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Rencontre avec La Flemme : « La fête, c’est pas seulement s’amuser. Il y a une part de mélancolie derrière l’euphorie. »

La Flemme © Lenaic Lannoy
La Flemme © Lenaic Lannoy

Ils s’appellent La Flemme, mais ne vous y trompez pas : sur scène comme en studio, le quatuor marseillais déborde d’énergie.

Formé autour de Jules (chant, guitare, synthé), avec Stella à la basse et au chant, Ronie à la guitare et aux chœurs, et Charles à la batterie, le groupe bouscule les codes du rock avec une intensité brute et des mélodies entêtantes. Une formation soudée, qui fait de la scène son terrain d’expression privilégié. Entre garage nerveux, psyché planant et pop mélancolique, leur tout premier album, La Fête, sorti le 25 avril, est une virée dans les paradoxes d’une jeunesse tiraillée entre euphorie collective et introspection, le tout sur un ton résolument festif. À l’occasion de cette sortie, on a rencontré La Flemme pour parler de Marseille, de nuits sans fin, de ce dernier projet, de solitude, de joie, bien sûr, de fête.

Pouvez-vous commencer par vous présenter et nous raconter comment le groupe s’est formé ?

Jules : Il y a deux ans, j’avais envie de lancer un nouveau projet musical dans lequel je pourrais écrire des chansons à la guitare et au chant. Jusque-là, j’étais surtout batteur, notamment dans le groupe Technopolis que je partage avec Charles depuis près de quatre ans. J’avais envie de sortir de ce rôle et d’explorer autre chose.

Naturellement, j’ai pensé à Charles pour m’accompagner dans cette nouvelle aventure, puisque je travaillais déjà avec lui. À l’époque, il m’avait proposé de rejoindre Technopolice à la batterie, alors quand j’ai eu besoin d’un batteur pour La Flemme, c’est à lui que j’ai pensé en premier.

Ensuite, j’ai directement pensé à Stella. On jouait déjà ensemble dans un autre groupe, Rahewl, et j’adorais collaborer avec elle. Je lui ai proposé de nous rejoindre, et elle a accepté tout de suite.

À l’origine, on avait un autre guitariste, Nathan, qui a ensuite quitté le projet. C’est là qu’on a accueilli Ronie, qu’on surnomme affectueusement “le Farfadé de Marseille”, un petit lutin qui vagabonde de projet en projet !

Et ça remonte à quand, précisément ?

Stella : La toute première répétition a eu lieu en juin 2023. Ronie, lui, nous a rejoints un peu plus tard, en février 2024. Donc dans cette configuration actuelle, le groupe existe depuis environ un an et demi.

Votre musique est très énergique, ce qui contraste avec le nom du groupe, La Flemme. Pourquoi ce choix ?

Jules : Ah, ça, c’est une anecdote marrante. À l’époque où on cherchait un nom, on tournait en rond. C’est toujours compliqué de trouver quelque chose de libre et qui nous ressemble. J’en parlais avec mon meilleur pote Lénaïc, qui est aussi notre photographe depuis le début. À un moment, je lui dis : « J’ai la flemme de chercher un nom », et il m’a répondu : « Ben voilà, c’est ça, le nom : La Flemme. »
On a vérifié, c’était dispo, et on a trouvé que ça sonnait bien. C’est devenu une évidence.

Ronie : Et ça marche bien justement parce que c’est décalé par rapport à notre son. On a une énergie très brute, mais aussi une certaine nonchalance dans l’attitude, donc ça colle.

Vous êtes basés à Marseille. Une ville souvent associée au rap. Comment vous situez-vous dans cette scène musicale locale ?

Jules  : C’est une question qu’on nous pose tout le temps, surtout dans les médias. Mais en réalité, Marseille a une scène rock très vivante, avec plein de groupes qui bougent. Il y a des concerts quasiment tous les soirs dans les salles locales. C’est une vraie culture underground, très active.

Donc, même si on parle beaucoup du rap marseillais, il ne faut pas oublier qu’il y a une scène rock solide, et on en fait partie. On est un groupe parmi d’autres dans ce réseau dynamique.

Stella : Et au-delà de jouer, on essaie aussi de faire vivre cette scène. Il y a encore peu de temps, peu de groupes extérieurs venaient jouer à Marseille. Du coup, c’est nous, les groupes locaux, qui devions les contacter, leur proposer de venir, de caler une date entre deux concerts.

Jules : Le problème, c’est que Marseille est un peu isolée géographiquement. Les autres groupes hésitent à descendre parce que ça demande beaucoup d’organisation et de frais.
Nous, on fait 8 heures de route pour jouer devant 80 personnes à Laval. On le fait parce qu’on est obligés de sortir pour se faire connaître, mais on comprend que d’autres hésitent à venir jusqu’ici.
C’est un vrai frein, et ça crée une sorte d’isolement malgré la richesse de la scène locale.

