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CANNES 2025 – «  Enzo  »  : Les impasses de l’universalisme

© Ad Vitam

QUINZAINE DES CINÉASTES – Comme l’an passé, la Quinzaine a ouvert sa sélection par un film posthume. Cette année avec Enzo, un film de Laurent Cantet, décédé en avril 2024, et finalement réalisé par son ami, Robin Campillo.

Article initialement publié le 17 mai 2025, lors du 78e Festival de Cannes

Enzo (Eloy Pohu) a 16 ans. Il est apprenti maçon, et travaille sur un chantier de La Ciotat. Mais il apparaît vite comme un corps étranger au milieu de ses camarades de travail. La caméra de Robin Campillo filme, dès les premières images, ses mains abîmées par l’ouvrage. Vlad (Maksym Slivinskyi), son mentor, l’engueule. Il retarde tout le monde, et puis, il est bête ou quoi  ? Il faut mettre ses gants, c’est important de protéger ses mains quand elles sont notre outil de travail.

Ce plan, suivi, d’un insert sur le ciel bleu brûlé de la lumière d’un soleil omniprésent, donne le ton. Enzo, est un film-fantasme de plus de la classe bourgeoise sur la lutte des classes, et sur les conditions de ce qu’elle appelle le « vivre-ensemble  ».

Car Enzo est fils d’une ingénieure et d’un prof de maths. Il habite une belle villa aux larges baies vitrées, bordée d’une piscine à débordement, sur les hauteurs de La Ciotat. «  Décrocheur scolaire  », il souhaite s’extraire de sa classe sociale en exerçant un métier manuel, dont le produit dure dans le temps.

Mais sur le chantier, donc, Enzo est lent. S’il s’accroche, c’est surtout pour donner tort à son père qui s’inquiète de voir son fils «  se détruire  » devant ses yeux. Par sa trajectoire sociale de transfuge de classe inversé, Enzo incarne le fantasme d’un vivre-ensemble qui se ferait par-delà les classes, qu’elles soient de genre ou sociales, et par delà les frontières. Car Enzo se lie d’amitié avec deux ouvriers d’origine ukrainienne, rappelés pour combattre pour leur patrie. L’amitié et la naissance du désir – homosexuel – poussent Enzo à envisager un monde sans frontières. Oui, il s’enrôlerait dans l’armée si c’était pour être aux côtés de Vlad.

Et alors que la caméra de Robin Campillo s’attache à suivre les errements émotionnels et psychologiques de ce gamin du reste attachant, l’on s’étonne de voir projeté sur lui ce vœu d’un universalisme complètement dépolitisé.

Faire commun

De ce point de vue, la plus grande réussite du film tient en l’écriture des personnages entourant Enzo. Incarné par un Pierfrancesco Favino tout en humilité, le père n’est pas ici une figure autoritaire, mais inquiète. La mère (Elodie Bouchez) est empathique, mais pas surprotectrice. Les deux parents adoptent la juste distance par rapport à leur fils, ainsi qu’à son métier. En fait, la famille d’Enzo est tout, sauf dysfonctionnelle. Mais elle connaît sa place dans le grand échiquier social. Tout comme Vlad, qui vient, par touches, rétablir la distance – qu’elle soit d’âge, de classe, ou de nationalité – qui le sépare d’Enzo.

L’influence de ces personnages sur la trajectoire d’Enzo esquisse une idée politique bien plus intéressante, mais malheureusement pas explorée par le film. Le «  vivre-ensemble  », si cher à une certaine partie de la classe bourgeoise, passe par la reconnaissance du fait que la société est composée de groupes sociaux hétérogènes, aux problématiques spécifiques, et qui doivent être considérés en conséquence. « Vivre-ensemble », ou plutôt « faire commun », c’est la petite mosaïque que Vlad et Enzo tentent d’assembler comme un puzzle à partir de morceaux aux formes différentes, sur un chantier.

Et le soleil, omniprésent dans le film, se charge de nous le rappeler. Implacable, le soleil l’est. Mais seulement pour les camarades de travail d’Enzo. Il écrase leurs corps, les use, et ralentit leur travail. Pour sa famille, il est au contraire, un appel au loisir, à la détente, à la baignade. Même le soleil ne brille pas pareil pour tout le monde.

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