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Rencontre avec Miossec : « C’est jubilatoire de reprendre la scène »

© Site officiel de Miossec
© Site officiel de Miossec

Avant son concert à La Nouvelle Vague, nous avons échangé avec Miossec pour son très bel album intitulé Simplifier.

Ce n’est pas la première rencontre avec Christophe Miossec. Cette fois-ci, l’échange se fait au téléphone en amont du concert à Saint-Malo. Le réseau est capricieux, les mots ont du poids et les rires émeuvent. On imagine la pluie qui glisse sur les fenêtres de sa maison bretonne. Le « tendre granit », pour reprendre l’expression d’Alain Bashung, nous accorde du temps. Cela fait plus de trente ans que Miossec vit avec nous, comme un partenaire de la mélancolie.

Le dernier album, Simplifier, est réalisé dans une remarquable sobriété. Trois personnes, pas plus. Une boite à rythme, des guitares et un synthétiseur. On a l’impression de retrouver l’artiste des débuts. Et puis, il y a les fantômes qui hantent le disque, les expériences amoureuses qui peuvent fracasser. Sur scène, Miossec est généreux, taquin et l’alchimie avec les musiciens porte le dernier disque et les morceaux incontournables. Rencontre suspendue à un coup de fil.

Il y a six ans, nous nous sommes retrouvés à Saint-Malo pour évoquer l’album Les rescapés. Je te cite  : «  En 25 ans, j’ai vu beaucoup de gens arrêter la musique, donc c’était un privilège de pouvoir encore la partager sur scène. Pour autant, rescapé ne signifie pas que tout va pour le mieux.  » Comment ça va, aujourd’hui  ?

Je vais bien. C’est jubilatoire de reprendre la scène, malgré l’absence de manque. On mesure la chance que l’on a quand on a failli perdre totalement la voix. J’ai cru que c’était plié, mais curieusement ce n’est pas ce qui me bouleversait le plus. La retraite à 60 ans, j’ai toujours été pour (rires).

Nous avions évoqué un autre Christophe, qui nous a quittés à Brest l’année suivant l’entretien. C’est une ville qui porte et qui emporte.

On avait parlé de Brest avec Christophe. C’était quelqu’un qui était tout le temps dehors. Il m’avait dit qu’il était bien à Tanger et dans le Sud de la France. Il voulait faire un tour à Brest mais cette opportunité a été la dernière. Quand il avait chanté Les mots bleus dans l’émission Thé ou café, c’était dinguo, surtout à cette heure-là du matin. Quand tu es gamin, dans la voiture familiale, cette chanson te transperce le cœur.

Qu’est-ce qui te stimule à Brest ?

Je suis à côté de Brest, c’est donc moins dangereux…

Ton ingénieur du son pour cet album, Paul Le Galle, est un autochtone. Comment s’est opérée la rencontre  ?

C’est le chanteur du groupe Mamøøth et ça envoie grave. Paul est un chouette mec et je savais qu’avec lui, il y aurait une alchimie. C’est un gars qui s’intéresse, tout simplement.

Un Brestois s’est glissé dans ton travail, c’est le photographe Vincent Gouriou qui réalise le clip de « Tout est bleu ». Il semble collé au rythme de la chanson avec ces images qui renvoient à des photographies qui s’animent. Si le noir vient régulièrement habiter notre esprit, quel est le bleu qui t’accroche à cette chambre dans le clip  ?

Ce qui est drôle avec l’histoire de ce clip, c’est que ça n’en était pas un au départ. C’est Vincent qui avait tourné des vidéos pour son site et, un soir, je naviguais en ligne et ces images m’ont interpellé. Vincent a donc poursuivi cette série pour finaliser le clip. Dans un premier temps, il avait inséré une autre musique sur cette image et « Tout est bleu » est venue se déposer sur cette matière.

Quel rapport entretiens-tu avec les clips ?

J’en fais deux par disque, généralement. Je ne suis pas sûr des clips, ce n’est pas quelque chose que je regarde. J’écoute la musique.

Simplifier, ce beau titre d’album fait écho aux verbes choisis pour les premiers albums. Est-ce que le temps permet d’atteindre l’épure ?

Probablement, parce que je me sens pousser au cul par l’âge. Le temps permet d’assumer ce que l’on fait, de maquetter à la maison avec une boite à rythme comme à mes débuts. J’ai composé les guitares et les basses ensuite.

Il y a des fantômes qui traînent dans ce disque, comme celui de Gerald Thomassin, un acteur passé chez Jacques Doillon avant d’être accusé d’homicide. Il disparait en 2019 et personne ne sait ce qui lui est arrivé. C’est le grand livre de Florence Aubenas qui t’a donné envie de lui consacrer une chanson  ?

