Deux films de la cinéaste française Marie Losier sont programmés dans le cadre du cycle Outsiders : rebelles, excentriques, visionnaires. Organisé par la Cinémathèque du Documentaire de la BPI, le cycle est en cours jusqu’au 13 juillet au Forum des Images.
Qui connaît le travail de Marie Losier, sait son goût pour les marges qu’elle filme depuis plus de vingt ans. À travers ses films tels que Cassandro the Exotico, ou The Ballad of Genesis and Lady Jane, la cinéaste met en avant une certaine théâtralité des êtres et des corps. Chez Losier, le·a marginal·e est celui ou celle qui repousse les limites de l’invention de soi et de la création. Deux de ses films, The Ontological Cowboy et Barking in the Dark, se retrouvent donc naturellement programmés dans le cadre du cycle Outsiders : rebelles, excentriques, visionnaires, sous l’impulsion de la critique Olivia Cooper-Hadjian. Deux films réalisés à vingt ans d’écart – 2005 et 2025 -, qui rendent hommage à une culture avant-gardiste américaine, de New York à San Francisco.
The Ontological Cowboy : l’aventure théâtrale de Richard Foreman
The Ontological Cowboy (2005) est un portrait de Richard Foreman, créateur du théâtre avant-gardiste ontologique et hystérique (ontological hysterical theater). Décédé en janvier 2025, Foreman était une figure importante de la scène culturelle et avant-gardiste new yorkaise. Il débute notamment sa carrière aux côtés du cinéaste expérimental Jonas Mekas, et n’aura cessé de creuser son sillon underground en mettant en scène des pièces de théâtre qui prennent le contre-pied du modèle Broadway.
Le film permet une porte d’entrée dans l’espace mental du metteur en scène, que l’on entend en voix-off. Richard Foreman y parle du théâtre et de sa charge érotique, du processus créatif et de l’identité. Il évoque notamment son adoption, et l’impact que cela a laissé sur son existence. C’est peut-être cet aspect qui est le plus saisissant du film : comment l’on devient un outsider par rapport à soi-même.
Foreman rappelle que l’on aurait toujours pu être quelqu’un d’autre. À ce titre, il évoque le nom qui lui a été attribué à la naissance, Edward Friedman. Le théâtre permet ainsi d’embrasser pleinement cette inconsistance ontologique. Il permet de faire sa mue, de se réinventer, et de dépasser l’identité à laquelle l’on a été assigné·e. Celle-ci est comme un costume que l’on endosse, jamais totalement figée, mais mouvante. L’on peut se saisir alors comme un personnage, comme un cowboy – qui donne son titre au film. À la fois une personne réelle et une fiction.
A l’image, l’on voit certain·e·s membres de la troupe de Foreman, aux côtés de celui-ci, filmé·e·s par la cinéaste. Le monde représenté à l’écran est celui d’un pantomime. Un monde fait de gesticulations et d’artifices. Le monde réel se déforme ainsi presque totalement, débarrassé de ce qui le constitue habituellement.
Barking in the Dark : portrait cryptique de The Residents
Le deuxième film programmé, Barking in the Dark (2025), est un documentaire sur le groupe The Residents, basé à San Francisco. Un groupe de rock avant-gardiste, qui a connu son essor dans les années 70 et maintient l’anonymat de ses membres depuis ses débuts.
Héritier du dadaïsme, The Residents est un projet hybride qui mêle expérimentation musicale, technologique et performance. Les membres du groupe arborent tous un globe oculaire en guise de costume. Une façon pour eux de pointer du doigt le régime d’hyper-visibilité dans lequel baignent les artistes. Cette distance critique caractérise leur démarche et leur musique, qui n’a cessé de se fabriquer dans un geste réfléxif, voire méta.
La conception esthétique et graphique du groupe est passée en revue avec l’ancien manager et directeur artistique Howard Flynn, qui se présente ici comme l’archiviste du groupe. Flynn nous montre de nombreux goodies et témoigne ainsi du goût prononcé des Residents pour le marketing. Un monde d’artefacts qui cristallise la nature cryptique du groupe, qui se diffracte à travers différents objets. À défaut de révéler leur véritable identité, le groupe n’aura cessé d’étoffer son univers esthétique et plastique. Le film est entrecoupé d’images d’archives et d’extraits de clips et de concerts, qui témoignent de ce foisonnement créatif.
Chez Marie Losier, l’outsider est celui ou celle qui renverse l’ordre du monde. À travers ces deux films, la cinéaste nous offre une porte d’entrée dans des univers où la créativité est mise au service d’une aventure expérimentale débordante, qui transcende les assignations.
Les films The Ontological Cowboy et Barking in the Dark seront diffusés le 6 juillet prochain au Forum des Images dans le cadre du cycle Outsiders : rebelles, visionnaires, excentriques, qui se tient jusqu’au 13 juillet. Le programme complet est à retrouver sur le site de la BPI.
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