LITTÉRATURE

« Sororité » – Œuvre de réconciliation

© Editions Payot
© Editions Payot

Dans son essai Sororité, la penseuse bell hooks dessine les chemins pour panser les plaies de la domination, réelle entrave à la santé psychique. Un nouvel essai de cette autrice traduit et paru aux éditions Payot.

Seule, la volonté personnelle ne peut suffire à changer les choses. bell hooks rappelle encore et encore la nécessité de comprendre et d’affronter les structures sexistes et racistes de notre société. Elle en appelle à une double lutte  : libération noire et lutte féministe. Gloria Jean Watkins (1952-2021) a toujours publié sous le pseudonyme de bell hooks – écrit tout en minuscules. Ce nom est un hommage à l’une de ses aïeules et une manière de ne pas dissimuler ses textes derrière un nom majuscule.

Enseignante autrice et militante, elle est née dans le Kentucky aux États-Unis, régi par la ségrégation. Elle étudie l’anglais et notamment l’œuvre de Toni Morrison, avant de devenir professeure d’Université. Figure majeure du black feminism, elle forge une théorie qui montre l’imbrication des différents niveaux d’oppressions et ce, avant que Kimberlé Crenshaw n’invente le terme d’intersectionnalité.

Elle écrit de la poésie, des récits autobiographiques (Noir d’os ou Rouge feu) et de nombreux essais. Le premier est paru en 1981 avec pour titre, Ne suis-je pas une femme ?. Elle aborde le racisme inhérent au mouvement féministe et le manque de considération de la corrélation des oppressions. Il y a trente ans, elle publie Sororité – Guérir des blessures psychiques infligées par la domination, qui vient d’être traduit en français par Pauline Tardieu-Collinet, Louise Cabannes et Leslie Talaga. Dans son livre, bell hooks dédie sa pensée à la recherche d’une voie de la guérison collective. Elle l’adresse aux « femmes noires et [à] toutes les autres personnes souhaitant mieux nous connaître, voire mieux se connaître ». 

Le soin, une affaire intime et politique

Face à des violences et des injustices systémiques, il faut passer par une mobilisation qui soit collective. L’accomplissement personnel doit s’articuler avec la lutte politique. Contre la dévalorisation systématique et le backlash, elle montre la voie de la contestation en vue de la liberté. Selon elle, il est crucial d’engager un travail personnel, de soigner ses propres blessures pour mener une lutte commune. Libération personnelle et accomplissement individuel doivent se faire en parallèle.

Pour bell hooks, guérir consiste à prendre conscience d’une douleur. Si la maladie mentale vient du brouillage des non-dits, la guérison passe d’abord par la reconnaissance de toutes les causes de la douleur : sexisme, racisme, exploitation de la classe, homophobie soit toutes formes de domination. Sortir du déni, c’est d’abord essayer de dire les expériences qui ont été traumatisantes, prendre conscience de l’autodénigrement et travailler à ne plus refouler certaines émotions.

Il est essentiel que les personnes noires se parlent entre elles, que nous parlions avec nos ami·es et nos allié·es, car le fait de raconter notre histoire nous permet de nommer notre douleur, notre souffrance, et de chercher la guérison.

Sororité – bell hooks

Cet essai entremêle la pratique et la théorie. Alors qu’elle enseigne à l’Université, bell hooks prend conscience de la souffrance de ses étudiantes et met en place des groupes de parole, les « Sœur de l’igname ». Ce nom fait référence à un aliment symbolique de la diaspora. Si ce groupe a une visée thérapeutique, il agit aussi comme révélateur des souffrances structurelles qui assaillent ses étudiantes noires. 

Ainsi, elle convoque dans son essai aussi bien son existence que celles des autres. Elle mêle ses difficultés et questionnements à des références, à des lectures et à des témoignages recueillis. Elle raconte comment au sein de la communauté noire du sud, le récit des guérisseuses a un fort impact autant que la présence de la spiritualité. Son propos avance ainsi en citant précisément des passages importants de films, de chansons ou de livres. On croise par exemple Alice Walker ou Audre Lorde.

En luttant contre le patriarcat, le mensonge et l’addiction, bell hooks cherche la voie d’une guérison collective qui passerait par un art de l’amour, une lutte militante sans hiérarchie et la nécessité de proposer d’autres représentations de la féminité noire. 

Dans la mesure où je consacre ma vie à tenter de mettre fin à la domination, je contribue à transformer le monde de façon à ce qu’il devienne ce lieu plein d’amour dont je rêve.

Sororité – bell hooks

Sororité de bell hooks, traduit par Pauline Tardieu-Collinet, Louise Cabannes, Leslie Talaga, Payot, 240p., 20euros.

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