LITTÉRATURE

« Julian » – D’amour et de deuil

© Editions La Croisée
© Editions La Croisée

Lorsqu’elle perd sa femme en 2018, Fleur Pierets voit son monde s’écrouler. Elle écrit cependant Julian, pour que leur travail et leur amour subsistent.

En 2017, Fleur Pierets et sa compagne Julian Boom projetaient de se marier symboliquement dans les 22 pays dans lesquels le mariage pour tous·tes était autorisé. À leur grand enthousiasme, le programme (nommé The Project – 22) s’étoffait à mesure que les mois passaient et que le projet murissait. Entre la première étincelle de l’idée et sa concrétisation, quelques pays s’étaient en effet ajoutés à la liste. Les États-Unis, les Pays-Bas, la Belgique, la France ont été les quatre premières destinations choisies par le couple.

À Paris, le projet artistique et militant vacille. Julian souffre de maux de têtes de plus en plus aigus qui la fatiguent. Après examens, les médecins découvrent des tumeurs au cerveau. On leur annonce qu’il est trop tard pour faire quoi que ce soit, qu’à ce stade une guérison est impossible. En à peine quelques semaines, la vie de Julian et Fleur bascule. Julian est un livre d’amour et de deuil.

Ce qui me frappe dans le deuil, c’est que toute forme de sentimentalisme est pardonnée. Par moi comme par les autres. […] Dans le deuil, tout est permis. Même les métaphores les plus pathétiques restent très en deçà de la réalité.

Fleur Pierets, Julian

Écrire le deuil

Il y a dans Julian un mélange d’âpreté et de douceur, comme si Fleur Pierets décrivait deux faces d’une même pièce. D’un côté elle parle de la beauté de leur relation : une vie de rire, d’admiration réciproque, de complicité entière, de bouillonnement intellectuel et créatif. De l’autre, elle transcrit la fin en détail : les souffrances, les bandages, les soins, les adieux que l’on ne conçoit pas. Le livre est âpre, parce que Fleur Pierets y décrit la mort lente, douloureuse et injuste de celle qu’elle aime. Le livre est doux, parce qu’elle redonne tout son éclat et son relief à sa compagne.

Julian est aussi un livre réflexif. L’autrice interroge la place de l’art, le rôle de l’écriture, l’utilité de la lecture. Comme pour conjurer sa solitude, elle cite à foison mais jamais gratuitement. L’année de la pensée magique de Joan Didion côtoie le Journal du deuil de Roland Barthes et les musiques de l’album Ghosteen de Nick Cave. Les mots des autres sont des béquilles pour elle. Ceux de Leonard Woolf et Vita Sackville-West à la mort de Virginia Woolf, ceux d’Annie Lebovitz à la mort de Susan Sontag, ceux de David Wojnarowicz à la mort de Peter Hujar, ceux de Gloria Joseph à la mort d’Audre Lorde. Chaque nom est une petite forteresse, un réconfort autant qu’un cri de solitude. Une solitude parmi d’autres solitudes, du point de vue de celle qui reste.

J’enchaîne les idées de séries de photos et j’ai déjà plusieurs projets en cours. Comme si je pouvais la prolonger par ce moyen. Peut-être n’est-ce qu’un pas à franchir pour lui donner vie à travers l’écriture et les photomontages. […] Je dois me remettre en quête de la beauté pour triompher de la réalité. Je suis une moitié et personne ne la remplace. Il va me falloir devenir entière à partir de moi seule.

Fleur Pierets, Julian

Julian de Fleur Pierets, traduit du néerlandais (Belgique) par Françoise Antoine, éditions La Croisée, 288 p., 22€

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