Avec ce nouveau roman graphique, Lessivée, Alison Bechdel retrouve la verve politique de ses débuts, et oscille avec talent entre rire jaune et rire cathartique.
C’est terminé l’autobiographie, qu’elle soit sportive ou familiale, Alison Bechdel passe à l’autofiction. En plus d’avoir le vent en poupe ces dernières années, ce genre littéraire permet des licences poétiques et des écarts avec le réel dont se saisit sans réserve la bédéaste. Son roman graphique à succès Fun Home devient par exemple Mort et Taxidermie adapté non pas à Broadway, mais en série télé sensationnaliste. Dans la fiction encore, Alison vit dans une ferme du Vermont avec sa compagne Holly où elles élèvent des chèvres naines du Pérou. Elle est en panne d’inspiration, et cherche à retrouver un nouveau souffle. Seulement autour d’elle tout part à vau l’eau, de la politique qui glisse vers un fascisme décomplexé aux finances du couple qui ne tiennent qu’à un fil.
Dans Lessivée, un roman comique – titré Spent en anglais, plus polysémique -, on retrouve avec bonheur les personnages et le ton des premiers strips de Bechdel. L’Essentiel des gouines à suivre (Dykes to Watch Out For) suivait le personnage d’Alison et ses ami·es entre 1987 et 2008. Pendant près de vingt ans, la bédéaste a publié dans la revue féministe Womanews ses strips mordants en prise avec la politique conservatrice américaine et les vies mouvementées des membres de sa communauté queer. Aujourd’hui, Alison Bechdel n’a rien perdu de sa fougue, gagnant peut-être en cynisme à mesure que le climat mondial empire. Elle montre aussi – chose encore trop rare -, une communauté queer vieillissante mais heureuse.

L’Essentiel des (vieilles) gouines à suivre
Née en 1960, Alison Bechdel fait partie des boomers et s’en amuse, tournant en dérision ses réflexes pessimistes et ses réflexions de personne dépassée. Son personnage s’agace des réseaux sociaux, tout en aidant sa compagne Holly à filmer ses performances de maniement de hache. Elle déplore les égarements de la scénariste qui a repris et modifié son autobiographie (plaçant parfois des dragons dans l’histoire) tout en démarchant des producteur·ices pour développer sa propre série télé.
Comme c’était déjà le cas dans L’Essentiel des gouines à suivre, le ronron des nouvelles ponctue la BD. Typhon, tsunami, cryptomonnaie, limitations de l’avortement dans certains États… Les nouvelles ne sont plus publiées dans des journaux papiers mais s’affichent sur des écrans d’ordinateurs. Bechdel reprend tous les ingrédients de son ancien strip en y ajoutant un léger décalage avec le réel. Un pas sur le côté qui lui permet de critiquer avec humour la société hétéro-patriarcale et capitaliste. Puisque le monde devient de plus en plus absurde et dissonant, autant y aller à fond, semble-t-elle nous dire.

Pour faire face au chaos des – mauvaises – nouvelles, reste le cocon aimant et comique des ami·es de Bechdel. On retrouve Ginger, prof de fac fatiguée par les coupes budgétaires en relation à distance avec Samia. Loïs, devenu·e une personne assagie à qui l’on demande des conseils en polyamour. Stuart et Sparrow qui tombent amoureux de Naomi et décident avec tendresse et maladresse d’élargir leur couple en trouple. Sans oublier la nouvelle génération représentée par J. R., l’enfant de Stuart et Sparrow, en polycule asexuel avec Badger. Passant d’un couple d’ami·es à l’autre, Bechdel apporte une légèreté bienvenue à son propos. Elle montre aussi qu’à 20, 40 ou 60 ans, les vies sexuelles de ses ami·es restent source de joie. L’autrice de Fun Home et ses ami·es sont certes au bout du rouleau, mais loin d’être au bout de leur inspiration.
Bechdel croque ses contemporain·es pour notre plus grand plaisir : dans ce monde à la situation politique et climatique critique, quelle joie de voir que cette communauté vieillit bien ! Résister, rester queer, poursuivre la bataille culturelle et ne pas se laisser abattre. Tels sont les messages doux-amers de l’autrice, à l’heure d’une nouvelle ère trumpiste.








