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Les Filmeurs – Cinéma et terre normande

© Les Filmeurs

Depuis plusieurs années, le festival des Filmeurs a lieu à Conteville, dans l’Eure, afin de diffuser des films à destination des campagnes normandes. Pour cette douzième édition, nous avons pu interviewer Emmanuel Broche, l’un de ses organisateurs.

Est-ce qu’un public particulier est ciblé, ou le festival des Filmeurs est-il vraiment destiné à tous·tes ?

Les Filmeurs est un festival qui se tient bien sûr pour tout le monde, mais qui se destine particulièrement aux publics des environs. L’objectif est d’amener la culture – qui n’est pas réservée à une sorte d’élite bourgeoise parisienne – dans nos campagnes. À travers notre programmation, nous voulons montrer que le cinéma est aussi accessible dans des territoires ruraux, et susciter un vif intérêt chez des personnes aux sensibilités variées.

Ce qu’il nous manque, ce sont les «  codes  » de la culture. Le festival a pour objectif de les insuffler, afin que nous n’ayons pas seulement un accès à la culture en zone rurale, mais une proposition d’excellence de ces créations culturelles. Et, en campagne, la culture est la même que partout ailleurs. C’est celle qui nous fait réfléchir sur le désordre du monde. Alors, évidemment, le but n’est pas de faire venir tout Paris – ça ne nous intéresse pas. Non, c’est plutôt de faire venir tout Pont-Audemer, tout Honfleur, tout Beuzeville. 

Quel format de films proposez-vous à visionner ?

Pour faire simple, on prend tout ce qui « fait » cinéma. Cela correspond aux films dont la dimension poétique est purement cinématographique, et suffisamment puissante pour nous faire vibrer, et nous faire réfléchir sur l’état du monde. Les films peuvent être des courts-métrages de fiction, des courts-métrages documentaires, ainsi que des longs-métrages – de fiction ou documentaires, également -, des moyens-métrages. Les productions peuvent provenir de tous les pays.

Il n’y a que deux règles. Le film doit être suffisamment fort cinématographiquement parlant, et l’auteur doit être vivant, pour venir pour les accompagner en personne. Il y a bien des exceptions puisque, parfois, l’on fait venir un·e auteur·ice, et l’on lui donne une carte blanche pour diffuser le film de son choix, y compris celui d’un·e cinéaste mort·e ou absent·e.

Comment choisissez-vous les artistes parmi celles et ceux qui se proposent ?

En réalité, c’est plutôt nous qui allons les chercher. Il y a toujours un appel à films, que l’on réduit aux courts-métrages, en l’occurrence. Nous faisons cela bénévolement, et regarder chaque film qui nous est envoyé est trop chronophage. Cet appel à films sert à laisser la porte ouverte à la «  perle rare  ». Notre festival est aussi là pour donner de la place – si le film est bon, bien entendu – à des cinéastes qui n’ont pas de production, ou de distribution. Nous leur laissons cette place, car nous sommes conscients qu’il y a des «  petits Rimbaud  » à droite et à gauche.

Cependant, de manière générale, c’est nous qui allons chercher des films à travers notre réseau de connaissances, d’amoureux·ses du cinéma, pour aller glaner les pépites qui passent. Nous sommes tout un réseau de cinéphiles qui regardons des films toute l’année. Parfois, l’on en voit un où l’on se dit : « Il correspondrait bien aux Filmeurs  ». À partir de là, nous essayons de joindre l’auteur. Si l’on y arrive, et s’il peut être présent, nous lui proposons de diffuser son film. Nous ne cherchons pas non plus nécessairement l’actualité. Cela peut arriver que nous passions un film qui vient de sortir, mais l’on ne court pas après.

Vous créez aussi des courts-métrages pour le festival. L’un d’entre eux a notamment été réalisé avec des élèves du lycée Jacques Prévert (Pont-Audemer). Pourriez-vous parler de ces initiatives ?

Le festival est, en quelque sorte, la partie visible de l’iceberg. En parallèle, nous entreprenons un certain nombre d’actions, dont la finalité est d’être intégrées au festival. Par exemple, nous filmons des portraits de figures locales, avec de jeunes étudiant·e·s, ou alors des personnes plus confirmé·e·s. Nous organisons également des résidences d’écriture cinématographique. De plus, nous proposons à des publics variés de venir chez nous, afin d’écrire des scénarios en bénéficiant de l’accompagnement d’un·e professionnel·le. Nous intervenons aussi dans les écoles, afin de proposer des ateliers d’éducation à l’image. Il nous arrive de recevoir des subventions pour mettre en place des projets ponctuel : un court-métrage avec une association, par exemple.