Le bouquin est assez passionnant mais je connaissais déjà le personnage par les chroniques de Florence Aubenas dans Liberation. Cette histoire est vraiment touchante et le gars était vraiment un sacré loustic quand on se penche de près sur son cas. Je ressens une certaine forme d’empathie. Le milieu du cinéma est vraiment quelque chose de repoussant à mes yeux.

Tu as joué dans plusieurs films dans les années 2000 et 2010. Faire l’acteur, c’est quelque chose qui t’intéresse toujours ?

Je n’ai pas beaucoup de demandes. Me retrouver sur un tournage avec beaucoup de monde, il faut vraiment que ce soit une bonne ambiance pour m’embarquer. J’ai tourné dans le dernier film de Gustave Kervern (Je ne me laisserai plus faire) pour Arte mais j’ai été coupé au montage (rires). Je devais tellement être éblouissant que ça aurait nui au cinéma.

« Mes disparus » est une ode aux fantômes. Ceux qui nous hantent sans être vraiment là. Avec qui danses-tu le soir  ?

Aujourd’hui, le cimetière est très grand. Quand je composais l’album, j’avais une très belle vue derrière la vitre. J’avais l’impression qu’il fallait la payer d’une certaine façon, comme un ouvrier qui se fait du mal pour produire quelque chose.

« Mes disparus », c’est aussi un éloge de la solitude. Faire un album dans son coin, c’est un bon prétexte pour se retrouver seul. C’est assez dingue de passer plusieurs journées sans voir personne.

Cela me rappelle le titre de la première chanson de 1964 qui est sorti il y a 20 ans. Ce premier titre s’intitulait « Je m’en vais ». C’était curieux de démarrer un album sur un départ. Dans « Mes disparus », tu chantes  : «  Je monte au paradis, je suis bien tout là-haut, mieux qu’avec vous ici  ». Vieillir, c’est un accélérateur de mélancolie  ?

Je ne sais pas. C’est surtout l’état dans lequel on est au moment où on joue de la guitare, par exemple. On se met dans un état pour pouvoir faire des chansons. Cet état que l’on va chercher n’est pas forcément celui que l’on a au réveil. Si j’écrivais à ce moment-là, les textes seraient différents.

Les instruments utilisés permettent de donner de l’air à ces thèmes. Le synthétiseur est présent sur beaucoup de morceaux. Qu’est-ce qui te plaît dans cet instrument de musique  ?

C’est une pédale qui me permet de générer un effet Larsen et ces sons qui évoquent un synthé proviennent en réalité des guitares. Je me régale à jouer dans ce registre.

Dans le texte de présentation de l’album, tu parles d’une écoute intensive du hip-hop, est-ce que tu as des artistes en tête qui ont pu t’influencer sur la texture du son  ?

Ce que j’aime particulièrement, c’est la simplicité. La rythmique est souvent géniale et cela tient parfois à peu de choses. Je pense à des morceaux de Mac Miller, par exemple.

Et dans le rap français ?

J’ai écouté le dernier disque de Vald et ça me parle. On a besoin de personnalités comme lui.

Le dernier et très beau morceau de l’album de Vald s’intitule « Paradis Perdu ». On revient à Christophe.

Evidemment. Une belle thématique.

J’aime beaucoup le texte de la chanson « Le fruit ». À y regarder de plus près, le fruit, probablement la pomme, est souvent rattaché à une valeur positive. Ici, c’est la destruction d’une relation à deux. Tout aspirer de l’autre pour ne rien lui laisser. Qu’est-ce qui a inspiré ce texte  ?

C’est un carnage (rires). C’est quand même quelque chose de côtoyer le beau et d’en sortir dans un sale état. Ce sont des expériences qui nourrissent nos vies et nos productions. On repense aux personnes qu’on a pu anéantir alors qu’on souhaitait le contraire.

Je suis arrivé au monde l’année de ton premier disque, en 1995. Qu’est-ce que tu aurais envie de dire à quelqu’un de trente ans ?

Whaou, je ne pense pas qu’on soit de bon conseil. Dans l’humanité, je pense vraiment qu’il y a un avant et un après les écrans. La société me semble davantage morcelée et les gens se retrouvent dans des îlots. Il n’y a pas de marche arrière possible sur ce sujet. En arrivant à mon âge, je pensais devenir jaloux des jeunes. Je ne ressens pas de jalousie parce que je n’aimerais pas avoir 30 ans aujourd’hui. On est dans un contexte politique délirant en plus de tout ça.

Il y a six ans, je te soumettais mon envie de te voir passer à l’écriture fictionnelle, au roman. Où en es-tu aujourd’hui  ?

Il y a un projet avec un copain photographe pour qu’on sorte un bouquin ensemble. Je ne me vois pas dans une forme romanesque mais écrire des textes qui accompagnent des photos, c’est quelque chose qui m’intéresse. C’est un peu comme une écriture fracturée.

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