LITTÉRATURE

Avec « Toutes les vies », la chanteuse Rebeka Warrior fait le récit d’un deuil impossible

© éditions Stock
Rebeka Warrior © Marie Rouge / éditions Stock

La cofondatrice des groupes Kompromat et Sexy Sushi tisse un récit bouleversant autour du décès de sa compagne des suites d’un cancer du sein.

On connaissait la chanteuse Rebeka Warrior pour son beau duo avec Carla Pallone — le groupe Mansfield.TYA , dont le titre Petite Italie resta un des plus beaux morceaux jamais entendus —, puis pour ses nombreux groupes de musiques, électro, ou électropunk, c’est selon, Krompromat, Sexy Sushi, ainsi que pour son travail de compositrice pour l’audiovisuel — notamment le génial Les Reines du Drame et la très lesbienne série Split, d’Iris Brey.

Cette fois-ci, Julia Lanoë, de son vrai nom, se retourne sur un drame intime avec un premier texte littéraire, Toutes les vies. Aux prémices de cette « autofiction » bouleversante, Rebeka Warrior a la trentaine et la vie devant elle lorsque sa compagne, Pauline, est diagnostiquée d’un cancer du sein. On le sait dès les premières lignes , « Pau » n’y survivra pas. C’est sur cette douleur — à la fois initiatique et insurmontable —, que s’attarde ce récit à la forme fragmentée.

L’histoire avec Pauline avait pourtant commencé comme un conte de fée. Lorsque les deux femmes se rencontrent, c’est le coup de foudre. Amoureuses, elles alternent entre vie parisienne et voyages qui les mènent en Grèce, en Thaïlande, aux États-Unis, au gré des tournées de « Rebeka ». En virée au Mexique, une grosseur apparaît sous le sein de Pauline. Le diagnostic tombera à leur retour en France : cancer, chimio, allers-retours à l’hôpital, « Rebeka » devenue aidante, le désespoir, quelques fois l’espoir, puis le désespoir de nouveau.

S’envoyer en l’air

Structuré en deux parties, le récit ausculte les premiers signes de la maladie et leurs conséquences sur l’équilibre du couple formé par la narratrice et sa compagne. Le témoignage de la chanteuse s’écrit alors dans une prose fracassée, ressérée, parfois aussi incommodante que l’est la maladie elle-même — le rythme, lui, rappelle celui des paroles d’une chanson. L’idée que l’amour serait plus fort que la mort (d’où vient donc ce poncif idiot ?), elle, en prend un coup. Au bout de quelques mois de maladie, le désespoir a tout emporté sur son passage et la narratrice finit par tromper sa compagne. Désespoir qui nous gagne aussi, nous, lecteur : a-t-on jamais été si triste pour quelqu’un que l’on ne connaît pas ?

Deuxième partie, moins convaincante. Pauline est morte et face à la douleur, le langage se transforme. Les mots ici servent à composer des listes à peine compréhensibles. Comme si, après le décès, l’absurde prenais le relai. À moins que les mots servent aussi à mettre un pied devant l’autre. « Jouer d’un instrument / Administration/ Fréquence importante / Complexité  ». En alternant citation de philosophes (mâles, morts, blancs, hétérosexuels), fragments de journaux intimes, et récit, la narratrice raconte tantôt la peine, tantôt les étapes qui jalonnent une reconstruction perdue d’avance.

Drogue, fêtes, une relation foireuse avec une amante (qu’elle finira par menacer avec un couteau de cuisine), une chambre d’hôtel défoncée quelques heures avant un concert, puis de longues virées à l’étranger où « Rebeka » passe ses journées à lire et à prendre de la drogue. Un peu mystique, la chanteuse s’essaie à la méditation, puis vire bouddhiste pour apprivoiser sa peine. Mais même bardée de tous ces rituels, peut-on survivre à la mort de l’être aimé ? Pas sûr, si l’on en croit le fin mot, déchirant et sans appel, de ce terrible voyage : « Mon Dieu que c’est triste ». Pas mieux.

Toutes les vies, de Rebeka Warrior, aux éditions Stock. 20,90 euros.

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