Dans votre prochain album, Dans la Flemme, vous abordez beaucoup la vie post-adolescente, tout en proposant une véritable explosion de styles. Comment avez-vous construit cet univers musical aussi varié ?

Jules : Honnêtement, ça s’est fait assez naturellement. Chacun a apporté sa propre influence. On vient tous d’horizons différents, donc quand on bosse sur une compo, même si c’est quelqu’un d’autre qui l’a initiée, on greffe nos styles dessus. C’est ce mélange qui donne ce résultat un peu hybride, où on peut passer du garage au psyché, puis à des trucs plus pop. On ne s’est pas imposé de ligne directrice. On fait ce qu’on aime, et comme nos goûts sont variés, ça se reflète dans l’album.

Justement, l’album alterne entre des morceaux très dansants et d’autres beaucoup plus introspectifs. Est-ce que c’était un défi d’équilibrer ces deux aspects ?

Jules : Pas vraiment, parce que c’est justement le thème de l’album qui appelle à ça : la fête. Et la fête, c’est pas seulement danser ou s’amuser, Il y a souvent une part de mélancolie cachée derrière l’euphorie. Faire la fête, c’est aussi parfois fuir quelque chose, noyer des soucis. Donc l’album parle aussi de ça : de la contradiction entre légèreté et profondeur. Si ça se ressent dans la musique, tant mieux, parce que c’était l’idée.

On pourrait presque voir chaque morceau comme une étape dans une soirée. C’est une lecture que vous avez envisagée ?

Ronie : C’est carrément ça, en fait. L’album suit vraiment une chronologie : avant la fête, pendant, l’après, la remise en question… Est-ce qu’on y retourne ou pas ? L’ordre des morceaux a été pensé dans ce sens-là. Il y a une vraie narration.

Vous avez collaboré avec Salomé Lahoche pour la pochette. Comment s’est fait ce choix ?

Jules : J’avais lu une de ses BD et j’adorais son univers. Un jour, j’étais dans ma caisse, je pensais à qui pourrait illustrer l’album, et j’ai eu un flash. En plus, son dernier bouquin s’appelait Peur de mourir mais flemme de vivre, donc c’était une évidence. Je lui ai écrit un message au culot : « On a un groupe qui s’appelle La Flemme, on sort un album… Si ça t’inspire, est-ce que tu voudrais bosser sur la pochette ? » Et elle a répondu direct : « Carrément. »

Parlons de votre processus de création : est-ce que vous partez de jams ou c’est plus structuré ?

Jules : La plupart du temps, ça commence dans ma chambre, tout seul, en slip avec une clope… (rires) Plus sérieusement, ça part souvent d’une idée que j’amène, ou que Stella propose. Ensuite, chacun rajoute sa patte. C’est très organique comme méthode.

L’album semble osciller entre célébration de la fête et critique. Quelle était votre intention ?

Stella : Pour moi, c’est clairement une critique. J’ai un rapport assez ambivalent à la fête. Ce n’est pas quelque chose que je célèbre, personnellement.

Jules : Moi, je dirais que c’est les deux. On critique, mais on y retourne toujours. Parfois parce qu’on aime ça, parfois parce qu’on y est poussé mentalement. Donc oui, c’est ambigu, et chacun peut l’interpréter comme il veut.

Charles : Moi, je suis plus du genre à suivre le mood. J’aime bien faire la fête, mais chacun y met son propre rythme et son intensité. On ne finit pas tous la soirée en même temps dans le groupe ! (rires)

Qu’est-ce qui a changé entre votre premier EP La Flemme et cet album ?

Jules : On ne s’est pas dit qu’on allait changer de direction, ça s’est fait naturellement. Le premier EP était très garage, très marqué par ma patte. Pour l’album, Stella s’est beaucoup plus imposée dans la compo. Et puis, Ronie est arrivé entre-temps. Il a un univers beaucoup plus psyché que l’ancien guitariste, qui était plus punk. Ça a rééquilibré le son vers ce qu’on cherchait au départ.

Ronie : Oui, à la base, Jules voulait faire un groupe psyché, mais sans savoir en jouer ! (rires)

Et en live, vous sentez une continuité entre les deux projets ?

Jules : Carrément. On enchaîne les morceaux du premier EP et ceux de l’album sans rupture. Le lien est là. On a gardé l’ADN du groupe tout en évoluant.

Et la tournée ? Comment vous l’abordez ?

Jules : On a hâte ! On a passé du temps à bosser, enregistrer, faire la promo, mais maintenant, on veut surtout jouer. Partager en vrai.

Ronie : Pour moi, c’est là que tout prend sens. Le live, c’est l’essence de ce qu’on fait. Tu ressens la musique autrement qu’en streaming.

Charles : C’est du partage, à chaque fois. Des nouvelles villes, des nouvelles personnes… Et puis c’est trop cool de s’échapper un peu de nos vies.

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