contre la dépression.
Les scènes de l’enfance de Bruce, tournées en noir et blanc, ponctuent le récit de Cooper. Stephen Graham y incarne avec majesté le père, Douglas Springsteen, alcoolique et abusif. Malade, il ignore ses enfants, crie sur son épouse. Le petit Bruce subit malgré lui ces élans colériques, impuissant.
(Ré)écrire l’histoire
De cette enfance malheureuse naît une grande inspiration, que le chanteur semblait jusque-là avoir mise de côté. Les paroles de l’album en devenir, Nebraska, coulent naturellement de la plume de l’artiste, alors isolé dans une maison du New Jersey.

La mise en scène de Cooper est parfois un peu trop facile, notamment lorsque les séances d’écriture du chanteur sont simplement collées aux dits souvenirs d’enfance qui l’inspirent. D’une maison sur la colline où il jouait avec sa sœur naît, évidemment… « Mansion on the Hill ».
Connu grâce à la série The Bear, où il incarne Carmy, un chef hyperactif, Jeremy Allen White joue ici un Springsteen calme, mais torturé. Dans une sublime maison au bord d’un lac où les saison défilent, le chanteur se plonge dans une mélancolie qui donne un ton très automnal au film.
Le décor de cette maison, studio aménagé, permet au réalisateur de filmer des plans doux, qui mettent l’accent sur les nombreux instruments de musique parsemant les pièces. Les performances vocales de Jeremy Allen White, isolé de tous·tes ou sur scène, participent par ailleurs au réalisme étonnant du film.
La particularité de cet album, à contre-courant du reste de la carrière de Bruce Springsteen, mais finalement très bien reçu par le public, est mise en avant par le réalisateur. Enregistrées seulement avec une guitare et un harmonica, sur un magnétophone quatre pistes, les chansons sont minimalistes, épurées, calmes. Cooper montre le perfectionnisme du chanteur, et sa volonté de garder cet album tel qu’il a enregistré, sans superficialité.
Entourage
Ce film revient également sur la belle relation qui lie Springsteen à son agent, Jon Landau, interprété par Jeremy Strong. Fervent défenseur de l’art de son client et ami, ce dernier le soutient durant cette période délicate. Une relation d’ailleurs rafraîchissante dans le genre des biopics, qui mettent souvent en avant la dure réalité des liens entre les volontés des studios et la créativité des artistes.
Les deux Jeremy sont brillants dans leurs rôles respectifs, et l’amitié de leurs personnages donne naissance à de très belles scènes, notamment dans la maison de Bruce, sublimées par la bande originale du film.

Cette relation amicale est d’ailleurs plus intéressante à l’écran que la liaison amoureuse que Springsteen entretien avec Faye (Odessa Young), fan du chanteur, et mère célibataire. Au début lucide sur la nature de sa relation avec le musicien, elle se perd dans ses illusions et pense pouvoir l’aider à combattre ses vieux démons. En résulte une relation superficielle et peu émouvante à l’écran, qui semble être filmée simplement pour nous mettre en relief le vrai amour de Springsteen : la musique.
Malgré la fenêtre ouverte sur le passé de Springsteen, il manque peut-être dans ce biopic un petit quelque chose en plus pour avoir l’impression de vraiment le connaître. Scott Cooper signe cependant un portrait intime, musical et nostalgique du « Boss », campé par un Jeremy Allen White impressionnant.