Cette année, nous avons reçu de l’argent pour fabriquer un court-métrage avec une association. Seulement, la présidente est tombée malade, et le projet est tombé à l’eau. Nous avons alors demandé à la DRAC – l’organisme des subventions – si l’on pouvait transférer cet argent sur un autre projet. Cela a été accepté. Nous avons décidé de faire un court-métrage avec des élèves du lycée Prévert, mais en dehors du lycée. L’établissement nous a donné tous les accords, mais nous étions indépendant·e·s.

Ainsi, nous avons pu réaliser faire ce court-métrage avec une certaine liberté, puisque nous étions en-dehors de la structure scolaire stricto sensu. Nous avons travaillé le mercredi après-midi, lorsque les élèves étaient libres. Produire un film avec les jeunes générations est une forme d’extra que l’on aimerait pouvoir entreprendre plus souvent. Pour nous, il est capital de faire participer les jeunes. 

Combien de temps l’organisation du festival vous prend-elle ?

Entre les demandes de subventions, la construction du festival, la logistique, cela varie d’une année à l’autre. En juillet, nous faisons le bilan du festival. Nous prenons une pause entre fin juillet et fin août. Et début septembre, l’on repart aussitôt.

Y a-t-il un film de la programmation 2025 à la suite du visionnage duquel tu as pensé qu’il était nécessaire de le recommander ?

Nous défendons tous les films que nous proposons, bien sûr, sans faire de préférence. Nous trouvons chacun d’eux formidables, dans le sens où ils sont forts, cela pour différentes raisons. Par exemple, Le boxeur chancelant, que l’on diffuse le dimanche 6 juillet au matin, est réalisé par un auteur, Lo Thivolle, qui fait ses films dans son coin, et qui n’a rien à voir avec le système. Et cela, c’est quelque chose que l’on défend particulièrement. Nous sommes très heureux quand nous trouvons des films comme celui-ci, de très grande qualité, et complètement en dehors des sentiers battus. C’est merveilleux. Celui-ci, c’est un film que je défends particulièrement.

Après, cette année, nous avons aussi la chance de compter Guillaume Brac parmi nos invité·e·s. Avec lui, l’on est assuré·e d’avoir des films de grande qualité, qui portent souvent sur la jeunesse, et qui sont surtout très légers. C’est donc beaucoup plus facile à suivre, plus accessible, et très agréable à regarder. Ce sont des films dans lesquels l’on peut immédiatement se retrouver. Il n’y a pas beaucoup de travail à faire, pendant le visionnage, pour pouvoir l’apprécier. Et puis, l’on a aussi des films comme Soy Libre, de Laure Portier, qui sont extrêmement puissants. Ce sont de très grandes œuvres. Alors, entre un film de cette envergure, assez austère, plutôt complexe, et des films plus légers, nous couvrons tout le panel. 

Tu as dit vouloir apporter la culture dans la campagne normande. Le festival propose-t-il seulement des films, ou y a-t-il d’autres formes d’art ?

Nous diffusons des films. Nous les montrons à un public qui n’est pas nécessairement averti. C’est un public de curieux·ses, mais de néophytes. Nous adoptons donc un rapport particulièrement pédagogique avec les films. Nous les présentons avant, pour que les spectacteur·ice·s ne soient pas perdu·e·s par l’œuvre et puissent l’apprécier autant que possible.

Pour aider à cette présentation, nous faisons en sorte que l’environnement soit le plus sympathique possible. C’est champêtre : il y a de la nourriture, un bar, c’est peu cher. Nous organisons aussi des petits concerts. L’atmosphère est ainsi détendue, joyeuse, agréable, et permet d’amener nos spectateur·ice·s, à un moment donné, vers quelque chose de plus difficile. Cette ambiance, qui se propage autour de ces œuvres poétiquement supérieures, est essentielle à notre festival.

Le 12ème festival des Filmeurs se tiendra du 1er au 6 juillet. La programmation est disponible sur le site.

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