Le Domaine est le deuxième long-métrage de Giovanni Aloi. Félix Lefebvre y incarne Damien, un étudiant à la dérive qui se retrouve plongé dans des affaires douteuses liées à l’argent, à la chasse et à la prostitution.
Ennuyé par son quotidien dans la ville industrielle de Saint-Nazaire, Damien accepte un emploi dans un relais de chasse tenu par deux malfrats locaux, Mallaury (Patrick d’Assumçao) et son cousin Pasquini (Raphaël Thiéry). Ces derniers utilisent leur domaine pour couvrir des activités illégales, destinées à satisfaire des bourgeois avides de sensations fortes.
A quel point interpréter un personnage sans rêves, sans perspectives d’avenir, vous a affecté dans la manière de jouer ?
C’est vrai que Damien est un personnage sans objectifs, il vit dans une sorte d’errance sans savoir où il va. Il existe à travers les autres, en particulier à travers Mallaury, son employeur et l’un des propriétaires du domaine. L’impression de reconnaissance que Mallaury lui porte lui procure un sentiment d’identité, d’avoir finalement une place dans le monde. Alors je me disais que l’objectif de Damien, c’était d’abord de trouver un but.
Je pense que beaucoup de jeunes aujourd’hui sont comme Damien et Celia. Les réseaux sociaux en sont pour quelque chose, puisqu’ils véhiculent une certaine image de la réussite à laquelle les jeunes se comparent constamment. Ils vivent à travers les autres, et ça leur met la pression de faire ceci ou cela, d’être meilleur·es que tout le monde… Et comme Damien et Celia, ils deviennent prêts à faire n’importe quoi pour un peu de rêve.
Damien, Mallaury et Pasquini semblent fascinés par les films de gangsters. Etait-ce une volonté de Giovanni Aloi, que le film ait cette énergie de film de mafia un peu à la Scorsese ?
Évidemment ! Même si Giovanni ne me l’a pas explicité directement, on a compris que c’était une de ses références pour le film. Par contre, Mallaury et Pasquini ne sont pas vraiment des gangsters comme on peut le voir dans Les Affranchis de Scorsese par exemple. Dans leur domaine, ils ont tous les droits et misent sur la peur pour conserver leur pouvoir. Mais quand on prend du recul, l’on se rend compte de leur ridicule et du fait qu’ils ne représentent rien. Leurs activités sont complètement stupides. Par exemple, tirer au paintball sur des étudiantes dans la forêt. Ce sont juste des petits voyous de bas étage. C’est pareil pour Damien. Même s’il se retrouve embrigadé dans les magouilles illégales, il s’amuse de la situation car elle lui permet d’avoir un objectif. A travers Mallaury, il se sent exister.
Dans une scène où Mallaury emmène des clients tirer sur des faisans, Damien est le seul à en toucher un. As-tu une explication ?
Oui. En réalité, Damien est un fils de chasseur. C’était dans le scénario, mais Giovanni a décidé de ne pas le garder dans le film. Ça rajoute une part de mystère en plus pour le personnage car on ne connaît rien de sa vie personnelle.

L’argent est le point de départ de cet engrenage infernal, mais selon toi, l’est-ce vraiment ? La quête de Damien est-elle plus grande ?
Oui bien sûr. Pour Mallaury et Pasquini, il y a effectivement une obsession malsaine avec l‘argent, la richesse. C’est d’ailleurs l’objet des tensions entre les deux, car le domaine appartient à Pasquini et non à Mallaury. Pour Damien, c’est un peu différent. Évidemment, c’est l’une des raisons qui le pousse à rester, mais on voit qu’il ne fait rien de ce qu’il gagne. Il s’achète une nouvelle veste en cuir et du gel pour cheveux, mais c’est tout. Même s’il accorde une place importante à l’argent dans ses prises de décisions, et que c’est un moteur de ses actions, il cherche quelque chose d’autre. Peut-être la reconnaissance, un élément qui lui donne envie de vivre.
Si Damien et Celia avaient fui en voiture en Italie durant la nuit, que se serait-il passé pour elle·ux ensuite ?
C’est dur à dire, je ne sais même pas si Damien croit en cette possibilité. En fait, c’est plutôt le but de Celia que Damien utilise pour la courtiser, en quelque sorte. Il sait très bien qu’elle va dire non, et c’est pour cela qu’il se permet d’insister sérieusement. Mais bon, s’ils étaient partis pour l’Italie, peut-être que Damien aurait ouvert un petit bar quelque part sur la côte. Celia serait devenue danseuse, ou quelque chose comme ça. C’est difficile de se projeter car on sait que c’est une situation presque impossible.
Enfin, à ton avis, jusqu’où peut-on risquer sa vie en échange d’un peu d’argent et de reconnaissance ? Et pour toi, quel est le prix des rêves ?
Oh, c’est une sacrée question ! Je pense que ça dépend vraiment de la situation personnelle de chacun et chacune. Déjà, le film est inspiré d’un fait réel, une fusillade commise par trois jeunes près de Bordeaux dans les années 1990. On se demande forcément ce qui a bien pu pousser ces trois jeunes à commettre un tel acte, même si je pense qu’il est presque impossible de comprendre de telles motivations. C’est une décision qui, pour le coup, n’inclut pas de retour en arrière possible. Alors, quel a été l’élément déclencheur ?
Je voudrais enfin adresser un message à celles et ceux qui vont voir le film : si vous craignez d’avoir pris des mauvaises décisions, dites-vous que ce n’est pas si grave. Par rapport à la situation de Damien ou de Celia, il y a matière à relativiser ses propres choix de vie. Le personnage de Celia permet de prendre du recul. Et tant que votre existence, ou celle de quelqu’un d’autre, n’est pas mise en danger, d’une certaine manière, ça va. Rien n’est figé, et on peut toujours changer.
Le Domaine de Giovanni Aloi (Capricci, 1h31), sortie le 14 mai.